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Full text of "Jean Clopinel, dit de Meung: le Roman de la Rose considéré comme document historique du règne de ..."

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1751 f. to.z 



HARVARD COLLEGE 
LIBRARY 



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FROM THE FUND OF 

THOMAS WREN WARD 

TrMsurcr of Harvard Collège 
1830-1842 









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BOUGHT WITH INCOME 
FMOM TiiB BEqpKirr or 

THOMAS WREN WARD 

Late Trkasurer or Harvard Collège 



The sum of $5000 was reccived in 1858, 

** the income to be annually expended 

for the purchasc of books.'* 






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JEAN CLÛPINEL 

dit de IWEUflG 



LE ROMAN DE LA ROSE 

Considéré comme document historique 
du règne de Philippe le Bel. 



la royauté élective émanant du peuple et non 

héréditaire. — plus de nobles et de non nobles, 

l'égalité pour tous. — la négation du pouvoir 

temporel de la papauté. 

l'affranchissement de la femme. 

L'abolition du célibat des prêtres et des moines, 

ETC., ETC. 



PAR 

FÉLIX eUILLON-^ 

Officier d'Académie 

Membre correspondant de la Reaïe Accademia Araldica Italiana, 

etc. , etc. 



PARIS 
A. PICARD & FILS 

82, RUE BONAPARTE 



ORLEANS 
J. L O D D É 

RUE JEANNE D'ARC, 4I 



libraires- Éditeurs 
4003 



Comme 
Souvenir affectueux 

.i 

Iën iëmoignage d une bien vive reconnaissance, 
l'auteur 
^ dédie ce livre 

i 

I LA MÉMOIRE 

DE M. Eugène BïMBENET. 

HISTORIEN DE LA VILLE D'ORLËANS. 



■ i 



f 

5 



Décembre. iço2. 



DU MÊME AUTEUR 



Étude sur Pierre l'Ermite. Orléans, 1874. 

Origine historique des Armoiries des États de l'Europe. Travail 
publié dans le € Giornale-Araldico », Pise, 1876-77 et dans la € Revue 
Angle- Française », de Brighton. 

Armoriai du siège d'Orléans en I42S-29. Pise, 1877. 

Étude historique et biographique sur Guillaume de Lorris, auteur du 
Roman de la Rose, d'après documents inédits et revision critique des 
textes des auteurs. Orléans, Paris, 1881. 

Étude généalogique sur la famille Le G)mte du Colombier, publiée 
dans le c Giornale-Araldico »• Pise, 1884. (Tirage à part.) 

En préparation : 

Étude historique sur Jeanne d'Arc. 

Mélanges historiques, héraldiques et littéraires sur Orléans et l'Or- 
léanais. 



PRÉFACE 



En publiant V Étude siir Guillaiwie de Lorris et la première . 
partie du Roman de la Roscj nous nous étions promis de 
faire un pareil travail de revision et d'analyse sur Jean 
Clopinel, dit de Meung, et sur la deuxième partie du roman, 
afin de rendre complète notre étude sur ce poème et ses 
deux auteurs. 

Déjà renseigné, mais d'une manière imparfaite, sur le 
continuateur et son œuvre, nous ne tardâmes pas, après 
plusieurs lectures, à voir à quelle somme de recherches 
nous serions obligé de nous livrer au sujet de ce poète. 

En effet, dans notre ancienne littérature, il n'y a pas de 
savants ou de poètes qui aient joui d'un aussi grand renom 
que Clopinel, présenté comme l'Homère de la satire en 
France et le Voltaire du moyen âge; et, cependant, il n'y a 
pas de biographie qui soit plus confuse que la sienne, car 
on ne trouve dans les récits ou notices qui lui ont été 
consacrés que des renseignements incomplets, contradic- 
toires ou inexacts. 

Si tous les auteurs sont d'accord pour le lieu d'origine 
que le poète, du reste, indique lui-même, il n'en est pas 
ainsi pour l'époque de sa naissance que l'on place sous 



— VIII — 

Louis VIII ou au commencement du règne de Louis IX; 

— ni de celle de sa mort qui, jusqu'à la publication de Qui- 
cherat, avait été fixée à i3 13 et même plus tard ; — ni sur le 
nom de Meung et celui de Clopinel donné comme surnom ; 

— ni sur son état^ puisqu'on le fait docteur en théologie, 
docteur en droit, et encore chanoine-archidiacre en TEglise 
d'Orléans et de la famille seigneuriale de Meung-Chéré. 

Pareilles confusions se sont produites sur son œuvre, 
une des plus importantes du moyen âge. Des savants, des 
.littérateurs, des professeurs — et non des moindres, — ont 
considéré cette deuxième partie du roman comme une 
œuvre de la jeunesse de Clopinel composée par lui vers 
1270, 1275 ou 1280 au plus tard; puis l'ont interprétée de 
si différentes façons et avec de telles conclusions que ce 
n'est plus pour eux qu'une composition diffuse^ décousue y 
sans plan^ safis suite et presqtCincomprchensible. 

Nous no.us mîmes résolument à la besogne; à lire 
et à analyser cette partie du roman qui compte plus de 
18.000 ve. * (sur près de 22.Ô00 dont se compose le poème). 
Certains passages, notamment ceux où le poète, par le 
moyen des personnages allégoriques qu'il met en scène : 
Amys^ FatdX'Semblantj Natiirey Genius^ critique la Royauté, 
la Noblesse^ la Papauté, le Clergé, etc., attirèrent tout spé- 
cialement notre attention. 

En les étudiant de près, et nous remémorant l'histoire 
politique de cette époque, nous vîmes que ces passages 
visaient des événements du règne de Philippe IV, dit le 
Bel; , — et que contre l'opinion commune, la continuation 
du roman devait être placée en 1296, année où surgit le 
fameux différend entre ce roi et.Boniface VIII. Et comme 



— IX — 

conséquence immédiate, que la deuxième partie du loman 
n'était et ne pouvait être considérée comme le début lit- 
téraire de Clopinel, mais bien comme un de ses derniers 
ouvrages. 

D'autres passages nous démontrèrent qu'il ne fut pas 
d'église et encore moins de condition noble. Bref, une 
lecture attentive des vers du poète nous permit de parler des 
premières années de sa jeunesse, de rectifier et mettre au 
point plusieurs faits biographiques \ et enfin de faire ressor- 
tir l'importance du rôle politique que joua Clopinel sous 
le règne de Philippe IV. 

La biographie du continuateur du Roman de la Rose est 
complète dans ses parties essentielles. 

C'est donc d'après le Roman de la Rose, d'après le 
poète que ce travail a été composé. C'est après une étude 
sérieuse des faits de la dernière moitié du xiii* siècle et du 
roman, que le poème a, par nous, été considéré, comme 
un document historique de ce temps. 

Nous avons l'espoir que nos Commentaires sU'r cette 
deuxième partie du Roman de la Rose paraîtront concluants, 
Ces commentaires qui ont nécessité de notre part de nom- 
breuses recherches sur dea questions sociales qui agitaient 
déjà les esprits à cette époque, comme aujourd'hui, ont 
I une très grande importance ici, puisqu'ils nous montrent 
] Clopinel comme celui qui, au moyen âge, osa le premier 
I s'élever hautement contre les abus dont la société était alors 
I remplie. 

I On ne trouve pas, dans nos annales, d'historien ou poète 
i qui, avant Clopinel, ait, sur ces questions sociales, été 
; aussi loin que lui. Jugeant en philosophe, en politique, le§ 



— X — 

hommes et les institutions de son temps, et pour ainsi 
dire, devançant les siècles, il semblait pressentir les chan«- 
gements qui, à un moment donné,, seraient forcément 
apportés dans cette même société. Aussi le plus grand nom«« 
bredenos anciens auteurs, .contemporains de notre poète 
ou venant après lui, citent-ils fréquemment soit Pàulx- 
Sembianif soit Rayson^ soitAmys ou Naiure par Tintermé- 
diaire desquels il fit connaître ses idées réformatrices ; ces 
mêmes auteurs manifestent la plus grande admiration 
pour Clopinel, l'illustre docteur en toutes les sciences, le 
grand philosophe, le père et inventeur de l'éloquence fran- 
çaise, le plus illustre de nos anciens poètes et savants. Un " 
regain de cette grande renommée de Clopinel profita au 
premier auteur du roman, à Guillaume de Lorris^ que 

Marot surnomma notre Ermius. 

i 

Il ne nous reste plus qu'à faire connaître le plan suivi 
pour ce travail. 

Le fragment ou passage du roman, donné en tête du 
volume, est celui que nous considérons comme le plus 
important du poème, puisque c'est là seulement qu'il est 
fait mention des deux poètes avec quelques renseignements 
sur le continuateur. 

Dans la biographie, nous énumérons les ouvrages de 
Clopinel dans l'ordre donné par lui. Mais au début, au lieu 
du roman désigné comme étant le premier, et que nous 
•plaçons presque le dernier, nous parlons des dits joyeux 
et chansons d'amour composés par lui, dans sa jeu- 
nesse. 

Une longue analyse est faite du roman, suivie de notes ou 
citations d'auteurs venus avant et après Clopinel, dont les 



— XI — 

idées ou descriptions offrent de la similitude avec celles du 
continuateur du flo;>Jûn cfe /a flo^c. — Puis viennent des com- 
mentaires historiques sur la Royauté, la Noblesse, la 
Papauté, le Clergé, la femme, le célibat des prêtres, les 
mœurs de Tépoque. Ces questions sociales du xiii* siècle, 
dont plusieurs sont encore d'actualité, ont donné lieu à de 
nombreuses et incessantes recherches. Et parmi le grand 
nombre d'auteurs consultés, nous avons fait un choix tout 
spécial pour ceux à citer à Tappui de nos dires. 

Là biographie, continuée après les commentaires, est ter- 
minée par un chapitre consacré aux poètes et prosateurs qui, 
depuis le xiii* siècle jusqu'à ce jour, ont parlé du Boman de 
la Rose et de ses auteurs. Cette longue énumération 
d'ouvrages justifie amplement le grand renom dont jouit 
Clopinel et l'importance qu'on accorde à son œuvre 
en France, comme en Italie, en Allemagne, en Angle- 
terre. 

Des appendices sont consacrés à des dfssertations sur : 
1° l'époque de la continuation du roman; — 2^ le lieu 
d'origine et la condition de G. de Lorris; -ttS^ la condition 
de Clopinel; — 40 enfin sur l'origine du droit divin, .et 
celle de la noblesse en France, qui viennent compléter les 
théories du poète sur ces sujets. 

Notre travail d'ensemble sur le Roman de la Rose et ses 
auteurs, se trouve terminé par la présente publication. Si 
les nombreuses recherches faites par nous à ce sujet, ont, 
parfois, été ardues, elles n'ont, cependant, pas été sans 
offrir quelques attraitis dans la lecture de nos anciens mo- 
numents littéraires et historiques, et en même temps, sans 
présenter un certain intérêt, puisqu'elles avaient pour but de 






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— xu — 

préciser les origines de questions sociales de la plus haute 
importance. 

Nous désirons qu'il en soit de même pour ceux qui liront 
cépages. . 

Le nom du continuateur du célèbre Roman de la Rose^ 
est maintenant, plus que jamais, d'actualité, à Meung, à 
Orléans comme à Paris. — La ville où il naquit, se pré- 
pare à lui ériger un monument. — Nous souhaitons que cet 
exemple soit suivi par Orléans et Paris ; que chacune de ces 
villes élève un souvenir digne d.* celui considéré par tous, 
comme le poète philosophe le plus illustre de notre ancienne 
littérature. ' 

Pour justifier les théories politiques et réformatrices du 
poète, nous avons dû, en biographe consciencieux, en re- 
chercher les origines, les étudier en nous pénétrant de Tc- 
poque où elles avaient été formulées, puis les suivre dans 
leurs évolutions à travers les siècles jusqu'à ce jour. Tel 
a été notre but : rien de plus, rien de moins. Aussi contre 
toute autre interprétation qui pourrait être donnée : 

< Nous faisons protestation 
Que n'est point notre intention 
De dire rien contre la Foi, 
Contre Gens ni contre la Loi. » 



■ iT^J 



FRAGMENT DU ROMÀN.DE LA ROSE 

Contenant les principaux éléments biographiques sur 

ses deux auteurs. — Le Diex d^Amors voulant 

délivrer BeUAcueiî du chastel où il est 

retenu prisonnier, dit à son Ost : 



Véx-cî Guillaume de LorriM, 

Cui * Jalousie, sa contraire, 

Fait tant d'angoisse et de deul traire «, 

Qu'il êst en pirHl d§ morir, 

Se je ne pens du Sêcorir, 

Cist me conseillast volentiers, 

Com cil qui miens est touz entiers, 

Et droi2 fust ; car por li-méismes 

En ceste paine nous méismes 

De touz noz barons assembler 

Por Bel-Acueil toldre et embler *, 

Mais il n'est pas, ce dit, si sage. 

Si seroit-ce moult grant domage. 

Se si loial serjant * perdoie, 

Com secorre le puisse et doie * ; 

Qu'il * m'a si loiaument servi, 

Qu'il a bien vers moi déservi ♦ 

Que je saille et que je m'atour * 

De rompre les murs de la tour, 

Et du fort chastel asseoir * 

A tout quanque 4( j'ai de pooîr *♦. 

Et plus encore me doit servir, 

Car por ma grâce déservir * 

Doit-il comancier le Romant 

Où seront mis tuit mi comant *, 

Et jusques-là le fomira 

Où il à Bel-Acueil dira, 

Qui languist ors * en la prison 

Par douleur et par mesprison * : 

Moult sui durement esmaiez * 

Que entr'oubliez ne m'aiez. 

Si en ai deul et desconfôrt ♦. 



* A qui. 

* Sentir. 



* Prendre et enlever. 



* Serviteur. 

* Doive. 

* Car il. 

* Mérité. 

jC Sorte et que je me 
dispose. 

* Assiéger. 

* Autant que >Nt Pou- 

voir. 

* Mériter. 

* Commandements. 



. * Maintenant. 

* Honte, blàuie. 

* Tourmenté, inquiet. 

* Afiliction. 



-â-l 

James n'iert ♦ riens qui me confort **, 

Se je pers vosti'é' bienveillance.* 

Car je n'àl mes allïièurs fiance. 

Ci se reposera<iGuillaumes, 

Cui li tombleaus * soit pleins de baumes, 

D'encens, de mirre et d'aloé : 

Tant m'a servi, tant m'a loé. 

Puis vendra^ J^ohans Clopinêl, 

Au corsjoltf, au cors inêl *, 

Qui nêsira ssur Lairs, à Miun, 

Qui à saoul et à géun 

Me servira toute sa vie, 

Sanz avarice et sanz envie. 

Et sera si très sages bon *, 

Qu'il n'aura cure de Raison, 

Qui mes oignemens * het et blasme, 

Qui plus Aèrent * soef ** que basme **♦; 

Et s'il avient, comment qu'il aille, 

Qu'il en aucune chose faille, 

(Car il n'est pas homs qui ne pèche 

Tous jorz a chascun quelque tèche). 

Le cuer vers moi tant aura fin. 

Que tous jorz, au mains en la fin 

Quant en corpe * se sentira 

Du forfet se repentira, 

Ne me voudra pas lors trichier. 

Cisi aura le Romanz si chier 

Qu'il le voudra tout parfenir * 

Se tens et leus l'en peut venir; (x) 

Car quant Guillaumes cessera^ 

Jehans le continuera 

Enprès sa mort^ que je ne mante ^ 

An3 trespassez plus de quarante. 

Et dira por la meschéance * 

Por poor * de désespérance **, 

Qu'il n'ait de Bel-Acueil perdue 

\a bien-voillance avant eue. 

Et si l'ai-je perdue, espoir *, 

A poi que ne m'en désespoir. 



* N'aurait. ** Console. 



* de qui le tombeau. 



♦ Léger. 



* Homme. 



* Enseignements. 

* Sentent. ** Suave. i 
**♦ Baume. _ ■ 



* Faute. 



♦ Terminer. 



* Malheur. 

* Peur. ** Désespoir. 

* Peut-être. ' 



(x) € Se tens et leus l'en peut venir >, et plus loin : € si qu'il puist 
vivre longuement >. C'est Clopinêl qui parle par la bouche du Diex 
d'Amors, On n'écrit ni ne dit cela à 20 ou 30 ans, mais bien lorsqu'on 
est parvenu à un certain Âge : d'où la crainte exprimée et le souhait 
qui est formé. - 



- 3 - 

Et toutes les autres paroles. 

Que qu'el soient, sages ou foies, . 

Jusqu'à tant qu'il aura coillie 

Seur la branche vert et foillie 

La très belle Rose vermeille, 

Et qu'il soit jorz et qu'il s'esveille. 

Puis vodra si la chose espondre *, ♦ Expliquer. 

Que riiens ne. s'i porra respondre *; ♦ Cacher. 

Se cist * conseill mètre i péussent, * Si ceux là. 

Tantost conseillié m'en eussent ; 

Mes por cestui ne peut or estre, 

Ne por celui qui est à nestre; 

Car il h'est mie * ci présanz. * Pas. 

Si r'est * la chose si pesanz, * Est. 

Que certes quant il sera nez. 

Se je n'i viegn touz enpenez 

Por lire-li vostre sen tance, 

Si tost cum il istra * d'enfance, * Sortira. 

Ce vous os jurer et plevir * Garantir. 

Qu'il n'en porroit jamès chevir *. ♦ Venir.à bout. 

Er por ce que bien porroit estre 
Que cil Jehans qui est à nestre, 
Seroit, espoir * enpéeschiez ♦ Peut-être. 

(Si seroit-ce deul et péchiez 

Et domages aus amoreus, 

Car il fera grans biens por eus). 

Pri-je Lucina la déesse 

D' enfantement t qu'el dotnt * qu'il nesse * Donne. 

Sans mal et sans enconbrement, 

Si qu'il puist * vivre longuement. * Puisse . 

Et quant enprés à ce vendra 

Que Jupiter vif le tendra, 

Et qu'il devra estre abrevez ♦, * Abreuvé. 

Des ainz néis * qu'il soit sevrez * Dès avant-même. 

Des toneaus qu'il a tosjorz doubles. 

Dont l'un est cler et l'autre troubles, 

(Li uns douz, li autres amers 

Plus que n'est suie ne la mers). 

Et qu'il où bercuel * sera mis, * Berceau. 

Por ce qu'il iert * tant mes amis, ♦ sera. 

Je l'afublere de mes eles, 

Et lifihantere notes teles, 

Que puisqu'il sera hors d'enfance 

Endoctrines de ma sciance, 



— 4 — 



ParcarrtférzHfêrêêetiêi, 
SêUnc U Umgûgê de Frmi€ê% 
PariotUlê tègm* • ê% éimUaneê, 
Que jamèt dl qui les orront *, 
Des doux maus d'amer ne morront 
Por qu'il le croient eeulement ; 
Car tant en lira proprement, 
Que tretuit cil * qui ont à vivre, 
Devroient apeler ce livre 
Le Mtroêr aus amorêUi, 
Tant i verront de biens por eus; ° 
Mes ♦ que Raison n'i soit créue, 
La chétive, la recréue *. 
Por ce m'en voil ci conseilliez, 
Car tuit estes mi conseillier. 
Si vous cri merci jointes paumes ♦ 
Que cist las doulereus Guillaumes. 
Qui û bien s'est vers moi portes ♦, 
Soit secourus et confortés. 
Et se por lui ne vous prioie, 
Certes prier vous en devroie 
Au mains por Jehan alégier, 
Qu'il escrive plus de légier^*; 
Que cest avantages li letes. 
Car il nestra, fensuis prophètes. 



• IledeFnuMe. 

• KeyaasM, 

• BalMidfMit. 



* OlMtouteeua* 



* Poenrtt. 

• liehe. 



• Miias. 

• Cottdoit. 

• AitéOMSt 



(Manuscrit de la Bibliothèque Nationale FR. 1573, f» 88 yo. — 
xiii"-xiv* siècle ; considéré comme un des plus anciens de ce poème. 
Vers 11291 et suiv. édition F. Michel, et 10908 et suiv. édition 
Croîssandeau). 



CHAPITRE PREMIER 

i Jean Cloplnel on Chopinel. — Lien et date de naissance. — Ses 

[ père et mère de condition libre et non noble. — Il n'était pas 

f boiteux, mais h bien fait de corps et sans delTanlt de membre ». 

1 — Absence de renseignements sur ses premières années. <~ 

\ Écoles de Blenng; et d'Orléans. — Se rendit ft Paris et s'y Ua avec 
les poètes et savants de son temps* > Titres éloglenx qnl Inl 
forent donnés. — Composa des chansons d'a.mour et dits Joyeux. 

* — Traduisit en prose le De re Militari, de Végèce. — Publia les 

i merveilles d'Irlande, les lettres d'Abélard et d'Héloïse, le livre 

[ d'Aelred, de « SpIritueUe amIUé ». 

l 
3 

1 

5 Les vers qui précèdent composés par le continuateur 

I du Roman de la Rose^ nous apprennent qu'il se nommait 

j Jean Clopinel ou Chopinel, — appellations qui se lisent 

I indistinctement dans les plus anciens manuscrits (i), — 

] et naquit à Meung-sur-Loire. Nous placerons sa naissance 

i de 1250 a 1255 (2), années pendant lesquelles eurent lieu 



i (i) La Bibliothèque Nationale possède plusieurs manuscrits du 

; Roman de la Rose des XIV* et XV* siècles qui portent Chopinel, 

I notamment ceux n*» 6988, 1561, 19153. — Dans le manuscrit d'où est 

l extrait le fragment qui précède, on avait primitivement écrit Chopinel ; 

I par un grattage de la lettre h, on fît Clopinel. Ce dernier nom, qui a 

} prévalu, se lit dans la plupart des manuscrits des X(V« et xv« siècles. 

^ (2) € Jean Clopinel, né à Meung vers 1250, était, dit M. P. Paris, 

J dans toute la fleur de sa jeunesse quand il entreprit de continuer 

I vers 1280, le Roman de la Rose > (Hist litt. de la France, 27-433.) 

^ — M. G. Paris donne également 1250, comme date de naissance du 

I poète, et lui fait composer le Roman, < étant encore étudiant aux 

I écoles de Paris, vers X277. > (Manuel d'ancfen français). 

I Nous sommes d'accord avec cels deux savants quant à la date de 

I naissance; mais nous ne saurions adopter celles qu'ils fixent pour la 

^ continuation du Roman par Clopinel, par la raison que ce poème, ne 

.4 fut pas son début littéraire, mais bien, ainsi que nous l'établissons plus 
loin, un de ses derniers ouvrages. (V. Appendice I.) 



I 



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— 6 — 

des faits politiques d'une grande importance : — C*est 
Saint Louis, prisonnier outre-mer i la suite de sa pre- 
mière croisade ; les désordres que les Pastoureaux comman- 
dés par le Maure de Hongrie^ commirent eh différentes 
Tilles, i Paris, i Orléans, puis i Bourges et i Bordeaux, 
o\x ils furent entièrement détruits ; — la mort de la reine 
Blanche de Castille, régente du royaume en Tabsence de 
* son fils; le retour en France du roi nécessité (l'abord,, 
par les démêlés survenus entre les puissantes familles 
'féodales des d'Avesnes et des Dampierre ; et ensuite par les 
intrigues du roi d'Angleterre en Guyenne et en Norman- 
die ; — le séjour de Louis IX en Normandie, puis i 
Orléans, où il reçut le monarque anglais au milieu des 
fêtes brillantes. Et enfin la grande c descorde » qui surgit 
entre l'Université de Paris et les Ordres Mendiants. 

Cette date de 1 250- 1 255» est celle que nous pensons être 
en rapport avec le texte du Roman ci-dessus rapporté, où 
le Diex ^Amors^ apprend à son ost^ que Guillaume de 
Lorriz est en péril de morir et Jehan qui est à nestre. Or, 
Guillaume, né vers 121 5, présenté en cet endroit du 
Roman, comme étant en danger de mourir de chagrin , par 
suite du refus par Bel-Acucil, d'agréer son amour, avait 
alors environ trente ans ; il mourut vers 1269, peu de- 
temps avant qu'Alfons, comte de Poitiers, rédige son tes- 
tament daté d^Aymargues, 1270, au moment de passer 
•outre-mer, et dans lequel il est fait mention d'un legs 
d'une rente de dix livres tournois pour « les hoirs de feu 
Guillaume de Lorriz, jadiz son serviteur. » 

Les père et mère de Jean habitant Meung-sur-Loire, 
ville alors en la possession des évéques d'Orléans, étaient 
de condition libre, c'est-à-dire de ceux qui, n'étant pas 
I serfs attachés au fief, jouissaient de la liberté civile et de 
celle de la propriété en payant certaines redevances. « Au 
regard des non nobles, lit-on dans le Grand Coutvmier^ ils 
sont en deux manières, dont les aucuns sont franches per- 
sonnes, bourgeois du roi ou des seigneuries sur lesquelles 
ils demeurent, et les autres sont serfs et de serve condi- 



— 7 — 

tion (i). » De cette première classe d'hommes libres, tenant 
le milieu entre les gens de la glèbe et la noblesse, est sortie, 
' plus tard, la bourgeoisie. Ils n'étaient pas, ainsi que Ta pré- 
tendu le chanoine Hubert, et d'après lui, plusieurs biogra- 
phes, nobles et de la famille des barons de Chéré-lès- 
Meung, comme le démontrent suffisamment maints pas- 
sages du Roman de la Rose^ où notre poète critique d'une 
façon si acerbe l'ordre privilégié de la Noblesse, qu'il a en 
bien petite estime : « Gentillesse de lignage^ n'étant pour 
Itiiy rien qui vaille. » 

En déclarant que, grâce à la déesse Lucine, qui préside 
aux enfantements, il vînt au monde « sans mal et sans 
enconbrement », et dans son Codicille : « bien fait de corps 
et sans deffault de membre », Jean réduit à néant l'inter- 
prétation erronée de Fauchet, expliquant le nom de Clo- 
pinel de ce que le poète était boiteux, allait clopin-clo- 
pant (2). 

Comme pour beaucoup de personnages célèbres de ces 
temps éloignés : Turold, Chrétien de Troyes, Guillaume de 
Lorris, Rutebeuf, Denys Pirame, Adenès-le-Roi, etc., 
on ne possède aucun renseignement précis sur les pre- 
mières années de Jean Clopinel. Les biographes sont tous 



. (i) € Lors du couronnement et sacre de son fils Philippe-Auguste, 
' Louis VII voulut affranchir et donner la liberté à tous les esclaves 
tant hommes que femmes de corps résidans à Orléans et dans les cinq 
lieues à l'entour, scavoir à Meung, Gemigny, Cham, voirie de Chécy, 
la baillie de Saint-Jean de Braies, Saint- Martin du Loiret, Saint- 
Mesmin, Neuf ville, Rebréchien, Coudray et autres villages contenus 
dans les cinq lieues; iceux il affranchit, délivre de toute servitude et 
sujection par eux et leurs enfants, fils et filles, comme s'ils estoient nez 
de franche condition et non servile y>. Lemaire, Antiquités d'Orléans, 
tome I*^ p. 540 où est relaté le texte latin de cette charte qui fut con« 
firmée par Philippe II; — E. Bimbenet, Histoire d'Orléans, 2-145. 

(a) Clopinel a, quant au nom, eu le même sort que son contempo- 
rain, Adam de la Halle, surnommé le Bossu d'Arras^ disant : < On 
m'apele Bochu, mais jou ne le suis mi. > — Et comme Fauchet, qui 
.ne tint pas compte des déclarations si précises de Jean, Monmerqué, 
en publiant le ^eu de SainUNicolaSf d'Adam, dit, à tort, que ce sur- 
nom de bossu lui venait d'une infirmité. 



>-V.'«V;.i»^Vl#i-V 



— 8 — 

muets sur ce point. On sait seulement, et cela, d'après ses 
ouvrages, qu*il fit de bonnes études et qu'il connaissait 

' bien la langue latine. — Mais oii étudia-t-il ? — P. Paris 
avance, sans preuve^ que ce fut aux écoles de Paris, et 
Lemaire de Belges par « ouy dire » avec le Dante, « Tun 
estoit émulateur et nonobstant amy des estudes de Tau- 
trc. » — Pourquoi, au contraire, ne pas croire que Clopi- 
nel, né à Meung, ait puisé la science et la connaissance des 
auteurs latins dont il fait montre dans ses ouvrages, aux 
écoles de cette ville ou à celles d'Orléans, déjà célèbres au 
VI* siècle, au rapport de Grégoire de Tours, puis restaurées 
à la fin du viii'' siècle par Théodulfe^ évêque d'Orléans. 
La renommée des écoles de rhétorique d'Orléans aux 

^' xii* et xni* siècles, venait des gloses célèbres dont' étaient 
l'objet Virgile, Ovide, Lucain, et autres latins. Là, surtout, 
ces auteurs, que possédait si bien Clopinel, furent étudiés 
et commentés longuement; ainsi que le témoignent les 
écrits de maints poètes et savants d'alors, et le fabliau 
composé par Henri d'ÂndcIi, au commencement du 
xn® siècle sous ce titre: La Bataille des VU Ars^ qui débute 
ainsi : 

Paris et Orlians ce sont II : 

C'est granz domages et granz deuls 

Que li uns à l'autre n'accorde. i 

Et où Doîne Grammaire^ d'Orléans, engage la bataille [ 
contre Dame Logique^ de Paris, qui remporte la victoire. — j 
On peut dire qu'Orléans était, à cette époque, TAthènes de j 
ï' la France: on s'y rendait de toutes parts, de l'Allemagne, 
de l'Angleterre, de l'Italie, pour y apprendre les VII Arts 
libéraux, la médecine, le droit canon et le droit civil. En 
créant, en i3o5, l'Université d'Orléans, Clément V « ne 
ih que confirmer Texistence et les prérogatives d'une ins- 
titution antérieure (i). » 

(i) L. Delisle, Ecoles d'Orléans aux xiie et xni« siècles; — E. Bim- 
benet. Université d'Orléans; — Hist. litt. de la France ; — Cuissard^ 
Théodulfe, etc. 



\ 



— 9 — 

Cependant, on peut admettre, avec quelque apparence 

de raison, que Clopinel, quitta de bonne heure Meung 

pour se rendre à Paris, ville qu'il cite fréquemment dans 

le Roman de la Rose et ses autres ouvrages (i). 

Aux connaissances acquises pendant le temps de ses 

• études, Jean y joignit celles qui résultent de nombreuses 
lectures, kîen, du reste, nefutpégligé par lui, et il ne tarda 
pas à posséder tout ce qui s'enseignait à cette époque et 
qu*on désignait sous le nom des VII Arts libéraux, se divi- 
sant en Trivium : grammaire, logique, rhétorique ; et 
Quadrivium : arithmétique, astronomie, musique, géomé- 
trie. Il devint, ainsi que le prouve surabondamment le 
Roman de la Rose ^ véritable sonwie ou encyclopédie des 
sciences et des lettres alors cultivées, un des plus savants 
et des plus lettrés de son temps (2). Aussi voit-on nos 
anciens auteurs et les biographes qualifier Clopinel de 
savant en astronomie, premier de nos vieux poètes, premier 

I inventeur de rhétorique françoise, orateur, philosophe et 
mathématicien le plus renommé de son temps ; bien parlant 
et moult grant clerc souhtil ; très excellent et irrépréhensible 
docteur en sainte divine escriptt^e ; philosophe et en tous 
les sept arts libéraux clerc très profond ; docteur très sage. 



(i) Paris est cité sept fois dans le Roman, puis la place de Grève, 
Saint-Marcel, la Seine, Meaux, Lisieux, Amiens, Lavardin, etc., pour 
les besoins de la rime. Nous ne nous souvenons pas y avoir lu, une 
seule fois Orléans, alors la première ville du royaume après Paris, et 
qui, par son importance, méritait bien une mention. On ne s'explique 
guère ce silence de la part du poète. Il est vrai que dans un manus- 
crit du Roman de la Rose, de X330, on lit des vers où il est fait mention 
de Saint-Euverte, patron d'une des Eglises d'Orléans : « Si m'aist 
Diex et Saint Yvurtre. — Je le poise poi mains de murtre > mais 
il est évident que ce substantif ne figure ici que comme cheville ; le 
poète a dû avoir martel en tète pour trouver une rime à murtre 
(meurtrier). — Quant à Meung, cette ville est mentionnée comme 
lieu de naissance du poète ;.< seur-Laire, à Méun >, — Une deuxième 
fois, pour les besoins de la rime ; € ... par Saint- Liéfart de Méun ». — 
Et sans plus. 

(3) Le poète cite dans le Roman, les Saintes Ecritures, les Apôtres, 
Saint-Augustin, Aristote, Hippocrate, Homère, Hérodote, Pythagore, 
Ptolémée, Théophraste, Solin, Cicéron, Boéce, Claudien, Catulle, 



— iO — 

etc. ; enfin C Homère de la satire en France et le Voltaire du 
moyen-dge (i). 

Cette situation de lettre et de savant dût le mettre en 
rapport avec toutes les célébrités d'alors : Le Dante, dont 
il fut Tami et le compagnon d'études ; — Rutebeuf le poète 
populaire, toujours miséreux, gêné d'argent et mal marié, 
ainsi qu'il nous l'apprend dans ses poésies; — Adam de la 

Horace, Justinien, Juvénal, Sénèque, Gallus, Galien, Ovide, TtbuUe, 
Tite-Live, Salluste, Valére Maxime, Virgile, Razis, Avicenne, Al Ha- 
ceniy Saint-Amour, Chansons de geste, etc. C'est, pensons-nous, plus 
d'auteurs quMl n'en faut pour justifier notre dire. 

— M. Langlois écrit que notre poète ne connaissait pas le grec ; € ce 
n'est pas là, ajoute-t-il, une révélation inattendue, on sait qu'en France, 
au XIII* siècle, cette langue n'était connue que de nom », Clopinel n'a 
fait mention des auteurs grecs, que d'après les latins (p. 170). 

Ce jugement est-il sans appel P — Dans le Roman de la Rose, on voit, 
cependant, Rayson dire à V Amant : 

D'autre part, ge tiens à grant honte. 

Puisque tu ses que letre monte, 

Et que estudier te convient, 

Quand il d'Omer ne se souvient. 

Puisque tu Tas estudié ; 

Mais tu Tas, ce semble oblié : (vers 7513, et suiv., F. Michel.) 

Clopinel cite plusieurs fois Homère et les auteurs grecs; et vers 
1 7764, on lit : « le mot Aplanos vaut en gregois, chose sens error en 
françois > adopté comme devise par les Montmorency. 

Nous sommes quelque peu surpris que ces vers si précis, qui viennent 
infirmer cette croyance, aujourd'hui répandue, que la langue grecque 
n*était pas connue au Xilic siècle, n'aient donné lieu à aucune remar- 
que de la part de M. Croissandeau. Ce texte du roman a bien son 
importance ici, surtout si l'on observe qu'indépendamment des effets 
que les croisades produisirent sur la civilisation occidentale, la prise 
de Constantinople et l'Empire des Latins (1204-1261), durent amener 
forcément entre les Francs et les Grecs des relations continuelles et 
de toutes sortes, politiques, commerciales, littéraires et se répandent 
en Italie, en France. Le collège pour les grecs catholiques fondé à 
à Paris sous Philippe II, où, nous apprend H. Martin (4-272) ; quelques 
grammairiens commençaient à savoir le grec auprès d'eux ; la Bataille 
des VII Ar s, montrant Homère et les neveux de Priscien : Agrecxsme et 
Doctrinal, combattant sous la bannière de Dame Grammaire d'Orléans, 
fournissent par cela mèine, la preuve que cette langue était alors 
enseignée en France. Clopinel a donc parlé des auteurs grecs, d'après 
leurs textes et non d'après les latins. 

(i) Tous ces qualificatifs se lisent dans les auteurs cités chap. viii. 



— 11 — 

Halle, dit le Bossu d'Arras^ auteur des jeux célèbres de 
Robin et Marion^ de la Feuillée^ de Saint^Nicolas. Exilé 
d'Arras, sa ville natale, il suivit en qualité de ménestrel 
Robert II comte d'Artois, à Naples où il mourut vers 
1288 ; — Adam, dit laRoy Adenez^ né, dit-on, en Brabant, 
vers 1240 ; poète du comte de Flandre qu'il accompagna 
à ia Voyede Thunes, puis dans ses voyages annuels à Paris, 
au printemps ; alors il se rendait à Saint-Denis pour y con- 
sulter la librairie de l'abbaye. Il fut un des derniers poètes 
qui aient chanté en grands vers monorimes, les traditions 
fabuleuses et héroïques de notre histoire dans les Enfances 
Ogier^ Berte ans grans piés^ Buevon de Commarchis, En 
faveur auprès de la reine de France, Marie de Brabant, et 
de la princesse Blanche, sœur du roi, c'est à leur demande 
qu'il'composa de 1276 à 1280, le Roman de Cléomadès] il 
vivait encore en 1297 ; — Girard d'Amiens, auteur de plu- 
sieurs poèmes et qui travaillait en ce temps (1285) à celui 
de Charlemagne^ longue composition où les traditions his- 
toriques sont mêlées avec les traditions fabuleuses, et qu'il 
ne finit qu'en i3i4, — Arnaud de Villeneuve, du Lan- 
guedoc, à Paris, en 1287 et 1297, où il enseignait l'astrolo- 
gie, la botanique, la médecine et la philosophie ; plus 
tard, accusé d'impiété, il quitta la France (i3io), se réfugia 
auprès de Robert d'Anjou, roi de Naples et de Sicile, et 
mourut en ï3i3 ; — Raymond Lulle, né à Majorque en 
1235, n^oine, un des plus savants hommes de son siècle, 
surnommé le docteur illuminé^ disciple d'Arnaud de Ville- 
neuve, alla en i3i3 prêcher le Christianisme à Tunis, et y 
fut lapidé parla populace. — François des Rues, Godefroy 
de Paris, Jean de Paris, Gilles de Rome, Dubois, dont 
nous parlerons plus loin. 

— Et cette même situation en donnant à ClopincI, accès 

auprès des seigneurs, des grands feudataires'de France, les 

f comtes d'Eu et d'Artois, et du roi lui-mérhg, Philippe IV, 

lui procura à la fois honeur, et grant chevance comme il 

•nous l'apprend dans son Codicille * ^ / 



— J2 — 

Diex fn*a donné au miex honeur et grant chevance 
Diex m'a donné servir les plus grans gens de France (i) 

Jeune et beau, à au cors jolif, au cors inel », Clopinel 
dût, si Ton en croit ce qu'il fait dire au Diex d*Amor$ 
annonçant à son ost^ la naissance du poète : 

à saoul et a géun 

Me servira toute sa vie^ 

Sanz avance et sanz envie, 

Et sera si très sages hon *, * Homme. 

Qu'il n'aura cure de Raison, 

Qui mes oignemens * het et blasme, * Enseignements. 

Qui plus fièrent ♦ soef 'l^i'que basme *** ; ^^ Sentent. 'Me Suave. 

Et s'il avient, comment qu'il aille *** Baume. 

Qu'il en aucune chose f^iille, 

(Car il n'est pas homs qui ne pèche 

Tous jorz a chascun quelque téche), 

Le cuer vers moi tant aura fin, 

Que tous jorz, au mains en la fin, 

Quant en corpe * se sentira, * Faute. 

Du forfetse repentira, 

Ne me voudra pas lors trichier 

Clopinel dût, disons-nous, mener joyeuse vie et se livrer 
avec toute la fougue de la jeunesse aux plaisirs de ce monde ; 
composer en langue vulgaire maints dits joyeux qui firent 
les délices des lecteurs, puis des chansons d'amour qui 
furent flutées et chantées sur les places publiques et dans 
les écoles de toutes les villes de France : 

— « Et li chantere notes teles » dit le Diex à'Amors 
à ses barons : 

(i) Plusieurs auteurs, notamment M. Croissandeau (I-XIX) s'auto- 
risent de ces deux vers pour dire qu'ils ne laissent aucun doute sur 
l'illustration de la naissance du poète. C'est, d'après nous, leur donner 
une interprétation erronée. Ces vers sont à considérer relativement à 
la condition première de l'auteur; au moment même où il les écrits, 
il est en faveur auprès du roi, de hauts feudataires et possède de 
grands biens. Ils ne se comprennent guère, étant composés par un 
membre de la famille baronniale du Chéré, une des premières de l'Or- 
léanais. Du reste, nous avons déjà dit, et nous le démontrons plus loin, 
que Clopinel était de condition obscure, ne se rattachant par aucun 
lien 4 cette famille seigneuriale. (V. Appendice III.) 



— 13 — 

Que puisqu'il sera hors d'enfance 

Endoctrinez de ma sciance. 

Il fleutera noz paroles 

Par carreforz et par escoles 

Selonc le langage de France 

Par tout le régne * en audiance... * Royaame. 

Nous pensons, que parmi les dits joyeux^ dont le poète 
fait mention au début de son Codicille^ en ces termes : 

J'ay fait en ma jeunesse maint dit par vanité 
Ou maintes gens se sont mainteffois délité. 
qui pou m'ont proufiité. 

on pourrait y comprendre ceux de la Borgoise d*Orliens 
et des Brayes au Cordelier, qui figurent tous les deux dans le 
recueil de Barbazan, sans nom d'auteur. 

Le premier de 284 vers octosyllabiques raconte d'une 
dame quiy née et norriefudOrliens^ savait tôt les torzet les 
poines que suggèrent Cupidon, pour tromper son époux et 
arriver à ses fins amoureuses, avec un clerc escalier d'Orliens. 

Le second de 354 vers aussi octosyllabiques, raconte 
également les tours qu'une autre bourgeoise d'Orléans, 
joua à son mari, pendant qu'il se rendait au marchié ou 
foire à Meun-sur-Loire^ pour, comme la première, arriver 
aux mêmes fins, avec un autre clerc d'Orléans. 

La scène de ces deux fabliaux placée à Orléans et la 
mention de Meung-sur-Loire, de Sainte-Croix, font croire 
qu'ils ont été composés par un poète Orléanais; et, en pré- 
sence de l'esprit frondeur qu'on y remarque contre les 
femmes et contre les moines, on est disposé, et cela, sans 
trop s'aventurer, à en attribuer la paternité à notre poète ( i). 

En 1284, Clopinel, âgé de 28 ou 3o ans, se mit un des 
premiers, à traduire en prose, à translater de latin enfran- 
çois, pour employer ses expressions, un ouvrage très lu et 
très commenté à cette époque, le De re militari^ de Végèce, ^ 
traitant des connaissances des Romains dans l'art d<*»là * 

(x) Dans l'Hist. litt. de la France (23-x88), M. VictorXeclerc donne 
l'analyse de ces deux fabliaux. Il dit que dans la Borgoise d'Orliens, 



— 14 — 

guerre; et dédier au comte d'Eu, Jean de Brienne, !•' du 
nom, cette traduction qu'il avait faite sur son ordre. 

Les traductions d'auteurs latins avaient été déjà et sou- 
vent tentées. On avait des imitations plus ou moins fidèles 
deSolin, d'Orose, de Suétone, de Lucain, de Srace et de 
* quelques fabulistes, mais Clopinel devait, écrit M. P. Paris, 
être un des premiers qui se proposât de reproduire avec 
V^ exactitude, dans sa langue maternelle, le texte d'anciens 
auteurs latins; et nous pouvons dire, ajoute le même écri- 
V vain, qu'il ouvrit la voie que les clercs du xiv« siècle suivi- 
rent avec tant d'ardeur et de succès. 

La Bibliothèque Nationale possède 4 manuscrits de cette 
traduction; les deux plus anciens sont accompagnés de 
cette mention : « Le livre de Végèce de Tart de chevalerie, 
que nobles princes Jehan, contes de Eu, fist translater de 
latin en françois par maistre Jehan de Meun en Tan de 
rincamacion M. IIMIII". et IV (i) ». 

M. P. Paris analyse longuement cette traduction, héris- 

on reconnatt le conte mis en vers par Raymond Vidal. En effet, 
dans la vie de ce poète, peut-être fils, dit l'abbé Millot (3-29Ô), du fa- 
meux Pierre Vidal, mort en 1229, on lit une nouvelle : Le yaloux châtié, 
La scène se passe en Aragon entre dona Alvira, Alphonse de Balbas- 
tre, son mari, et Bascol de Cotenda, feudataire de ce dernier et amant 
de sa femme. — Raymond Vidal vivait dans la première moitié du 
xni* siècle, la priorité de l'invention semblerait lui être acquise, puis- 
que Clopinel n'a dû écrire la Bourgeoise d'Orléans que vers 1275 ou 1280. 
Mais la nature du sujet en faisait un thème commun, et rien ne s'op- 
pose, vu l'esprit satirique que Clopinel montre à l'égard des femmes et 
. des moines, — au contraire même, tout fait croire qu'il a composé son 
. fabliau sans connaître la nouvelle de R. Vidal. — Ce fabliau a fait son 
chemin ; on le lit dans tous les conteurs de Joyeusetés : Boccace, les Cent. 
Nouvelles Nouvelles, Malaspini, le Poggi, le Pécorone, Bandello, 
d'Ouville. La Fontaine dans ses contes l'a rendue populaire. 

Le fabliau des Brayes au Cordelier a eu le même succès. — Les 
conteurs français et italiens n'ont eu garde de Toublier. 

(i) Signalons en passant, une erreur qui s'est religieusement trans* 
mise. — M. Croissandeau, copiant Méon, dit que cette traduction fut 
faite pour Jean de Brienne I^'' du nom, qui, en 7252, succéda à Marie, 
sa mère, dans le comté d'Eu, pendant qu'il était avec Saint-Louis en 
Palestine. € Là, le roi, dit Joinviile, fit le comte d'Eu chevalier,* qui 
était encore un jeune jouvencei. Il mourut en 1294.. » ((-XX) Même 
leçon dans l'édition de Joinviile, par de Wailly. 



^■■'i 8 ' 



— 15 — 

sée de tant de difficultés pour celui, dit-il, qui une pre- 
mière fois l'entreprenait,... elle n'est pas dépourvue de 
précision et d'élégance; elle a de plus le mérite d'une assez 
grande fidélité. 

Le travail du poète Orléanais, justement apprécié parla 
noblesse, fut de suite très recherché. Et six ans après, en 
1290, on voit un autre poète, Jean Priorat, de Besançon, 
le mettre en vers octosyllabiques pour Tusage d'un autre 
grand seigneur, Jean de Chalon, le même qui, en i3o2, 
signa avec les principaux feudataires, l'adresse au roi contre 
les prétentions du pape Bonifacc VIII (i). 

Ce fut là le début sérieux de Clopinel. 

Marie, comtesse d'Eu, épousa vers I24Q'I2So^ Alfons de Brienne, 
chambrier de France, en 1258-1270, mort à Tunis en 1270. Leur fils, 
Jean l«^ comte d'Eu, né vers J2S0'i2Si, n'a pu, par conséquent, pren- 
dre part, en 1248, à l'expédition de Saint- Louis en Egypte. Quant au 
jeune jouvencel dont parle M. Croissandeau, il est désigfné dans des 
éditions de Joinville, comte de Deu et non tPEu, 

Jean le**, comte d'Eu, se croisa avec son père en 1270, et mourut 
en X294, laissant Jean II, comte d'Eu et de Guines, tué à Courtrai 
en 1302. (Moréri, v» Eu, Brienne.) 

(x) M. P. Paris a reconnu à la Bibliothèque Nationale, quatre ma- 
nuscrits de cette traduction qui sont assez conformes entre eux. € Le 
plus ancien, celui n*» 2063, remonte à la première moitié du xivo siè-. 
cle. La date en est rappelée dans une sorte de complément : « Et a 
fait faire cest livre maistre Guillaume de Dynant, demorant à Noyon, 
en l'an de grâce mil trois cens et quarente ». Le volume contient quel- 
ques miniatures assez intéressantes, la première surtout, où Jean de 
Meung est figuré en long manteau d'écarlate et la plume à la main, 
attentif à l'ordre que semble lui donner Jean de Brienne, comte d'Eu, 
assis devant lui le glaive au poing, sur un siège plus élevé. Ce mémie 
manteau rouge se retrouve dans plusieurs autres représentations de 
Jean de Meung. (Hist. litt. de la France, 28*392 et suiv ). 

< La traduction du livre de Végèce est assurément, une des pre- 
mières traductions de notre auteur. Il la cite immédiatement après 
le Roman de la Rose ». — M. Paris a raison en la donnant comme un 
des premiers ouvrages de Clopinel; mais il a tort en prétendant qu'elle 
fut faite après le Roman de la Rose, 

On lit dans la revue Romanta, de 1882 (XI, p. 629] : € La traduction 
de Végèce en vers français faite d'après la version en prose de Jean 
de Meung, par Jean Priorat, de Besançon, sera prochainement publiée 
dans la bibliothèque du Cercle mUitaîre de Stuttgard, par MM. Robert 
et Windelin Pœrster ». 



Puis vint son c Livre des Merveilles de Hirlande » qui, 
diaprés Tauteur que nous venons de citer, se rapporte cer- 
tainement à la Topographia Ribemia^ plus connue sous le 
nom de Mirabilibus Hibemiade Sylvestre Girard ou Gerald, 
né dans le comté de Pembrok, un des plus doctes person- 
nages du XII* siècle, et qui professa à Paris et à Oxford. 

Le Mirabilibus Hibemia fut composé par Gérald, à la 
suite d'un voyage qu'il fit dans cette île en 1185, avec le 
prince Jean, fils de Henri II, roi d'Angleterre. Il contient 
tout ce qu'on racontait de merveilleux sur cette contrée. 
On y lit que File ne produit aucune bête venimeuse et celle 
qu'on y apporte d'ailleurs, ne saurait y vivre ; — on y voit 
plusieurs puits sacrés dont les eaux guérissent diverses ma- 
ladies; celles du lac Lough Neaugh ont la propriété de 
changer le bois en pierre; le bois de Saint Fort n'admet 
ni vers ni araignées; là est aussi le purgatoire de Saint- 
Patrice, Patricii Purgatoriiim^ dont Jacques de Vitryi 
sans doute d'après Gérald, fait mention dans son histoire 
des Croisades, en ces termes : 

* En Irlande, il y a un lieu appelé le purgatoire de Saint- 
Patrice. Si quelqu'un y entre sans être véritablement péné- 
tré de repentir et de contrition, il est aussitôt enlevé et mis 
à mort par les démons et ne reparait plus jamais. Mais 
celui qui y entre vraiment touché de contrition et s'étant 
confessé est saisi par les démons qui le font passer par le 
feu, par l'eau et par mille espèces de tourments par lesquels 
il est purifié. Celui qui a commis plus de fautes est puni 
plus rudement dans le môme lieu; celui qui en revient 
purifié, ne peut plus dans la suite rire ni se livrer aux amu- 
sements, ni aimer aucune des choses du monde, il pleure 
et gémit toujours, oublie le passé et s'élance dans l'avenir. 
Dans l'île de Thanetos qui se trouve du côté de l'Irlande, 
on ne rencontre jamais de serpents ; et la terre de ce pays 
transportée ailleurs fait mourir tous les serpents. » Ce que 
dit également B. Latini, dans son Trésor. 



— 47 — 

Le Mirabilibus Hibe?*nia eut beaucoup de succès au 
moyen*âge; c'est ce qui explique la traduction qu'en fit 
Clopinel. Déjà avait paru le Livre des Merveilles de Rutc- 
beuf ; et depuis, les Merveilles du Monde ^ les Merveilles d^ An- 
gleterre^ les Merveilles de France^ etc. De Touvrage de 
Gérald on compte, dit encore P.Paris, un poème latin dont 
Thomas Wright, a publié la fin et qu'on n'a pas craint 
d'attribuer à Saint Patrice. 

L'histoire d'Abélard ( i ) et d'Héloïse, relativement récente, 
était connue de tous. Partout, sur les places publiques et 
dans les maisons, on chantait leurs amours et leurs malheurs. 
« La plupart des vers que tu as laissés, écrit Héloïseà Abé- 
lard, furent des chants d'amour en mètre ou en rhythme. 
Ces vers, par la douceur, hélas! trop grande de l'expression 
et du chant mettaient ton nom dans toutes les bouches, et 
en même temps le nom d'Héloïse. Toutes les places, toutes 
les maisons retentissaient de moi (2). » 

Clopinel qui, d'après le Diex dAmorsjn devoitôtre un de 
ses fervents et le servir toute sa vie », se sentit attiré par 
ce sujet si touchant et si populaire. Le premier, il recueillit 
et traduisit en français, les lettres latines des deux amants 
qu'il publia sous ce titre : • Le Livre des Epistresde Pierre 
Abeillard et Héloïs, sa femme ». leur assurant par la publi- 
cation de ces Lettres « précieux et incomparable monu- 
ment littéraire » une renommée impérissable (3), 

Plus tard, lorsque pour soutenir les vues politiques de 
Philippe IV, il continuera, sur son ordre, le Roman de la 
Rose^ laissé inachevé par Guillaume de Lorris, il reviendra 

(i) < Abélard, Abailard, Abeillard, etc. L'orthographe est aussi in- 
certaine, dit H. Martin, que l'origine même de ce surnom, car ce n'est 
pas un nom propre. » (3-312). 

(2) Villemain. < Pleraque amatorio métro vel rhythmo composita 
reiiquisti carmina; qux prs nimia suavitate tam dictaminis, quam 

cantus, tuum in ore omnium nomen tenebant Me plateac omncs, 

me domus singulze resonabant. » (Lettre 2^, p. 95. Gréard.) 

(3) € La Bibh'othèque Nationale ne possède de ces Lettres, qu'un seul 
manuscrit sur papier des premières années du xiv« siècle, que Pétrar- 
que a annoté. — La première initiale, de très petite dimension et d'un 

2 



— 18 — 

sur ce travail qui n'est pas sans charmes pour lui, et y con- 
sacrera 72 vers pour raconter sommairement, d'après leurs 
lettres, la vie et les infortunes de ces deux célèbres victimes 
de Tamour. 

Observons, en passant, que ces 72 vers se trouvent placés 
presqu'à la moitié du roman^(vers 9091 et s. éd. Croiss.). 
Ils fournissent donc la preuve que le poète avait publié 
ces Lettres^ avant de se consacrer au Roman de la Rose^ quoi- 
que dans la Dédicace de la Consolation de Boôce, où il énu- 
mère ses ouvrages, il les place après le Roman (i). 

Clopind qui ne connaît pas le repos, fait suivre les 
« Epistres d'Abeillard et d'Héloïs» d'un autre ouvrage 
« Le Livre d'Aelred de spirituelle Amitié », composé par 

travail très fin, représente deux personnages vôtus des draps no.'rs de 
Saint-Benoit. C'est assurément, dit P. Paris, la plus ancienne image 
qu'on ait d'HéloIse et d'Abélard. > 

Dans son édition de ces Lettres , M. Gréard déclare p. IV-V, l'avoir 
faite sur le manuscrit de la bibliothèque de Troyes, le plus ancien que 
l'on connaisse et datant de la deuxième moitié du XIII" siècle. D'après 
une note conservée à cette bibliothèque, les administrateurs du dis- 
trict dé Nogent-sur-Seine, possédaient vers le milieu de l'an II (1793), 
un manuscrit qu'ils avaient retiré de la bibliothèque du Paraclet. On 
ne sait ce qu'il est devenu >. — Et plus loin, page xiv, note 3 : € On 
sait' que l'un des auteurs du Roman de la Rose, Jean de Meung, a, le 
premier, traduit en prose les Lettres d'Héloïse et d'Abélard. > 

C'est par cette brève et sèche mention, que M. Gréard reconnaît 
le service rendu aux lettres par € le plus éloquent de nos vieux poètes », 
en recueillant et traduisant les épitres des deux amants. — € Seul, le 
nom d'Abélard, écrit H. Martin, ne serait plus aujourd'hui connu que 
des lettrés, uni au nom d'Héloïse, il est dans toutes les mémoires > ; et 
< sans le malheur d'Abélard, dit Michelet, Héloîse eut été ignorée. » 
(1-284). 

(i) € Jean de Meung est le premier, dit M. P. Paris, qui ait tenté 
de traduire leur correspondance, et peut-être avait-il ce dessein quand 
il entreprit la continuation de G. de Lorris. Au moins connaissait-il 
ces lettres. A l'appui d'un long plaidoyer contre le mariage, il rappelle 
l'histoire des deux amants; et le passage mérite d'être remarqué, ne 
serait-ce que pour se trouver dans un poème composé plus de trente ans 
avant le plus ancien manuscrit conservé des lettres originales. > (Hist. 
litt. de la France.) 

M. Paris commet la même erreur que celle faite par tous ses de- 
vanciers, en plaçant le Roman de la Rose au début de la vie littéraire 
de Clopinel, tandis qu'il fut presque le dernier ouvrage du poète. 



— 19 — 

Aeircd, abbé de Rcverby, en Angleterre, mort en 1 166, où 
sous forme de dialogue, l*auteur démontre qu'il ne peut y 
avoir d'amitié réelle qu'entre les personnes chrétiennes et 
vertueuses. Ce Livre et celui des Merveilles de Hirlande^ 
ne sont connus que par la mention que l'auteur en a faite 
dans le prologue de Boôce. 

Tous ces ouvrages ont été pour notre poète, un passe 
temps agréable dans l'art d'écrire et de composer; ils ont 
occupé sa jeunesse. Mais le voici arrivé à l'âge mur, 35 ou 
40 ans, ses illusions de jeune homme, et aussi^ probable- 
ment, ses amours, se sont dissipées une à une, non sans 
regrets de sa part; et peut-il dire avec son contemporain 
Denys Pirame, auteur du Partcnopcm de Ulois : 

Li jor joly de ma joenece 
S'en vont, j'arrive à la viellece 
Il est bien tens que me repente. 

C'est sans doute, sous l'impression' pénible de ces sou- 
venirs, et encore, peut-être, des ennuis ou tourments 
résultant d'une union plus ou moins bien assortie qu'il se 
met à lire un poème maintes fois déjà traduit en langue 
vulgaire, la Consolation de Boiice, où la plus belle morale 
de l'antiquité se mêle aux plus tendres sentiments de la 
résignation chrétienne. 

L'œuvre du philosophe latin l'a réconforté ; il est sous le 
charme de la lecture de ce livre qu'il reprendra souvent et 
citera fréquemment dans le Roman de la Rose; puis, à un 
moment donné, il se mettra à le traduire à son tour, pour 
faire connaître à tous, la philosophie de Boôce c Saiges 
hons et plains de proesse », devenu son auteur favori : 

Qui Boèce de confort )K lisent «l^ Consolation. 
Et les sentences qui là gisent, 

Dont grans biens as gens laiz ♦ feroit 4^ Laïques. 
Qui bien le lor translateroit 

dit-il, dans le Roman (vers 5758 et suiv., éd. F. Michel.) 



CHAPITRE II 



Jlean Clopinel devena bourgeois de Pari«. •* Son • oMtel de la 
T^roelle ». — Philippe IV« dit le Bel; enqulsse de «on rè|;no. » 
Fait la paix avee TAraiçon. — Déclare la «uerre 4 TAnslcterre. 
— Commencements de son différend avee Bonifaee VIII. •* Pria- 
clpaax conseillers da Roi. — « Ostel de la Tomelle >• •* Esquisse 
littéraire* •* Guillaume de Lorrls t le Roman de la Rote ; 
analyse. 



Riche de biens et comblé d'honneurs, Jean Clopinel, dit 
de Meung, est devenu bourgeois de Paris. Il habite, hors • 
la ville, une maison ayant tourelle (i), cour et jardin : un 

(i) On lit dans le Supplément du Dictionnaiie de Moréri : € Jean 
de Meun, dit dans son Codicille^ qu'il avait une petite maison de cam- 
pagne ou du moins de retraite dans un des faubourgs de Paris ». Nous 
n*avons rien trouvé de semblable dans le Codicille. Si on sait que notre 
poète possédait une maison désignée sous le nom d'Ostel de la Tor- 
nelle, à Paris, dans un des faubourgs, c'est d'après deux grands rôles 1 
de la taille levée sur les habitants de Paris en 1292 et 1313; le pre- j 

mier fait mention « en la grant rue de la meson mestre Jehan de 
Meun, tout contreval par devers Saint- Benoist » ; le deuxième « la [ 
seconde queste Saint* Benoist commence de l'Ostel Robert Roussel 
jusques auprès devant la meson mestre Jehan de Meun, outre la porte 
de la rue Saint-Jacques. > — Puis le Songe du prieur de Salon, 
H. Bonet et des documents du XIV» siècle publiés par Quicherat. 
Celui-ci et P. Paris écrivent que l'emplacement de cette maison ou 
ostel est occupé aujourd'hui par la maison portant le n^ 218 de la rue 
Saint-Jacques. — C'était un privilège que d'avoir une tour. Pour éta- 
^blir la situation d'un bourgeois, on disait il a une tour. Dans plusieurs 
villes du midi de la France, on voit encore quelques vieilles maisons 
ayant chacune une tour, comme marque de bourgeoisie. 

Sous les premiers Capétiens, les seigneurs féodaux dans leurs plus 
fortes guerres privées, après s'être emparé d'un château qu'ils détrui- 
saient souvent, . respectaient la tour ou donjon, considéré par eux 
comme une marque de puissance et de domination. 



— ai- 
de CCS hôtels comme en dépeint le Ménagier de Paris^ 
couvert en ardoises, à deux ou trois étages faisant saillie 
les uns sur les autres» aux gouttières en forme de monstres 
s'avançantsur la rue, avec croisées imitant celles des églises, 
escalier étroit en colimaçon ; et aux vastes pièces servant à 
la fois de cuisine, de salle à manger, de salon et de chambre 
à coucher. 

Triste et austère sur le côté de la rue, mais d^une solide 
richesse qu'on trouve encore, dit Renan, dans quelques 
provinces éloignées, n'ayant rien de Télégante maison de 
la Renaissance, Thôtel bourgeois du xiv* siècle, offrait à la 
vue une riche ornementation et des effets pittoresques sur 
la cour, et sur le jardin, lequel entouré de longs préaux, 
sillonné de haies couvertes de treilles en forme de tonnelles 
avec bancs en gazon, était divisé en compartiments régu- 
liers plantés de pourpiers, giroflées, romarins, poiriers, 
pommiers, etc., et souvent ayant, au centre, une fontaine 
où un lion versait Teau dans un bassin de pierre. 

C'est dans cette maison connue de tout Paris sous le 
nom d* « ostel de la Tornelle », et comme étant la demeure 
de Maistre Jehan de Meun\ c'est là, qu'assistant aux événe- 
ments politiques qui se pressent et se succèdent avec une 
extrême rapidité, notre poète va se consacrer à- un travail 
appelé à jouir d'un immense renom. 

Alors régnait en France, Philippe IV* du nom, sur- 
nommé le Bely dont l'administration et les vues politiques 
ont été diversement interprétées par nos historiens, et que 
des travaux récemment publiés ont fait connaître sous un 
jour tout nouveau (i). 

Ce prince était déjà roi de Navarre par son mariage, en 

(i) Boutaric. — « On ne peut nier que la royauté ne reçoive une 
nouvelle vie d'un roi qui semble inaugurer notre état social, de Phi- 
lippe le Bel que les peuples étrangers appelaient le Grande Filxppo ■ 
/t Grande (Villani), et de qui les services à force d'avoir été maudits 
par les uns, ont été méconnus par les autres. La politique de son régne 
victorieuse sous ses trois fils, de puissantes réactions, est suivie par les 
Valois, qui, malgré leurs fautes et leurs revers, continuent de fonder 
l'unité française » (Ilist. litt. de la France, 24.VII.) 



— 22 — 

1284» avec Jeanne, héritière de ce royaume, lorsqu'il se fit, 
à 17 ans, sacrer à Reims, le 6 janvier 12S6, quelques mois 
après la mort de son père Philippe III, arrivée le 5 oc- 
tobre 1285, à Perpignan, au retour de Texpédition de 
Catalogne. 

En montant sur le trône, Philippe IV s'entoura de 
conseillers capables pris parmi la bourgeoisie, tels : Pierre 
Flotte, Enguerrand deMarigny, Nogaret, Plasian, Momay, 

I Latilly, etc., qui changèrent le caractère de la politique 
qui avait jusque là prévalu sous les règnes précédents. Ils 
furent, dit Michelet, les fondateurs de l'ordre civil aux 
temps modernes. 

Les frontières de la France étaient, à cette époque, à peu 
près les mêmes que celles qui furent attribuées quatre 
siècles et demi auparavant au royaume de Charles le 
Chauve, par le traité de Verdun (843), lors du partage du 
vaste empire de Charlemagne. Au nojd, la Manche; à 
l'ouest, rOcéan; à l'est, l'Escaut, la Meuse, la Saône et le 
Rhône; et au sud, les Pyrénées et le cours inférieur de 
TEbre. Philippe IV eut pour préoccupation constante de 
chercher à constituer l'unité territoriale de la France et à 
lui donner ses frontières naturelles, les Alpes et le Rhin. 
Ses guerres contre l'Aragon, l'Angleterre, les comtes de 

• Flandres, de Bar et autres grands vassaux n'eurent pas 
d'autre but; ainsi que ses relations diplomatiques et ses 
fréquentes entrevues à Vaucouleurs avec les empereurs 
d'Allemagne, Rodolphe de Hapsbourg, Albert de Nassau 
et Albert d'Autriche. Et s'il ne réussit pas entièrement 
dans la réalisation de ce désir de grandeur, il put, dit 
Boutaric, s'applaudir d'avoir frayé le chemin et préparé 
l'extension future de la France (i). 

(i) Girart d'Amiens, dans son Charlemagne] qu'il composa de X2S5 
à 1314., dit que la France, à cette époque, était la contrée qui s'étend 
entre la Loire et le Rhin : 

Entre Loire et le Rin tant com Ion puet errer 
Souloit-on le pais adonc France clamer. 

Strabon parlant de la Gaule, de sa situation géographique, de ses 



— 23 - 

C'est donc dirigé par cette pensée que ce roi fier et 
impétueux, plus puissant que pas un de ses prédécesseurs, 
et qui fut un moment sur le point de réunir dans ses 
mains tout ce qui constituait TEmpirc d'Occident, com- 
battit avec acharnement contre la féodalité, les empiéte- 
ments du clergé et de la cour de Rome; et admit pour la 
I première lois le Tiers-Etat aux Assemblées de la Na- 
tion. 

Des loissomptuaires, des réformes dans l'administration 
des finances et des autres parties du gouvernement, la 
réorganisation de la justice et de Tarmée; les exactions 
iiscales et l'altération des monnaies (i), l'abolition de 

fleurSi de ses montagnes, de son climat, de ses habitants, la repré- 
sente comme la région choisie entre toutes, et appelée par la Provi» 
vidence à de hautes destinées. Cette appréciation du grand géographe 
grec, transmise à travers les siècles, fut recueillie par nos anciens 
poètes; 

L'auteur du Couronnement Loys : a Quand Dieu fonda cent royaumes, 
le meilleur fut celui de douce France^ et le premier roi que Dieu y 
envoya fut couronné sur l'ordre des anges. Et c'est pourquoi toutes 
terres dépendent de France. » 

Jean Bodel, dans sa Chanson des Saxons .* 

Le premier roy de France fîst Diex par son commant 
Coroner a ses angeles dignement en chantant 
Puis le commanda estre en terre son sergent 
Tenir droite justise et là loy mètre avant. 

Pour Jeanne d'Arc : < Le royaume de France, c'est le saint royaume, 
le royaume de Jésus-Christ, roi du ciel et de toute la terre, le royaume 
de Dieu. » 

C'est sans doute à ces anciennes traditions répandues dans les poé- 
sies romanes du moyen-âge, qu'il faut reporter les titres de fils 
aîné de VEgltse et de roi très-chrétien qui furent donnés aux souve- 
rains de la Fraiice dès le Xlie siècle et môme au viii« siècle. En 755, 
Etienne III qualifia Pépin de roi très-chrétien : le môme titre fut donné 
à Charles le Chauve, au concile de Savonnières, en 859. Mais ce titre 
ne devint la qualification propre des rois de France qu'à partir de 
Louis XL 

(i) Dans cette altération des monnaies contre laquelle on fit alors 
plus d'une satire en latin et en langue vulgaire, faut-il peut-être voir 
une des conséquences du nouveau règne. < Le gouvernement deve- 
nait de jour en jour plus central et coûtait plus ; il fallait une milice 



- 24 — 

Tordre des Templiers et le procès de ses trois brus impu- 
diques, tels sonty avec son différend avec la Papauté» les 
principaux faits résumant le règne de Philippe le Bel qui 
joignit à la couronne les comtés d*Angouléme, de Bar, de 
Bourgogne, de la Marche, Lyon, etc., Il mourut en i3i4, 
âgé de 46, ans après en avoir régné 29. 

Philippe IV vient de terminer la longue guerre avec la 
maison d*Aragon, aux phases si diverses de succès et de 
revers (1291)^ en faisant épousera Frédéric d'Aragon, roi 
de Sicile, une fille de Charles II d*Anjou, roi de Naples, et 
éteint ainsi la rivalité qui existait entre ces deux maisons. 
Tranquille de ce côté de Tltalie et de celui de TEspagne, 
dont toutefois, il garnit de troupes les frontières, Philippe 
s*assurederalliancedu roi d'Ecosse et desGalIoisqu'il engage 
à rompre les trêves avec les Anglais,— reprend la lutte contre 
le roi Edouard et ses alliés les comtes de Bar, de Brabant, 
de Flandre et le roi des Romains. Et sur le refus d'Edouard 
de se rendre à la Cour des Pairs pour y répondre des courses 
. faites sur mer, par les Anglais contre les navires français, 
à la suite d'une rixe de matelots survenue à Bayonne(i292), 
le roi lui déclare la guerre : une armée sous le com- 
mandement du connétable de Nesle et du comte de Valois, 
entre en Guyenne, s'empare de Bordeaux, de Bayonn^e et 
de toutes les places occupées par les Anglais; combat et 
défait le prince Edmond, frère d'Edouard, et le comte de 
Richemond. 

Mécontent du nouveau pape Boniface VIII (1294) qui, 
affectant une souveraineté absolue sur tous les princes de 
la terre, lui avait ordonné, sous peine d'excommunication, 
de conclure une trêve avec le roi d'Angleterre, puis de 

qui était aux ordres du roi, et, comme les dépenses de l'état n'étaient 
pas partagées par la noblesse et le clergé, il eut recours au moyen 
qu'on lui reproche. Ainsi firent l'empereur Charles IV, Edouard III, 
Henri V. — Donc, sans vouloir approuver la conduite de Philippe IV, 
on peut la défendre contre quelques préventions à cet égard. > (Hist. 
litt. de U France, 24-152.) 



— 25 — 

mettre en libcné la iîlle du comte de Flandre que ce der- 
nier, vassal rebelle, avait fiancée au fils d'Edouard; d'avoir, 
en outre, sans son assentiment, distrait du diocèse de Tou- 
louse et érigé en ôvêché, Tabbaye de Saint-Antonin de Pa- 
miers; et enfin, d'avoir empêché le clergé séculier et régulier 
de donner les subsides qui lui étaient nécessaires pour faire 
la guerre contre l'Angleterre (i), le roi de France se pré-, 
pare à résister avec vigueur, aux prétentions de la Cour de 
Rome (Mézerai, Velly, H. Manin, Fleury, Boutaric). 

En présence de ces faits qui sont gros de conséquences, 
le vieux sang gaulois de Jean Clopinel se réveille. Il veut, 
lui aussi, à l'exemple de tant d'autres bourgeois, être mili- 
( tant et prendre part aux luttes que le roi va avoir à sou- 
tenir tant contre la Noblesse que contre la Papauté. Uosiel 
de la Tomelle dût alors voir s'y tenir maintes réunions de 
bourgeois, de publicistes et de poètes, sincères gallicans, 

(i) L*expédition de Philippe III contre I* Aragon fut considérée 
comme une croisade avec indulgences et levée de décimes. Quand 
elle liit terminée, le Pape invita Philippe IV, à consacrer à une expé- 
dition en Terre Sainte, les sommes provenant des décimes qui n'avaient 
pas été employés. Il est inutile, dit Boutaric, d'ajouter que Philippe 
garda tout et entreprit de prouver que loin de rien devoir, c'était le 
Saint-Siège qui était son débiteur pour des sommes importantes. 

Benoit Cajetan, docteur en droit civil et canonique, fut chanoine 
de Paris et de Lyon, cardinal du titre de Saint-Nicolas (1281), puis 
cardinal prêtre désigné pour terminer les différends entre les rois de 
France et d'Angleterre, les rois de Sicile et d'Aragon. Elu pape le 
24 décembre 1294, sous le nom de Boniface VIII, il eut les mêmes 
prétentions que Grégoire VII : Le pontife romain seul peut prendre 
le titre d'universel ; seul il peut porter les insignes impériaux, il a dans 
le monde un nom unique, celui de Pape; le droit de casser les sen- 
tences de tous et nul empereur casser la sentence rendue par lui; à lu; 
seul les princes de la terre doivent, baiser les pieds, et, ordonné cano- 
niquement, il devient aussitôt par les mérites de Saint- Pierre indu- 
bitablement Saint. (Célibat, p. 346.) 

A son élévation, Boniface qui pouvait se croire plus qu'un homme 
mtnor Deo^ major homme, dit en prenant une épée : < c'est moi qui 
suis César, c'est moi qui suis l'empereur ! ». Il se posa en souverain 
absolu de l'Eglise dans le spirituel comme dans le temporel, dispensa- 
teur des couronnes, juge et arbitre des peuples et des rois. (Hist. litt. 
de la France^ 25.3. H. Martin, 4.423). 



— 26 - 

conrimentant et discourant sur ces cvcncmcnts. Là, maître 
Jean de Aleung, y reçut Engucrrand le Portier, seigneur de 
Marigny, comte de Longueville, chambellan et trésorier 
du roi, capitaine du Louvre, coadjuteur et gouverneur de 
tout le royaume, qui t du roy sa volonté faisoit ». II devait, 
sous le règne suivant, finir aux fourches patibulaires de 
Montfaucon. Son frère Philippe, archevêque de Sens, prit 
une part très active au procès des Templiers. 

Guillaume de Plasian (ou du Plessis), seigneur de 
Vezenobre, chevalier; quelques années après, dans l'as- 
semblée tenue à Paris, il accusa Boniface de tous les 
crimes. 
. Guillaume de Nogaret, seigneur de Cauvisson, profes- 
V seur en droit civil à Montpellier, juge-ïnage de Nîmes, fait 
chevalier par le roi en 1297, et depuis employé par lui en 
plusieurs affaires importantes; garde dcs.sceaux et chance- 
lier de France en 1 307-8, — Tige des ducs d'Épernon ; son 
aïeul avait été briilé comme hérétique, patarin; Boniface 
lui en fit le reproche. 

Pierre Flotte, chevalier seigneur de Revel, d'Auvergne, 
le conseiller assidu du roi et « Tune des principales causes, 
dit Mézerai, des maux de la France ». Homme violent et 
avare que Boniface appelait a ce nouvel Achitophel, cet 
hérétique, cet homme du diable, bélial, borgne des yeux 
du corps et entièrement aveugle de ceux de l'esprit », — 
Pierre Flotte était, en effet, borgne; il fut tué en combat- 
tant à Courtrai, en i3o2. 

Jean de Vassoigne, chanoine de Tournay, puis évêque 
de cette ville (1292), avocat au Parlement du roi, chance- 
lier de France. 

Guillaume de Crespy, archidiacre de Féglise de Paris, 
chancelier de France de 1293 à 1296, membre du Parle- \ 
ment et des comptes, résidant auprès du roi. 1 

Pierre de Mornay, évêque d'Auxerre (12C15), conseiller [ 
du roi et chancelier en i3o4. | 

Pierre de Latilly, archidiacre, puis évêque de Châlons; j 
chancelier en i3x3. Emprisonné sous Louis X, comme | 



accusé d'avoir empoisonne Philippe IV, il revint en faveur 
sous Philippe V. 

Godefroy de Paris, bourgeois, présumé être Tauteur de 
^ la Chronique tnétrujue ou il délend le roi contre les nobles 
et la papauté. 

Jean de Paris, de Tordre de Saint-Dominique, professeur 
en théologie de la Faculté de Paris, qui dans son ouvrage 
des droits des rois et des papes {Tractalm de Potestatc 
rcgisct papœ)^ composé plus tard, à Toccasion du diftérend, 
devait réfuter les prétentions ultramontaines. 

Gilles de Rome (Egidius-Colonna), de la famille des 
Colonna, précepteur de Philippe IV, docteur, général des 
moines Augustins, archevêque de Bourges (1296); écrivit 
en i3o2, sur la demande du roi, un Traité du Gouverne- 
j( ment des princes {De regimine principian), pour prouver 
que l'autorité du pape ne s*étend point sur le temporel. 

— Son parent, Sciarra Colonna, le plus turbulent et le 
plus féroce des barons italiens, banni d'Italie par Boniface 
et fait prisonnier par des pirates, avait été racheté par Phi- 
lippe IV, à Marseille. C'est Sciarra qui, à Agagni, arracha 
I de son trône le pape, et le frappa, dit-on, au visage, de son 
gantelet de fer. 

François des Rues, poète, composa le roman de Fauvely 
' où il soutint la politique royale. 

Jean Piqueàne (Pungensasinum) et Guillaume Ockam, 
tous les deux docteurs de TUniversité, se constituèrent les 
champions du roi, en combattant, le premier dans le parvis 
[ de Notre-Dame, et le second du haut de la chaire, les pré- 
tentions de Boniface VIII. 

Pierre Dubois ou Dubosc (de Bosco), avocat des causes 
royales ecclésiastiques au bailliage de Coutances, fut, avec 
Clopinel, un des plus anciens représentants des idées mo- 
dernes. Et, comme notre poète, dévoué au roi ; — sa plume 
I hardie, ingénieuse et féconde attaqua la noblesse, le clergé, 
et gallican lutta contre la Cour de Rome. Sur l'ordre de 
Philippe, il fit un travail dans lequel il nia au pape la puis- 
sance temporelle sur les peuples et les rois. Ses écrits contre 



- 28 — 

les Templiers, contre le célibat des prêtres et des moines, 
et pour engager Philippe IV à se faire élire empereur d'Al- 
lemagne ; ses idées politiques, prouvent que Dubois ne 
rêvait rien moins pour la France, dès cette époque, que 
Tempire des mers, la conquête de Constantinople et de la 
Terre Sainte, et tout un système de colonisation en Orient. 
Dans cet « ostel de la Tornelle » , Marigny, Pierre Flotte, 
Nogaret^ Plasian, Dubois, initiés aux vues politiques de 
Philippe, durent donner le mot d'ordre pour disposer les 
esprits en faveur de la cause royale qui était celle de la 
nation. — On peut dire que 1' « ostel de la Tornelle », fut 
Tarsenal d'où partirent les mille traits satiriques contre la 
Noblesse, le Clergé et la Cour de Rome qu'on lit dans Bail- 
\\douin de Sebourg, Renart le Contrefait^ le Roman de la 
Rose, Fauvel, la Chronique métrique^ les écrits pamphlé- 
taires de Dubois, etc. 

 cette époque de transition, on voit également un chan- 
gement se produire pour les lettres, comme pour la poli- 
tique gouvernementale. 

La mort héroïque de Roland et des douze pairs à Ron- 
cevaux; les luttes féodales qui se lisent dans Girart de 
Roussillon, Ogier le Danois, les quatre fils Aymon; les 
amours de Tristan et de la belle Iseult, de Lancelot et de 
la reine Genièvre et autres romans du cycle d'Artus et de 
. la Table Ronde ; la guerre des Grecs et des Troyens, les lais 
de Marie de France, les amours d'Abélart et d'Héloïse et 
tant d'autres compositions que les trouvères, accompagnés 
de leurs jongleurs ou ménestrels allaient chanter ou raconter 
au gré des assistants, de ville en ville, de castel en castel, 
ou sur les places publiques, dans les carrefours, près des 
églises au moment des Corps-Saints et des pardons, au 
milieu des bourgeois et des vilains assemblés, sont main- 
':(j tenant peu écoutés et remplacés par une littérature plus 
'ijl appropriée aux circonstances. Une ère nouvelle d'idées, dit 
Géruzez, va rejeter dans l'ombre toute cette poésie che- 
valeresque et amoureuse. Et au Roman du Renard, aux 



- 29 — 

fabliaux et autres compositions où l'esprit frondeur se ma- 
nifeste d'une manière si générale, va se joindre un autre 
ouvrage important où toutes les institutions du moyen-âge : 
noblesse, chevalerie, galanterie, clergé, royauté, vont être 
battues en brèche avec un immense succès. 

Se rendant au désir du roi pour qui, déjà, écrivaient et 
combattaient poètes, romanciers et publicistes(i), Clopinel 
fait choix d'un poème populaire, le Roman de la RosCy alors 
entre toutes les mains, à la Cour comme dans les castels, 
et dont les vers étaient }us et chantés en .tous lieux par les 

y (i) C'est Papyre Masson qui, croyons-nous, a, le premier, écrit que 
Clopinel, avait continué le Roman de la Rose sur l'ordre de Philippe : 
« Johannes Meunius poeta hoc rege vixit. Hic est ille Meunius qui 
Gallicum poema cui Rosae nomen, divi Ludovici temporibus a Willelmo 
Lorriaco inchoatum absolvit. Meunius idem Boetii libros de Consola- 
tione, in Gallicam linguam convertit... Praefatur eam ab se factam 
Philippi mandato, quo impulsore Rosam poema absolvent... in Galli- 
cum sermonem converterit ». — Avant lui, on ne trouve aucun texte, 
qui vienne confirmer son dire. Ne serait-ce pas d'après les miniatures 
de quelques manuscrits de ce Roman, où le poète est représenté 
offrant son travail au roi, ainsi que le montre pour la Consolation de 
Boèce, une gravure qui se voit dans les Monuments de Montfaucon, 
et reproduite dans l'Histoire de France, de Michelet? ^ Dans tous 
les cas, l'assertion de P. Masson Joit être acceptée comme vraie. Jean 
de Meung a continué le Roman sur l'ordre et d'après les vues du roi, 
comme firent également pour Philippe IV, dans le môme but : J. Gié- 
lée, G. de Rome, G. de Paris, J. de Paris, F. des Rues. 

> Déjà, Philippe-Auguste, pour attaquer le clergé, avait déchaîné 
contre lui, la verve satirique de son médecin, Gilles de Corbeil (Hist. 
litt. de la France, 24-14.7). — Plus tard, on vit Louis XII, pour se 
concilier l'opinion publique dans sa lutte contre Jules II, user du 

y même moyen, en employant le talent satirique de Pierre Gringoire, 
dont les pièces, farces, soties, moralités ont toutes un caractère poli- 
tique. Gringoire qui avait pour devise : « Tout par raison, raison par 
tout > osa, dans le ^eu de Mère Sotte ^ mettre en scène l'église et le 
pape et les appeler Mère Sotte et l'Homme Obstiné, 

Louis XIV et Napoléon I®"^ agirent de môme. On sait que ce der- 
nier, excommunié par Pie VII, à propos du différend survenu entre' 
eux au sujet de l'institution canonique des évèqucs de France, irrité 
du bref publié par le pape le 2 septembre 181 x, commanda à Pigault- 
Lebrun, célèbre romancier, de faire le Citateur, violente satire contre 
les livres saints, la religion chrétienne et le Pape ,* et voulut en mcUrc 
10.000 exemplaires en circulation. 



- 30 — 

ménestrels; il se propose, dans ce travail, de servir utile- 
ment et activement les vues du roi, tout en conservant sa 
liberté d'action et son indépendance d*écrivain. 

Ce Roman^ devenu le vdde mecum des châtelaines et 
(\des chevaliers, le sujet de mille dissertations et de discus- 
sions subtiles et galantes, était Tœuvre d*un chevalier du 
pays Orléanais, Guillaume de Lorry, ou Loury, dit de 
Lorris^ issu d'un puîné des seigneurs de Loury-aux-Bois. 
Dans notre Étude sur ce dernier poète, nous pensons 
avoir démontré, en nous appuyant sur plusieurs passages 
du Roman de la Rose^ et d'après les mœurs et l'éducation 
alors donnée à la jeune noblesse, qu'il était de noble race 
et non d'une famille bourgeoise de Lorris en Gâtinais, 
châtellenie royale (i). Puis expliqué, comment lui était 
venue la pensée d'écrire ce poème. 

Épris d'une jeune personne de trop haut lignage pour 
lui, fils d'un putné des sires de Loury, presque sans pos- 
session de fiefs, et pour cette raison, craignant de voir la 
famille de celle qu'il aimait, mettre obstacle à sa poursuite 
amoureuse, Guillaume, imagine de chanter ses amours, 
discrètement^ de façon à n'être compris que d'elle seule. 
S'inspirant d'un poème de Pierre Vidal, un des plus illustres 
poètes de la Langue d'oc(2),'puis de VArt d'Aimer d'Ovide, 
il compose le /?oma?i delà Rose^ dans lequel il désigne sa 
dame, sa mie, sous le nom charmant et allégorique de 
Rose (3), et où les personnes et les choses qui lui sont con- 

(i) Voir Appendice II. 

(2) Plusieurs auteurs prétendent^ entre autres MM. G. Paris, Lan- 
glois, que pour son poème, Guillaume s'est inspiré du Fablel du Dieu 
d'Amour, de Pampht'lus, la Clef- d'Amour, du Dit de la Jiose;.ctl2L ne 
serait pas impossible, mais nous préférons nous arrêter à l'œuvre de 
P. Vidal qui offre tant de similitude avec celle du poète Orléanais. 

(3) La comparaison d'une jeune fille à une fleur, rose, violette, 
.églantine, etc., était un lieu commun dans la littérature d'alors. Les 

poètes du midi affectaient pour leurs dames les noms de Fleur de lys, 
Bel-Espoir, Bel-Cavalier, BelVeser, Bel-Regard, etc., afin, dit l'un 
d'eux de mettre en défaut, les envieux, les médisants et aussi les maris 
jaloux. 

« Si dans l'héroïne du Roman de la Rose, l'auteur a voulu mettre en 



— 31 — 

traires, sont également représentées sous la forme allégo- 
rique. 
L'œuvre de Guillaume de Lorris débute par ces deux 

vers : 

Ci est le Rommant de la Rose, 
• Ou tout l'art d'amours est enclose (i) 

Pour être plus à l'aise pour nous conter, nous initier 
à rhistoire de ses amours, le poète suppose un songe tout 
en disant « qu'on peut tels songes songier », celui qu'il va, 
entre autre, rimoyer « qui ne sont mie mensongien » 



Au vingtiesme an de mon aage, 
Au point qu*Amours prend le péage 
Des jeunes gens, couchié m'estoye 

scène,. ce qui n'est ^zs invraisemblable ^ dit M. Langiois, une jeune 
fille dont il recherchait ou dont il possédait les faveurs, celle pour 
qui, il a entrepris son poème, il ne pouvait pas, sans la compromettre, 
livrer au public son véritable nom. Pareille indiscrétion n'a jamais été 
comprise parmi les licences qu'on accorde volontiers aux poètes ».(p.36.) 

Les deux vers : c Mais en songes, oncques riens n'eut. Qui advenu du 
tout ne soit » et ceux qui suivent où la dame est désignée discrète- 
ment sous le nom de la Retne des fleurs, ne laissent aucun doute sur 
l'interprétation qu'il convient de donner à Tœuvre du poète. Nous ne 
comprenons donc pas l'hésitation de M. Langlois sur ce point; et 
encore moins le dernier éditeur de notre Roman qui, pour le cha- 
pitre I de son analyse, donne la glose suivante : 

« Comme nous l'avons dit... en ce roman tout est allégorique. Nous 
ne devons donc pas voir simplement dans ces lignes le commence- 
ment d'une aventure que le romancier veut nous raconter. Vamant 
a vingt ans, le printemps pour nous. La grande plaine^ c'est le monde; 
la rivière, c'est la vxV, qui s'épanche à son début au milieu de la ver- 
dure et des fleurs. En un mot, la jeunesse est le plus beau moment de 
l'existence, sans soucis et sans inquiétudes, Vamant voit couler ses 
jours » (I-XXXII.) Cette interprétation amphigourique de M. Crois- 
sandeau est digne d'être jointe à celles écrites par Molinet et Marot 
sur ce même Roman. 

(i) Pour ce travail d'analyse du Roman, nous nous sommes servi, 
(comme pour notre Etude sur G. de Lorris), de l'édition Fournier et 
Didot, Paris, an VII, dont le texte est d'une forme moins archaïque 
que celui des éditions Michel et Croissandeau. Pour certains passages, 
nous avons consulté les différentes éditions. 



,^ 



— 32 — 



Une nuyt comme je souloye *, 
Et me dormoye moult formant *, 
Si vy un songe en mon dormant, 
Qui moult * fut bel à adviser 
Comme vous orrez * deviser : 
Car en advisant moult me pleut *, 
Mats en songes, oneques * rtens n'eut 
Qui advenu du tout ne soit 
Comme l'istoire le reçoit. 
Or veuil ce songe rîmoyer. 
Pour vos cueurs plus fort esgayer, 
Amours le me prye et commande, 
Et se nul2 ou nulle demande, 
Comment je vueil que ce Rommans 
Soit appelé, que je commans *, 
Qu€ c'est le Rommant de la Rose 
Ou l'art d'amours est toute enclose, 
La matière en est bonne et brief ve ; 
Or doint *Dieu qu'en gré la reçoive. 
Celle pour qui je Vay empris ♦, 
C'est une dame de haultpris; 
Et tant est digne d^estre amée. 
Qu'elle doit Rose estre clamée ( i ]• 
Advis m'estoit à ceste foys 
Bien y a cinq ans et cinq moys, 
Que ou moys de may je songoye 
Ou temps amoureux plein de joye, 
Qu'il n'y a ne buissons ne haye 
Qui en celluy temps ne s'esgaye, 
Et en may parer ne se vueille 
Et couvrir de nouvelle fueille. 



* J*avajs coutaae. 

* Fortement 

* Beaueoap. 

* Entcndrtf. 

* Plut. 

* Jamais. » 



* Commence. 



. * Donne. 
* Entrepris. 



Puis une description de la saison nouvelle, du printemps; 



(i) C'est celle que plus loin, le poète va désigner sous l&^nom de 
Beauté^ puis dans le cours du poème, sous celui de Bel-Acueil, On a 
prétendu, M. Gréard, entre autres, que pair Ia Dame de Beauté , la Rose, 
Clopinel avait voulu faire le portrait d'Héloïse. — C'est là une erreur 
facile à rectifier, puisque ce portrait se lit aux vers 999 et suivants com- 
posés par G. de Lorris qui, pour décrire la beauté et les charmes de 
sa Rose, pensait peu ou point à l'amante d'Abélard c qui n'était ni 
belle ni laide » quoiqu'en disent Michelet, de Rému.^t, Oemogeot, etc. 
(quœ quum per iacicm non esset inBnia, per abundantiam litterarum 
erat suprema... Lettre i^*, p. 16. Gréard.) 



— sa- 
la terre oubliant la « povreté ou tout l'iver elle a esté », 
prend alors sa robe vermeille, se pare de mille fleurs ; les 
arbres recouvrent leur verdure et les oiseaux, de toutes 
parts, font entendre leurs chants mélodieux : 

En celluy temps délicieux. 
Où tout riens d*amer s'esjoye. 
Songeay une nuyt que j'estoye 
Me fut advis en mon dormant 
Qu'il estoit matin proprement : 
De mon lit tantost me levay, 
Me vesty et mes mains lavay ; 



Hors de ville euz talent * d'aller * Dêtir. 

Pour oyr * des oyseaulx les sons, * Entendre. 

Qui chantoient par les buissons 
En ladite saison nouvelle ; 

Et seul, en s*ébattant, Guillaume s'approche d'une 
rivière dont l'eau descendant d'un tenre, était rapide, 
froide et claire comme celle d'une fontaine ; — après s'y 
être rafraîchi le visage et lavé les mains, il arrive à : 

ung vergiergrant et lé * ♦ Large. 

Enclos d'ung haut mur bastillié, 

Pourtrait dehors et entaillié 

De maintes riches empraintures (i ). — 

(i) Il feint (G. de Lorris) que les murs sont surmontés de statues qui 
représentent tous ces vices et toutes ces infirmités de la société du 
monde » (P. Paris, hist. litt. 23-3.) 

€ Le jardin de Déduit n'est réservé qu'à un petit nombre d'élus ; 
pour y entrer, c'est-à-dire pour goûter dignement toutes les jouis* 
sances de l'amour, il faut être gai, avenant, beau, riche, généreux, 
franc, courtois, jeune et désœuvré. Nul par contre, n'y saurait pénétrer 
s'il est haineux, félon, convoiteux avare, curieux, triste, vieux ou mi- 
sérable. Ceux-là ne savent pas ce que c'est que d'aimer et personne 
non plus les aime », (Croissandeau, I-XXXHI.) 

L'auteur des Mystères de la Chevalerie et de l* Amour platonique au 
Moyen" Age, prétend que la première partie du Roman de la Rose, est 
une composition d'essence albigeoise et que son auteur appartenait a 
cette secte. V. Appendice VI de notre Etude sur G, de Lorris, 

3 



— 34 — 

Celles de : 

« La Hayne. — Qui de grant courroux et d*atalne (res- 
sentiment), sembloit bien estre tanceresse (courroucée) ; 

c Felonnye, — Pourtraite d'une palle guise, bien sem- 
bloit ymage deffaicte ; 

a Vilenye. — Maie créature, mesdisante et ramponneuse 
(railleuse); 

« Convoytise. — Qui les gens atise (excite) de prendre ' 
et de riens donner ; 

i( Avarice, — Laide, sale et soillée, maisgre et chétive ; 

« Envye. — Qui ne rist oncques en sa vie, n'oncques de 
riens ne s'esjoit ; 

<c Tristesse. — La douloureuse, la chétive, de jr>ye en 
riens ne luy chaloit; ne jamais ryre ne vouloit ; 

« Vieillesse. — Au visayge ilaitry qui retoumoit )à en 
enfance ; 

« Papelardie. — Qui de nul mal faire ne se tarde (i); 

(i) Rutebœuf qui, pour plusieurs de ses pièces, s'est inspiré de 
l'œuvre de G. de Lorris, a, dans son Secrestain, repris le personnage 
allégorique de Papelardùt créé par le poète Orléanais. P. Gringoire, 
dans le y eu de Mère Sotte, le représente sous le nom d'hypocrisie : 

Devant les gens prier Dieu je me acquitte 

Mais en secret, je fais plusieurs oultrages; 

Feignant manger crucifix et images 

Pense à mon cas, trompant maint homme et femme 

Tout suis à Dieu, fors que le corps et Tâme. 

Papelardte, adopté par Rabelais, a remplacé Renardie^ comme le 
premier devait céder la place à Faulx'Semhlant^ et ce dernier à Tar- 
tuffe. — Quelle est l'origine de ce substantif? — On le fait venir du 
bas latin trufa; trufare. Le mot truffe était souvent employé par nos 
vieux auteurs, comme synonyme de friponnerie, moquerie, plaisanterie, 
et l'on appelait truffléeur^ un fripon, un trompeur, un plaisant. Le Ro- 
man de la Rose, en fournit plusieurs exemples. Au sujet de la Comédie 
de ce nom, de Molière, on raconte cette anecdote : € Molière, avant 
de finir sa pièce, ne savait quel nom donner à son imposteur, lorsqu'un 
jour, étant chez le nonce avec deux ecclésiastiques, dont Tair mortifié, 
mais faux, rendait assez bien l'idée du caractère qu'il voulait peindre, 
on vint présenter des truffes à acheter. Un de ces pieux ecclésiasti- 
ques, qui savait un peu d'italien, à ce mot de truffes sembla, pour les 
considérer, sortir tout à coup du dévot silence qu'il gardait, et choi- 



- 35 — 

ff Povreté, — Ung seul denier ne voit pas s'elle se deust 
pendre. » 

Après avoir examiné toutes « ces ymayges en or et en 
azur de toutes pars painctes au mur », Guillaume s'ap- 
proche de la porte du « vergîer flory » gardé par 
t Oyseuse, noble pucclle moult grande et belle, aux che- 
veulx blons que couvre ung chappel de roses tout frais (i), 
n'a soucy de nulles riens fors seuUement de penser à son 
aomement » ; et entre dans ce « vergier, lieu délectable, 
vray paradis terrestre où sont mille oyseaulx aux chans 
mélodieux. » — Il ne se lasse point de regarder ces lieux 
enchanteurs ou Diduyt « bel, long et droit » est « s'esbatant 
avec gens de toute beaulté garnyc » ; il fait quelques pas 
et voit venir à lui Courtoysie qui l'invite à prendre part 
aux danses où sont « harpeurs, fleûteurs et jongleurs » 
faisant caroller et danser une nombreuse et brillante com- 
pagnie, à laquelle il se joint. 

Guillaume aperçoit d'abord le Dieu d'Amours^ et, près de 
lui, une dame de liault prts^ nommée Beatilii, si belle, en 
effet» qu'elle n'a pas sa pareille au monde : 

Moult grant douleur au cueur me touche 

Quant de sa beauté me remembre *, * SouTient. 

De la façon de chascun membre ; 

Si belle femme n'a au monde. (2). 

sissant saintement les plus belles» il s'écria d'un air béat : c Tartu/i, 
iartufi^ s^ig^or nutuio ! > — Molière, qui était toujours un spectateur 
attentif partout» prit de là l'idée de donner à son imposteur le nom de 
Tartufe ^ que la scène qui venait de se passer sous* ses yeux lui faisait 
trouver tréa plaisant ». ^~ Se n<m é vero i bene trovaio, — En Italien» 
Tartufo est synonyme de bigot» cafard» faux dévot. 

(1) La corporation des chapeliers de fleurs qui» dans la beUe saison, 
tressaient les chapels et couronnes de roses^ etc.» dont on se coiffait 
dans les classes élevées» comme on le lit dans les romans du moyen* 
^e» était une des principales de Paris ; elle jouissait de nombreux 
privilèges énumérés dans le Livre des Métiers de Parts. 

(a) Dans notre Siude sur G, de Lorris, nous disons (p. 73) que des 
éditions donnent douceur au lieu de douleur, Thibaut de Navarre 
manifeste dans ses chansons» soit une grande j'oie, soit une grande 
douleur^ lorsque le souvenir de sa dame se présente 4 sa pensée. 



— 36 — 

dit-il ; ses regards, sans cesse et malgré lui, se dirigent 
vers elle, et une grande joie remplit son cœur. — Puis il 
voit d'autres belles dames de « grant haultesse, de grant 
pris et de grant affaire » qui ont pour noms : Richesse^ Lar- 
gesse, Franchise^ Courtoysie et Oyseuse{î): 

Ainsi caroloient * illecques ** * Daniaicnt. ^ Là. 

Tous ces gens et d'autres avecques 

Qui estoient de leur mesgnée *, * Suite. 

Bonne gent et bien enseignée, 

Et gens de bel gouvernement 

Estoient tous communément. 

Le cœur livré aux doux pensers, notre poète se met 
à parcourir le vergier; il admire la fontaine d*amour 
dont Teau claire, est comme un miroir, reflétant tout ce 
qui se passe dans le jardin de quelque côté que Ton regarde. 
A l'exemple du beau Narcisse, dont il lit et raconte l'his- 
toire écrite sur t une pierre de marbre », placée près de 
ladite fontaine, Guillaume s'incline et se mire dans l'eau : 

De maie heure m'y suis miré, 
J'en ay depuis moult souspiré. 



Au miroir entre mille choses 

Choisy * rosiers chargiés de roses, * Je vis. 

Qui estoient en ung détour 

Clos d'une haye tout entour. 

11 s'y dirige. Là, est un « monceaulx de roses » si belles 
qu'il veut en cueillir « une vermeille et fine, exhalant 
une oudeur qui parfume l'air. » Mais, au moment où il 
avance la main pour accomplir ce désir, paraît soudain le 
Dieu d'Amours qui, l'épiant caché derrière un figuier, lui 

L'un ou l'autre de ces mots, peut être employé, selon la disposition 
d'âme de l'amant. V. p. 42, note. 

(x) € Admis dans ce séjour, Guillaume parmi beaucoup de roses, 
les unes déjà très épanouies; les autres à peine en tr'ou vertes, distingfue 
un jeune bouton plus frais, plus parfumé que toutes les autres fleurs : 
c'est l'allégorie transparente de la femme qu'il aime et dont il vou- 
drait se faire aimer > (P. Paris, hist. litt. de la France, 23-4.) 



— 37 — 

décoche successivement à roreilic, à Tceil et au cœur plu- 
sieurs flèches. Ainsi blessé et pieurtri, VAmant-poète 
se rend au Dieu dt Amours qui le reçoit à merci ; lui donne 
à la bouche le baiser de vasselage (i) ; puis prenant dans 
son aumônière « une petite clef bien faite de fin or esméré », 
le touche au côté gauche et ferme son cœur si doucement 
qu*à peine Guillaume sentit la clef. Et cela fait, le Dieu 
d'Amours lui enseigne les lois que doit connaître et suivre 
tout vrai poursuivant d'amour (2). 

— Fuir vilenie, ne mal parler de son prochain, être sage 
et affable aux gens grands et petits ; saluer le premier et 
éviter les vilains propos qui ne sont pas d'hommes courtois ; 
honorer et servir lés dames et faire à leur plaisir ; blâmer 

• et faire taire ceux qui vont les desprisant (3), fuir orgueil 
qui ne sied à celui qui aime sincèrement. 

— Puis viennent les enseignements sur l'habillement et 
sur la propreté du corps. Il lui conseille aussi d'être gai, 
de bonne humeur et toujours disposé à la joie et au plai- 
sir ; caracoler souvent, faire appèrtises d'armes, chanter, 
flûter, vieler, danser « car bachelier en amour par ce se 
peult moult avancier »; fuir avarice et donner largement. 

Enfin le Dieu d'Amours termine par une instruction sur 
les entrevues et rendez-vous ; il recommande à Y Amant 
d'avoir beaucoup de retenue, de ne pas faire connaître sa 



(i) Ducange s'est, dans son glossaire, autorisé de ce passage du 
Roman pour expliquer Vhomagtum osculi. Le roi ne recevait à l'hom* 
mage lige, à la foi et à la bouche, c'est-à-dire au baiser, que la no- 
blesse du sang. Cet érudit ainsi que Fauchet, Pasquier, Borel, Sainte- 
Palaye, Roquefort, citent fréquemment notre Roman, dans leurs tra* 
vaux sur la langue ou la littérature française. 

(2) Tous ces enseignements : appèrtises d'armes, baiser à la bouche ^ etc., 
ne convenaient et ne pouvaient convenir qu'à une personne de U caste 
privilégiée. Or, comme ils sont donnés à Guillaume de Lorris, ils ren- 
seignent, par conséquent, sur sa condition. 

(3) Dans la Chronique de Saintrè^ on voit la dame des Belles Cousines 
faire les mêmes recommandations aupetil Jehan, Les rapprochements 
qu'on peut établir entre les enseignements de la dame des Belles-Cou* 
sines et ceux du Dieu d'Amours^ sont tels qu'ils font croire que l'auteur 
de cette chronique, A. de la Salle, avait lu le Rotnan de la Rose, 



— 38 — 

dame, penser à elle la nuit; « aller à son ostel par pluie 
ou par gelée et tâcher qu'elle Toye bien doulouser pour 
qu'elle ait enfin pitié de celluy qui endure tel mal pour 
elle. » 

Après ce long exposé qui comprend plus de 5oo vers, le 
Dieu d Amours abandonne VAnumi-poète, Ce dernier se 
dirige alors vers les roses qu'il désirait sur toutes choses : 
et encouragé par Bel-Acueil^ il tend la main vers le bouton 
qui « mieulx est odorant ». Mais à cet instant apparait 
Dangier (i)/cIosier ou gardien des roses, lequel voyant 
le geste de VAmant, répand de suite l'alarme et fait venir 
d'autres vilains compaignons : Malebouche^ Honte, Paour^ 
qui le chassent hors du vergier; puis grondent Bel- 
Acueil. 

Rayson, de Dieu aimée, s'approche de V Amant et le tance 
d'importance d'avoir osé toucher aux roses; mais peine 
perdue, Rayson en est pour ses frais d'éloquence, car 
il persiste plus que jamais dans son désir de posséder le 
précieux bouton. 

— Il lui vient alors en remembrance les enseignements du 
Dieu (T Amours] et, un nouveau personnage, Amys se pré- 

(i) Le mot Dangier, de Domtnium^ qui a formé encore donjon, a, 
dans la Chanson d'Antioche le sens de pouvoir, domination, souverai- 
neté ; dans d'autres poèmes du moyen-âge, il exprime la puissance 
maritale. 

G. de Lorrîs en mettant en scène ce personnage allégorique, a 
voulu représenter, non pas la puissance ou l'autorité du mari ou du 
père, mais bien comme Honte^ Peur, un des sentiments, une des pas- 
sions, dit P. Paris, qui, tour à tour, conseillent et déterminent la vo- 
lonté. Notre poète a été heureusement inspiré en exprimant ce senti- 
ment de crainte et de péril par Dangier, closier ou gardien des roses, 
c'est-à-dire de la virginité de la jeune fille. 

M. Croissandeau donne également cette définition dans la glose de 
son analyse des chap. XIX-XXX : 

€ Touchée de tant d'amour, elle daigne enfin accueillir sa tendresse 
et cherche par de légères avances à consoler le pauvre amant. Celui-ci 
transporté, se déclare alors et la supplie de ne pas borner là ses fa- 
veurs. Hélas! la pauvrette a cédé trop légèrement aux premières ins- 
pirations de son cœur, et soudain, voyant dans quelle voie périlleuse, 
elle vient de s'engager pendant qu'il en est temps encore, elle rompt 
avec le malheureux et reconduit. » 



— 39 — 

sente qui doucement le réconforte; lui donne le conseil de 
se rendre auprès de Dangier qui s'apitoye volontiers, lors- 
qu'on le prend par la flatterie. 

— U Amant suit ce conseil. Il s'approche de Dangier, 
lequel est déjà sollicité par Pitié et Franchise pour « celluy 
qui d'amour est en tourment ». 

Ici, reparaît Bel-Acueil « qui maine V Amant joyeusement 
au vergier^ pour vèoir la rose qui luy fust doulcereuse 
chose » : 

Comme j*euz la rose approuchée, 
Ung pou l*a trouvay angrossée, 
Et congneu quelle estoit plus creue 
Que quant au premier je Teuz veue, 



Elle fust lors, Dieu l'a benye, 
Assez plus belle qu'espanye, 
Plus gracieuse et plus vermeille : 
Moult m'esbahy de la merveille 
De tant comme estoit embellye ; 



Celui-ci demande à « son très doulx amy Bel-Acueil^ 
s'il luy plaist qu'il luy donne ung baisier ». 
Bel'Acueil : 

Je n'ose pour chasteté, 

Vers qui ne vouldroye mesprendre : ~ 

Elle me seult tousiours deffendre 
Que du baisier congié ne donne 
A nul amant qui m'en sermonne ; 
Car qi)i à baisier peut attaindre, 
A paine peut à tant remaindre *, ^^ S*en tenir. 

Et sachiés à qui l'en ottroye 
Le baisier, il a de la proye 
Le mieulx et le plus advenant, 
• Et avec ce le remenant *. * Reste, (i). 

(i) € Bien est«il vrai qu'en rencontre pareille, 

€ Simples baisers font craindre le surplus. » 
dit La Fontaine dans son conte des Rémois. — Signalons dès à pré- 
sent, la différence entre le langage de Bel-Acueil et celui tenu par 
Mabille et Sybille, des chansons de geste, qu'on lira plus loin. 



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/ 



— 40 — 

Ainsi refuse, Guillaume tout chagrin, allait quitter « les 
roses et les rosiers », lorsque bien à propos pour lui, vient 
à son aide, Vénus qui « tousiours guerroyé chasteté^ et nuyt 
et jour souvent emble boutons et roses tout ensemble ». 
— « Pourquoy, dit la mère des amours à Bel-Acueily pour- 
quoy vous feistes vous vers cest amant si dangereux de 
luy accorder un baisier amoureux, puisqu'il sert et ayme 
en loyauté? » 

Et en luy a assez de beaultô. 

Porquoy est digne d'estre aymé : 

Véez comme il est bien formé, 

Comme il est bel, comme il est gent, 

Franc et courtois à toute gent, 

Et avec ceXil n'est pas vieulx, 

Mais est jeune, dont il vault mieulx (i). » 

Bel-Acueil ne résiste. plus, et t ottroye à VAmani ung 
baisier en don. » 

— Guillaume ne se sent plus d*aise; et tout joyeux, il 
manifeste ainsi son bonheur: 

Ung baisier doulx et savouré 

Ay de la belle Rose prîns, 

Dont de joye fuz moult surprins, 

Car une oudeur m'entra au corps, 

Qui en a trait * la douleur hors, * Tirc. 

Et adouicit le mal d'aymer, 

Qui long-temps m*ëust semblé amer. 

Nous ferons remarquer ici, qu'il n'est^plus question de 
roses et de rosiers, mais bien d*un baiser donné par la 
femme que Guillaume chante; qui fait bel-acueil, accepte 
son amour. 

Nos deux amants ont eu, à leur insu, des témoins de 
leur bonheur. Les vilains compaignons MaleboucAe, Jalou- 
sie et autres, viennent encore troubler le doux tête-à-tête 

' (i) A jeune femme, il faut jeune mari, selon la chanson. Ce vers 
sera repris plus loin par la Vieille, 



— 41 — 

et tancent Bel-Acueil d'avoir cédé à cet amour. Celui-ci, 
ou mieux pour être exact, celle-ci toute honteuse, s'enfuit 
pour se cacher, mais pas si bien qu'elle ne soit bientôt 
rejointe par Malebouché et Jalousie qui lui reprochent la 
légèreté de sa conduite; lui ôtent tous moyens pour voir 
celui qu'elle aime, en l'enfermant dans une tour située au 
milieu du vergier (i). 

— Ce ne sont plus ici les sentiments de la femme qui 
sont en jeu, mais bien les parents ou amis qui, .par leurs 
discours, leurs flavelles^ veulent ouvrir les yeux à la jeune 
HUe sur le peu de mérite de celui qui ose lui témoigner de 
l'amour et V Amant-poète craint fort que son amie Bel- 
Acueily ne se rende à ces discours; aussi, dit-il, qu'il en 
mourra de désespoir. 

Chassé du vergier flory ^ V Amant est en complète déses- 
pérance; sa douleur est indescriptible; il a la mort dans 
l'àme. — « Que vous yroye devisant? » dit notre poète: 

(i) A rapprocher de ce texte analytique, les vers suivants d'une des 
chansons d'amour de Thibaut de Navarre. 

« De la chartre * a les clés Amours - « Prison. 

€ Et si i a mis trois portiers: 

€ Biau-Semblant a nom li premiers, 

€ Et Biautés ceus en fait sei^nours; 

€ Dangier ont mis en l'uis * devant, * Porte. 

m Un ord *t félon, vilain, puant, * Sale, immonde. 

€ Qui moult est faus et pautoniers *, * Coquin. 

€ Cil troi sont et pront et hardi : 

« Moult tost ont un home saisi. » 

« L'histoire littéraire, dit P. Paris, doit tenir compte de la 31* chan- 
son (du roi de Navarre) qui enlève à G. de Lorris et à J. de Meung 
le mérite ou le tort d'avoir introduit en poésie tous ces personnages 
allégoriques de Dangier ^ Faux-Semblant, Prison d'Amour, etc. Il serait 
juste de reconnaître que les auteurs du Roman de la Rose ne firent, 
qu'emprunter tout ce galant attirail à leurs devanciers et entre autres 
au roi de Navarre qui, du moins, n'en avait pas rempli vingt mille 
vers. » (Hist. litt. de la France, 23-734.) 

G. de Lorris était contemporain de Thibaut, on ne peut donc dire 
s'il 9^ fourni ou emprunté à ce dernier. Quant à J. de Meung, on ne 
lui contestera pas la paternité de Faux'Semblant qu'il a construit de 
toutes pièces, quoique ce personnage figure déjà, mais à l'état d'ébau- 
che^ dans Rutebeuf et Thibaut de Navarre. 



— 42 — 



Que vousyroye devisant ? 
Je resemble à ung palsant 
Qui jecte en terre sa semence : 
Si a grant joye quant commence 
A estre belle et drue en erbe ; 
Mais ainçois * qu'il en cueille gerbe, 
L'empire, dégaste et moult grève 
Une maie nyeule * qui lève. 
Et fait le grain dedans mourir, 
Quant les épitz doivent fleurir : 
L'espérance luy est toUuè *, 
Laquelle trop tost il avoir eue. 
Ainsi, crains-je, sans que vous mente. 
Perdre l'espér^ance et Tatente 
Qu'amours m'avoit tant avancé, 
Et que j'avoye commencé 
A dire ma grant priveté * 
A Bel-Acueil, qui a preste 
Estoit de recevoir mes jeux ; 
Mais Amours est si courageux 
Qu'il me tollit tout en une heure 
Quant je cuidoye est au desseure *, 

Ha ! Bel-Acueil, je sçay devoir * 
Qu'ils tendent à vous décevoir. 
Et faire tant par leur flavelle * 
Qu'ils vous traient * à leur cordelle. 
Si croy qu'ilz ont ainsy jà fait : 
La vérité n'en scay de fait ; 
Mais mallement suis esmayez * 
Que entr'oublié ne m'ayez. 
Se je perds vostre bien*vueillance, 
Jamais n'auray ailleurs fiance*. 
Et si je l'ay perdue, j'espoir * 
A peu que je ne m'en desespoir * (i). 



'I' Avant 



* nielle, plante. 



'* Enlevée. 



* Confidence. 



'I' Dessus. 
'I' De vrai. 

'I' Bavardage. 
♦ Tirent. 



* Tourmenté. 



* Conûance. 

* J'espère. 

* Désespère. 



(i) Thibaut de Navarre, dans une situation analogue, dit : 
En chantant veul ma doulour descouvrir 
Quant perdu ai ce que plus desiroie 
Las! Si ne saique puisse devenir? 
Que ma mort est ce dont j'esperois joie. 

Mi chant sont si plain d'ire * et de dolour, * Colère. 

Por vous, Dame, que j'ay lonctems amée 

Que je ne sai se je chant ou je plour. (Chansons d'Amour.) ^ 



CHAPITRE III 



8ar Tordre do Philippe IV, Clopinel conlinne le Romaa do la Rose ; 
— \nx porftonnngeft dcjft mift en «cène, adjoint eeax do Faulx- 
Semblant, la Vieille, IVatnre, Génlas* pour les besoins de la 
canve royale qn*ll défead.— Analyse de la S» partie du Roman. — 
L*œnvre do Clopinel eonsldérée eomme doenment historique. 



Jean Clopinel qui avait lu et relu le Roman de la Rose^ 
dût s'apercevoir que la fin de cette œuvre, ne répondait pas, 
aux développements et aux détails annoncés dès le début 
par GuillaunDe de Lorris (i), — et que Ton pouvait, en 
élargissant le cadre tracé par l'amoureux Trouvère, y 
parler de choses bien moins frivoles que celles qui y étaient 
traitées. 

— Le temps, du reste, n'est plus pour Clopinel où il 
composait, lui aussi, des dits joyeux tx des chansons galan- 
tes; à cette heure où il « est engagé dans les avenues de la 
vieillesse », il se soucie bien de l'amour, du beau sexe et de 
la chevalerie. Plus savant et penseur que poète, quoique 
maniant assez habilement le vers, il a d'autres vues plus 
sérieuses. Pour les répandre et les faire lire, il voit qu'il n'y 
a rien de mieux à faire que de les intercaler dans ce poème, 
dont les vers étaient, à l'exemple de tant d'autres compo- 
sitions, lus et commentés parles ménestrels et les jongleurs 
dans leurs pérégrinations à travers la France féodale. Le 

(i) M. Croissandeau pense que G. de Lorris aurait, d'après le plan 
tracé par lui, terminé ou au moins poussé son œuvre beaucoup plus 
loin que ne le fait croire la partie qui lui est attribuée. Lantin de Da- 
merey était de cet avis, auquel nous nous rangeons. 



— 44 — 

plan de Clopinel est bien vite arrêté : II va : « Se tens et leus 
l'en peut venir » et « si qu'il puist vivre longuement » (i), 
car il est d'un âge où l'on craint de ne pas achever le travail 
commencé; — il va continuer, « parfenir le Rommant de 
la Rose », en faisant agir les personnages déjà mis en 
scène par Guillaume de Lorris, tout en donnant à quelques 
uns une physionmie nouvelle, et auxquels, pour les besoins 
de la cause qu'il veut défendre, il en adjoindra d'autres : 
PaulX'Semblant, la Vieille^ Nature et Genius^ son chapelain, 
au moyen desquels il fera connaître ce qu'il pense sur les 
institutions d'alors (2). Quoique au lendemain des règnes 
de Saint Louis et de Philippe le Hardi, nous sommes à une 
époque de complète transformation gouvernementale. Fils 
et petit-fils de ces deux rois, Philippe IV, plus absolu 
qu'eux, a inauguré son avènement au trône par une nou- 
velle politique qui combat et chasse les idées des règnes 
précédents, pour les remplacer par d'autres idées qui, ont 
quasi, une forme révolutionnaire. 

Nous avons vu que V Amant ^ Guillaume de Lorris, chassé 
du vergier flory^ était en complète désespérance, avait la 
mort dans l'âme : 



(i) Voir p. 3, note. — Adenës le Roi formait le même souhait dans 
Buevon de Commarchis : < Se Dieu plaist et ses sains, tant comje vive- 
rai, — Des bons et des preudoms volentiers parlerai. > — Ainsi que 
La Fontaine : € Et par Saint Jean ! Si Dieu me prête vie, — Je le ver- 
rai, ce pays où Ton dort. >, dans son conte : Le Diable de Papefiguière, 
Tous les deux étaient alors, comme notre poète, < engagés dans les 
avenues de la vieillesse >. 

(3] D'après M. Langlois, < Jean de Meung ne se rendait pas compte 
de rétendue de son œuvre; il entreprit la continuation du Roman sans 
plan arrêté, aussi rien de plus décousu, > (P. 93-94). C'est ce qu'avaient ^ 
déjà dit Daunou, Renan, Michelet, P. Paris, qui traitent l'œuvre de 
Clopinel de diffuse, décousue. 

Il est évident que si l'on place la continuation sous le règne de 
Saint Louis ou de celui de Philippe III, les personnages de Faux-Sem- 
blant, Nature, etc. ne s'expliquent guère, mais en indiquant l'année 
1295, règne de Philippe IV, on comprend de suite le plan du poète, et 
son œuvre n'est plus diffuse ni décousue, mais au contraire, très com- 
préhensible, ainsi que nous en donnons la preuve dans les comtnen» 
taires. 



— 45 — 

Ha ! Bel- Acueil, je sçay de voir 

Qu'ils tendent à vous décevoir, 

Et faire tant par leur flavelle l^^^-*-'^*-^*" 

Qu'ilz vous traiçnt à leur cordelle. 

Si croy qu'ilz ont ainsy jà fait. 

La vérité n'en sçay de fait ; 

Mais mallement suis esmayez 

Que entr'oublié ne m'ayez. 

Se je perds vostre bien-vueillance, 

Jamais n'auray ailleurs fiance ; 

Et si je l'ay perdue, j'espoir 

A peu que je ne m'en desespoir. 

Clopinel qui n*a pas les mêmes motifs que Guillaume 
pour désespérer de cueillir la Rose^ continue le Roman en 
ces termes : 



Et le continuateur va si bien se réconforter et être vaillant 
à cette besogne, qu'environ dix-huit mille vers vont par 
lui être ajoutés aux quatre mille et quelques cents vers 
écrits par G. de Lorris (i). 

(i) Si nous écrivons ici que Clopinel, reprit le Roman en cet endroit, 
c'est pour nous conformer aux éditions et à plusieurs manuscrits de ce. 
poème ; mais il y a eu de la part du continuateur, des coupures et des 
passages interpolés, ainsi que l'a constaté M. Croissandeau dans son 
édition, notamment vol. 2, p. 435, et vol. 4, p. 389. Le véritable en- 
droit de la continuation serait celui où le Dieu d'Amours annonce à 
son ost que Guillaume est en péril de mourir et Jean qui est à naître. 

En France, on ne connaît pas de manuscrit ne contenant que la 
partie de Guillaume. Ceux de la Bibliothèque Nationale, donnés à 
tort comme étant du XIIP siècle, sont tous des premières années du 
XIV® siècle, puisque Clopinel, aurait terminé après 1303, date de la 
bataille de Courtrai, où fut tué Robert d'Artois, mentionné dans le 
Roman. — Pétrarque, étant à Paris, envoya à Guy de Gonzague à 
Mantoue, le Roman de la Rose, Dans sa lettre, il ne parle que d'un 
petit livre, brevis iste libellus; on peut donc supposer, dit Renan, qu'il 



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Desespérer las non feray \ ^ 

Je ne me desespereray ; 
S'espérance m'estoit faillant, 
Je ne seroye pas vaillant : 
En luy me dois réconforter. 



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— 4G - 

Il résume rapidement la situation de VAfnant'poète qui, 
voulant mourir, lègue son cœur à Bel-Acueil, retenue pri- 
sonnière dans le chastel, puis fait intervenir Rayson, la 
belle « preste en toute saison de donner bon conseil à ceulx 
qui d*eulz saulver, sont paresseux », laquelle avait déjà, 
mais en vain^ sermonné celui-ci. Le voyant désespéré, 
Rayson croit que le moment est opportun pour se faire 
écouter; elle s'approche de V Amant et lui demande : 

Comment se porte ta querelle ? 
Seras*tu jà d'amours lassez ? 
N*as-tu pas eu des maulx assez ? 
Que te semble du mal d'amer ? 
Est-il trop doulxou trop amer? 

Elle lui donne le conseil de retirer l'hommage lige qu'il 
a fait au Dieu d Amours ; de ne plus ni le croire ni le suivre, 
car il lui fera toujours endurer de grands maux, s'il continue 
à se livrer aux amours frivoles. 

U Amant n'a pas l'air de comprendre: « Dame, dit-il, de 
ce me vant, je n'en scay pas plus que devant ». — Rayson 
le traite de fol et lui expose les^ avantages du véritable 
amour enseigné par les Saintes Ecritures : celui de con- 
naître femme en légitime union et non autre « ou faulsist 
generacion et que nature reprouve » (i). — Lui dit 
qu'il faut peijr^compter sur les dons de la fortune; les 
grands biens ne font pas le bonheur; on peut être 
heureux dans la médiocrité, si on sait modérer ses plai- 
sirs et ses besoins. — Ici, Rayson déclame contre l'ava- 
rice et cherche à prouver à VAm^nt que les richesses 
sont pour les avares un continuel sujet de crainte et de 

n'avait alors que la première partie. — Tout espoir n'est, alors, pas 
perdu, de retrouver un jour ou l'autre, dans quelques bibliothèques 
publiques ou particulières d'Italie, ce manuscrit qui fixera l'opinion sur 
ce point importajit 

(i) Montaigne est, sur ce point, du même avis que Rayson, — «La 
principale fin du mariage, c'est la génération. > (Liv. I, ch. XXIX. ] 



- 47 — 

i). Par contre, elle vante les plaisirs que pro- 
vraie amitié^ car : 

Tousiours vault mieulx amys en voye 
Que ne font deniers en courroye (2). 

►grâces et l'infortune servent à faire connaître les 
mauvais amis. 

t ne néglige par les citations pour arriver à convain- 
nt. « Si tous ceulx de ce monde vivoient en amitié 
jamais roy, ne prince, n'auroient, ne bailly, pré- 
uge ». Et pour lui prouver l'instabilité de la for- 
/son rappelle Virginie la pucelle se faisant couper 
»ur échapper au déshonneur que voulait lui faire 
pius; et ce dernier, mis en prison par le peuple 
se tuant de désespoir (3). Néron, faisant mourir 
e sa mère, et Sénèque, son précepteur; puis lui- 
bligé de se donner la mort pour échapper aux 
opulaires; — Crésus, l'orgueilleux roi de Lydie 
ir Cyrus; Mainfroi, roi de Sicile, tué par Charles 
ainsi que Conradin, Henri d'Espagne et Boniface 
liane; « et tant d'aultres qui fortune tenir ne 

nt n'écoute rien et veut servir toujours le Dieu 
?. Dame, dit-il : 



soucis, de soupçons et d'alarmes vaines », ajoute La F[on- 
lans sa fable : Le Savetier et le Financter, a, si heureuse- 
1, ce qu'expose ici Rayson, 

Pour ce dist I proverbes, miex vaut trouver en voie 
Un boin certain ami que denier en coroie. 

(Baud. de Sebourg, fin XIII« siècle.) 

er avec les chap. XL, LXXXV, et suivants. « De Tamistié 
ss qui aydent à amistié > du Trésor de B. Latini. 

préserver Virginie du déshonneur, son père lui plongea un 
nsle sein. Appius prit du poison pour échapper au supplice 
iait. 



I 









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21 

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Ci 



— -48 — 

Ne puis aultre estre, 

Il me convient servir mon maîstre, 
Qui moult plus riche me fera, 
Certain temps quant il luy plaira, 
Car la Rose me doit bailler, 
Se je me sçay bien travailler ; 
Et se par luy la puis avoir, 
Je n'auray besoing d'aultre avoir. 

Puis, il fait observer à Rayson, que certaines expressions 
employées par elle, ne sont pas courtoises. Cette dernière 
sourit de la remarque : 

Puis-je bien parler proprement, 

Car de nulles riens, * je n'ay honte, -* Choses. 

Se n'est celle qu'à péchié monte; 



Je nomme les nobles choses 

Par plain texte sans mettre gloses, 
Que mon père de paradis, 
Fist de ses proprés mains jadis. 
Et de tous les autres instrumens 
Qui sont piliers et fondemens 
A soubstenir nature humaine (i) 



(i) Montaigne avait, sur ce point, la même manière de voir que 
Clopinel. < Remarquons, dit-il, au demeurant que nous sommes le seul 
animal, duquel le deffaut offense nos propres compagnons, et seuls 
qui avons à nous desrober, en nos actions naturelles, de nostre espèce. 

Qu'a fait l'action génitale aux hommes, si naturelle, si nécessaire, 

et si juste, pour n'en rien oser parler, sans vergogne, et pour l'exclure 
des propos sérieux et réglez? — Nous prononçons hardiment, tuer^ 
des'roher, trahir; et cela, nous n'oserions qu'entre les dents... Nul âge, 
nulles mœurs l'ignorent non plus que le pain, ils s'impriment en chas- 
cun, sans estre exprimez, et sans voix et sans figure ; et le sexe qui le 
fait le plus a charge de le taire le plus. C'est une action que nous 
avons mis en la franchise du silence, d'où c'est crime de l'arracher.... 
En la plupart du monde, cette partie de nostre corps estoit déifiée sous 
le mon de Fascinus, » (Liv. II, ch. V et xii.) 

Clopinel qui avait publié les Lettres d'Héloîse et d'Abélard ne de* 
vait pas ignorer que ce dernier était, à ce sujet, en complet désaccord 
avec lui dans sa lettre VII* : — t Le rédempteur aurait pu, s'il l'eût 
voulu, écrit Abélard à Héloïse, naître d'un homme^ lui qui a formé la 
femme du corps de l'homme, mais il a voulu faire tourner à l'honneur 
du sexe le plus faible la gloire insigne de sa propre humilité. 11 aurait 



,J^ ri ■ j y ^ ->>'-— m;Mj~ 



- -49 — 

V Amant n^accepte pas ces explications et traite Rayson de 
foie et deribaulde. Celle-ci « preste d'escouter et de souffrir 
tout » ne s'émeut guère de ces qualificatifs, lui fait com- 
prendre que c'est pour son bien ; puis cherche à justifier les 
termes employés par elle. Il veut bien enfin excuser 
Rayson] lui donne congé en disant qu'il maintient son 
hommage au Dieu cT Amours, et malgré qu' « il ne lui chaille 
à elle Rayson, il veut aymer la Rose comment qu'il aille. » 

Triste et dolent, abandonné de Rayson, V Amant demande 
conseil à ilmy^, personnage déjà connu. Celui-ci dit de ne 
pas se décourager, mais au contraire, de continuer à servir 
nuit et jour le Dieu cT Amours \ il finira par voir celle 
qui pour lui souffre en prison; — Dangier est apaisé, il 
n'a plus à se garder que de Maiebouche] s'il le rencontre 
qu'il cherche à l'amadouer par de douces et flatteuses 
paroles, car souvent on est forcé de baiser la main qu'on 
voudrait qui fust arse. 

— En user de mûme vis-à-vis de Jalousie et de ceux de 
son lignage, surtout ne pas négliger les cadeaux, les pro- 
messes, et, au besoin, les prières pour exciter leur pitié ou 
gagner leur confiance; alors il pourra voir Bel-Acueil et 
toute à force cueillir la Rose; c'est-à-dire, à parler sans 
figure, observe un commentateur de notre roman, qu'il 
obtiendrait les dernières faveurs de sa maîtresse. 

Amys lui fait encore cette recommandation, d'être joyeux, 
en courroux ou en pleurs si Bel-Acueil est joyeuse, pleure 
ou est en courroux, a car dame n'aime pas varlet fol et 
qui va resvant». U Amant se rend aux conseils d*Amys'^ 
et ce dernier lui indique le chemin qu'il doit prendre pour 
arriver au chastel où est enfermée Bel-AcueiL Ce chemin 



pu, pour naître, choisir dans la femme, une partie plus noble que celle 
qui sert à la fois à la conception et à l'enfantement des autres hommes ; 
mais pour ia gloire incomparable du sexe le plus faible, il a ennobli 
l'organe générateur de la femme par sa naissance bien plus qu'il n'avait 
fait celui de l'homme par la circoncision. » (Gréard, 26a.) 
Ce que dit Abélard se passe de tout commentaire. • 



— 50 - 

a nom Trop^Domier^ Folle-Largesse le fonda, Richesse y 
conduit et Povreté en exclut. 

Amys lui raconte qu'au temps où il était riche, il eut plus 
de vingt amis qui tous Tabandonnèrent dans Tinfortune, 
hormis un seul qui « son avoir luy offrit » (i). Il cite 
l'amitié qui liaient Thésée et Pyrithous, puis Salomon 
disant c mieulx vault morir que posvre estre. » 

— Pour parvenir jusqu'à ^^/-ilcweiV, V Amant devra donc 
donner joyaux^ fleurs, etc., cardes dons les gens raffolent. 
S'il fait ainsi, \tDieu d'Amours et Vénus^ la déesse, tien- 
dront leurs promesses en s'emparant du chastel et en le 
mettant en présence de Bel-Acueil; alors il pourra cueillir 
la Rose qui ne sera plus enclose. 

— Et puisqu'il aime sincèrement, il lui donne le conseil 
de bien garder sa mj/e; de composer pour elle des « rymes 
joliettes, fabliaux et chansonnettes » comme faisaient nos 
premiers pères, au temps des amours loyaux et sans convoi- 
tise. Les hommes, dit-il, n'avaient pour toute parure que 
celle que donne la nature, tous les biens étaient communs 
entre eux; la vanité et l'orgueil ne leur avaient pas encore 
inspiré le désir de dominer; ils savaient que jamais amour 
et seigneurie ne s'entrefirent compagnie. Alors n'existaient 
princes ni rois qui fissent sentir le joug de la dépendance : 
ils ne parurent que plus tard et en amenant, à leur suite, 
la division et la jalousie. 

Pour faire connaître à V Amant, les désordres qu'en- 
traîne cette dernière passion, Afnys met en scène un mari 

(i) L'auteur de B. de Sehourg est de l'avis &Ainys. De même, 
£• Deschamps dans sa ballade : Les Amis de Fortune : 

« Tant com j'ay eu richesse avecques mi 
Et Fortune m'a esté bonne amie, 
Se sont pluseurs appelez mi ami 
Offrans pour moy à mettre corps et vie; . 

Or s'est de moy Fortune départie, 
Si m'ont laissié, et c'est chose commune, 
Que le sien part, on luy tourne l'oye : 
Aujourd'ui n'est ami que de Fortune. » 



C 



- 51 — 

jaloux exposant les maux que cause la jalousie, et 
les inconvénients d'épouser une femme riche ou sans for- 
tune. 

— Si la femme est riche, elle méprise son mari (i); si 
elle est pauvre, il est obligé de fournir à tous les besoins 
du ménage. Belle, les galants viennent en foule pour solli- 
citer ses faveurs. Laide, elle use de toutes sortes de moyens 
pour chercher à plaire. Bref, dit notre Jaloux, il n*est pas 
possible avec Tune comme avec l'autre, d'être heureux. Il 
cite Lucrèce qui ne voulut pas survivre à l'attentat com- 
mis sur sa personne par Tarquin ; les malheurs arrivés à 
Âbélard après que d'Héloïse^ il eut fait sa femme légitime 
malgré la résistance de celle-ci, pour dire que « le mariage 
est mauvais lien » (2). 

— La femme belle ou laide « tousiours guerroyé chas- 
teté et à Vénus rend hommage ». -^ Toutes, fait dire le 
poète, à ce mari jaloux : 

Toutes se font hurtebillier 

Car le vouloir tousiours en porte 



(i) € Quoi I la richesse est-elle un crime? dit Michelet (Amour, p. 69), 

— Non. Tout ce qu'on veut dire ici, c'est que la femme qui arrive au 
mariage plus riche que le mari est rarement initiable. Elle ne prendra 
pas ses idées, sa manière de vivre et ses habitudes. Elle imposera les 
siennes, de l'homme elle fera sa femme, ou la dispute commencera >. 

— € Plus pauvre au contraire, la femme est riche de bonne volonté. 
Elle aime et croit (grande chose 1...). Est-ce tout? Non, il en faudrait 
une troisième, qu'elle ne peut pas donner toujours : comprendre celui 
qu'elle aime. > 

(2) < Amour ne peut durer ne vivre, s'il n'est en franc cueur et de- 
livre », dit Clopinel quelques lignes plus loin. — < L'amour hait, dit 
Montaigne, qu'on se tienne par ailleurs que par luy, et se meste las- 
chement aux accointances qui sont dressées et entretenues sans autre 
titre, comme est le mariage. > — Le même auteur en rapportant que 
< Socrate enquis qui estoit plus commode prendre ou ne prendre point 
de femme : Lequel des deux ^ on fasse, dit-il, on s'en repentira > se range 
.à cet avis, en citant ce vers de Corn. Gallus : < Et mihi dulce magis 
resoluto vivere collo : Vivre franc de ce joug, me paraît bien plus 
doux. » (Liv. III, chap. V.) 




— 62 — 

Toutes estes, serez ou fustes, 
De fait ou de voulentez putes. 
Et qui très bien vous chercheroit, 
Toutes putes vous trouveroit (i). 

Pour prouver la perfidie des femmes, le Jaloux rappelle 
ce qui arriva à Hercule et à Samson ; et excité par tout ce 
qu'il vient de dire, en colère, furieux, se met à battre sa 
femme. 

Voilà, dit Amys à VAmant^ où conduit la jalousie qui 
porte le mari à traiter comme une esclave celle qu*il doit 
regarder comme sa compagne. 

Amour ne peut durer ne vivre 
S'el n'est en franc cueur à délivre 

Comme cela se voyait aux premiers temps où tout était 
en commun. La paix et Tunion régnaient parmi les 
hommes : on était pauvre, Tamour existait sans envie, 
sans vilenie et sans clamour. Avec Tor, Targent, les pierres 
précieuses extraits de la terre, vinrent la richesse, la pau- 



(i) Au sujet de ces vers, dont les deux derniers ont été ajoutés de* 
puis, V. chap. vu, l'aventure qui advint à Tauteur. 

Les moines, les prêtres et les femmes étaient constamment l'objet de 
l'esprit frondeur de nos vieux poètes. Pour eux la femme est toujours 
inconstante; — d'elle c'est nature d'aller contre raison et droiture; — 
prendre femme c'est grande cosâf tel prend l'ortie, tel prend la rose; la 
femme fait ha!r père et père et maint homme déshonorer. Bref, d'après 
Lês Fantaisies de Mère Sotte : 



Femme est l'ennemy de l'amy, 
Femme est péché véritable, 
Femme est familier ennemy, 
Femme déçoit plus que le diable. 
Femme est tempeste de maison. 
Femme est le serpent des serpents. 



— E. Deschamps a repris ces critiques du Jaloux contre la femme 
dans son Mirouer de mariage, Louis XI avait mauvaise opinion des 
femmes, et ne les croyait toutes chastes. Frédéric-le-Grand se moquait 
de la vertu des femmes. — « Pour une femme, être belle, c'est le Pa- 
radis, c'est tout, — Pour elle. Le but du mariage est le mariage; l'en- 
fant n'est que le second. > (Michelet, Amour, 77-90.) 



— 53 — 

vreté, la discorde et la guerre (i). La gent fut en ce point 
mal mise, que la terre partagée en divers lots ou héritages, 
et des bornes mises pour les distinguer entre eux fut le sujet 
de nombreux combats; et les plus forts eurent les plus 
grandes parts. Les larrons et les paresseux à leur tour, 
entrèrent dans les maisons et prirent tout ce qu'ils y trou- 
vèrent. Pour remédier à cet état de choses et veiller à la 
sûreté générale, ils se réunirent, et : 

Ung grant villain * entre eulx eslurent, * Paysan. 

Le plus ossu * de quans qu'ils furent, * Fort. 

Le plus corsu ♦ et le greigneur **, ♦ Corpulent, 

Et le firent prince et seigneur (2). ^^ Grand. 

Cil jura que droit leur feroit, 

Et que leurs loges deff endroit, 

Se chascun endroit soy luy livre 

Des biens dont il se puisse vivre ; 

Ainsy l'ont entre eulx accordé, 

Comme Tay dit et recordé * * Déclaré. 

Cil tint grant pièce * cet office ; * Temps. 

Mais les robeurs plains de malice * Voleurs. 

S'assemblèrent quant seul le virent, 

Et par mainteffoys le bâtirent 

Quant les biens venoient embler * * Ravir. 

(z) Dans sa ballade : < La Loy souvent contraire à la nature y>, 
£. Deschamps semble s'être inspiré de ce passage du Roman : 

Avant que loy fust par droit ordonnée, 
Vivoit chascuns en franchise commune, 
Nature estoit lors si franche donnée 
Que par amours amoit chascuns chascune, 
Et se gardoit de faire desplaisir. 

L'un à l'autre, chascun avoit plaisir 
De soy monstrer vray amy et amie, 
Pour le doubte de l'amour despartir 
Ainsy fîst-on, niais on ne le fait mie. 

(2) Qu'on n'oublie pas que ces vers furent écrits sous le règne auto- \ 
ritaire de Philippe IV. Notre poète, pour exprimer sa pensée, .va plus ' 
loin que ne l'a été Voltaire : Le premier qui fut roi fut un soldat heu- 
reux. € La hardiesse tant vantée du poète du XVIIP siècle, doit, dit 
J.-J. Ampère, s'humilier devant celle de J. de Meung >. Victor Hugo / 
a reproduit les vers du poète Orléanais dans la préface de Cromwel, 



* 

} 



- 54 — 

Lors convint le peuple assembler, 

Et chascun en droit, soy taillier *, * Imposer. 

Pour sergens * au prince baillier, * Serviteurs. 

Communément lors se taillèrent *, , * Imposèrent. 

Et treuz * et rentes luy baillèrent \* Tribnto, impôts. ; 

Et donnèrent grant tenement *. \* Domaines. I 

De là vint le commencement ^ 
Aux roys et princes terriens, 
Selon les escriptz anciens (x). 

Cela dit, Ami/$ revient à ses critiques contre le beau 
sexe; il parle de Salomon qui « oncques femme ne trouva 
ferme (2) » ; — et après avoir disserté longuement sur ce 
sujety donne le conseil à VAma?it lorsqu'il aura sa Rose^ de 
conserver telle /7or^//tf pour avoir beaucoup de joie; puis 
il laisse ce dernier qui est tout à fait réconforté. 

— Celui-ci se dirige vers le chastel où est enfermée 

(i) B. Latini, donne dans son Trésor^ liv. III, ch. I : < Del governe- 
ment des citez », une description analogue à celle de Clopinel. — 
€ Heureux temps, dit Géruzez, où la supériorité sautait ainsi aux yeux ! 
Ce mode d'élection se pratiquant après le premier cadastre d<K la terre 
et comme garantie de la propriété, qui paraît à J. de Meung, comme 
à J.-J. Rousseau, Porigine non seulement de l'inégalité des conditions, 
mais de tous les crimes qui déshonorent et qui épouvantent la terre. 
On voit que les rêveries les plus téméraires datent de loin » — « Ni 
J.-J. Rousseau, ni Saint-Simon ou tant d'autres qui se croyaient, dit 
Bancel, absolument neufs, et tous en avant de leur siècle, n'ont dé- 
passé Clopinel. Cinq cents ans avant le Discours sur Vorigine de Vtnè* 
galité parmi les Hommes, il fait de l'établissement de la propriété privée, 
l'origine et la cause de toutes les discordes humaines ». 

(2) Comme complément à la note, p. 52 : 

Par femme fut Adam deceu 
Et Virgile moqué en fu 
David en fist faulx jugement 
Et Salomon faulx testament. 

Ypocras en fu enharbié * . * Empoisonné. 

Samson le fort déshonoré 
Femme chevaucha Aristote 

Il n'est rien que femme n'assote '*' * Trompa, dupe. 
[Manuscrit de la Bibliothèque de Berne,) 
V Intermédiaire des Chercheurs (30 août 1894), nous fournit la pièce 
suivante : 



— 55 — 

Bel'Acueil; rencontre Richesse t dame plaisante et hono- 
rable, gente de corps et belle de forme », et son ami Trop- 
Donner, gardant tous les deux le sentier; il les salue et leur 
demande à entrer dans le chastel. — « Voici le chemin, dit 
.Richesse^ mais je le garde. » — t Haï Dame, ottroyez moy 
le passage afin que je puisse délivrer Bei-Acueil de prison » 
— « Non! pas à vous que je ne connois point, répond 
Richesse^ mais à mes amis pour y aller caroller, danser et 
baller, et prendre esbattement. Vous n'avez pas voulu 
escouter Rayson : fuyez d'ici, vous ne passerez pas. » 

— U Amant invoque alors le Dieu d'Amours qui, se pré- 
sentant, lui demande s'il se rappelle ses dix comman- 
dements et s'il les a exécutés. Satisfait de ses réponses 
il lui promet « qu'il aura la Rose à son plaisir et à son 
vueil. » 

Le Dieu d Amours mande par lettres, toute sa baronnie 
et toute sa gentpour se rendre à son parlement, et ensuite, 
aller assiéger le chastel où Bel-Acueil est prisonnière. 

Dame Oyseuse^ Noblesse de Cueur^ Richesse, Franchise, 
Pitié, Largesse, Hardement, Courtoysie, Delict, Simplesse, 
Seurté, Déduyt^ Jeunesse, Joliveté, Beaidté, Lyesse, Humilité, 
Pacience, Bien-Céler, Contrainte-Abstinance et son ami 
Paulx-^emblant, se rendent à cet appel. 

— Le Dieu d Amours qui a remarqué, non sans déplaisir. 



Lorqu'Adam vit cette jeune beauté 
Faite pour lui d'une main immortelle 
Il l'aima fort ; elle de son côté 
(Bien nous en prit), ne lui fut point cruelle. 
Mon cher ami, alors, en vérité. 
Je crois qu'il fut une femme fîdéle, 
Mais comment donc ne l'aurait-elle été? 
Elle n'avait qu'w» seul homme avec elle? 
Or, en cela, nous nous trompons tous deux-: 
Car quoiqu'Adam fut jeune, vigoureux, 
De corps bien fait et d'esprit agréable, 
Elle aima mieux, pour s'en faire conter. 
Prêter l'oreille aux fleurettes du diable, 
Que d'être femme et ne pas coqueter. 



- 56 - 

la présence de Faulx-Semblaiit et de sa compagne, dit à 
son osi^ qu'il veut prendre le chastel pour mettre Bel- 
Acueil en liberté. Jadis il a secouru Tibulle, Gallus, Ca- 
tulle, Ovide, maintenant il veut venir en aide à un de ses 
serviteurs, Guillaume de Lorriz (i), à qui Jalousie est si 
contraire qu'il est en péril de mourir, si on ne le conduit 
pas auprès de Bel-Acueil. c Celuy Guillaume, dit-il, doit 
mettre tous mes commandements dans un roman qui sera 
continué par Jehan Clopinel au cors jolif, au cors ysnel (2) 
qui naistra seur Laire, à Méun. » Il sera un de ses fervents 
et le servira toute sa vie. Il prie Lucine (3),. la déesse qui 

(i) P. 45, note, nous avons dit que nous pensions que Clopinel 
avait repris le Roman en cet endroit. C'est aussi l'opinion de 
Lantin de Damerey et de P. Paris, que vient confirmer un manuscrit 
de notre roman, du Xiv* siècle, marqué B III. 18 Bibi., de la Minerve, 
à Rome. Le catalogue renseigne : < Meun. Jean Clopinel, continua- 
teur du Roman de la Rose de Lorris. — Chi commenche di Roumans 
de la Rose, Et premièrement commanche mestre Guillaumes de Lorriz 
jusques à PauS'Semblant, Et mestre Jehan de Meun fîst tout le Rou- 
mant en apriès ». 

(2) Dans le fragment du manuscrit français, 1573, Bibliothèque Na- 
tionale, reproduit au commencement de cette étude, on lit : € au cors 
jolif, au cors ineL » ; — dans d'autres manuscrits : < au cuer jolif, au 
cors isnel » ; — «au: cors jolif, au cuer isnel > ; — «au cuer jolif, au 
cuer inel > ; -» Les éditions Méon, Michel, Croissandeau donnent < au 
cuer jolif, au cors isnel >. — Rigoiey de Juvigny, dit au sujet de ce 
vers : « La remarque sur les diverses leçons du texte de J. de Meung 
suivant les temps différents qu'on en a fait des copies est digne d'atten- 
tion. Il est visible, par exemple, que l'endroit où l'on a originairement 
lu : € au cuer jolif, au cors isnel », est plus correct qu'il ne l'ait quand 
on y lit, comme depuis on a fait, au cuer jolif, au cuer tsnel, tant 
parce que l'auteur n'use nulle part de ces sortes de répétitions que 
parce que tsnel, souple, agile, dispos, convient mieux à corfs qu'à 
cœur, » (I-547, notes sur La Croix du Maine.) . 

La répétition du poète, au contraire, s'explique très bien ; — en 
écrivant au cors jolif^ au cors isnel ^ il a voulu faire connaître qu'il 
était, non seulement bien fait de corps, joli garçon, mais de plus, 
agile^ dispos, souple. Dans son codicille, il y revient encore lorsqu'il 
dit : que Dieu le fit quant au cors sans deffault de membre. Par ces 
derniers mots, il semble vouloir aller au-devant de l'interprétation 
qu'on pourrait donner à son nom de Clopinel, ainsi que, du reste, a 
fait Fauchet. (V. p. 7, note 2.) 

(3] Une fonction assez singulière de la chaste Diane, était de prési- 
der aux accouchements sous le nom de Lucine, D'autres, disent que 
c'était Junon que l'on invoquait sous ce nom. 



— 57 — 

préside aux enfantements, qu*elle veuille que ce dernier 
vienne au monde, sans mal et sans encombrement et puisse 
vivre longuement. » 

Le Dieu cT Amours annonce aux barons, l'arrivée prochaine 
de Sainte Vénus; leur apprend comment naquit sa mère, 
et que lui est le fils de Vénus et de son frère Jupiter; puis 
raconte l'histoire des Dieux de l'Olympe. 

Tous les barons lui répondent qu'ils sont prêts à donner 
l'assaut pour délivrer Bel-Acueil et demandent que Faulx- 
Semblant reste à Yost; le Dieu éT Amours acquiesce à leur 
désir, et retient ce dernier qu'il va faire roy des Ribaulx 
car il est faulx^ traistre et larron. 

Sur la demande du Dieu d'Amours^ Faulx-Semblant lui dit, 
qu'il est fils de Barat et d'Ypocrisie. 

— « Ils engendrèrent le diable, ajoute le Dieu d'Amours. 
Raconte nous ta vie et ce que tu peux faire? » 

— « Sire, feray vostre voulenté. — Or, entendez ma san- 
tance, qui Faulx-Semblant vouldra congnoistre, si le quiere 
au monde ou en cloistre. — Je ne suis point avec les reli- 
gieux qui vivent humblement : 



Je suis avec les orgueilleux, 
Les usuriers, les artilleux * 
Qui les mondains honneurs convoitent, 
Et les grandes besongnes exploitent, 
Et vont quérant les grans pitances, 
Et pourchassent les acointances 
Oes puissans hommes, et les suyvent ; 
Et se font povres et se vivent 
Des bons morceaulx déltcieulx. 
Et boivent des vins précieulx; 
Et la povreté ilz vous preschent, 
Et les grandes richesses peschent 
Aux grans sannes et aux trainaulx . 
Par mon chief * ! ilr en istra ** maulx. 
Ne sont religieux, ne monde * ; 
Hz font un argument au monde. 
Où conclusion a honteuse : 
C'ist * à robe religieuse 



* Artificieux. 



* Engins dépêche. 

* Tète, (a) Sortira. 

* Purs. 



•f Celui-là. 



— 58 - 

Doncques est-il religieux, 

Cest argument est vicieux; 

Il ne vault une vieille royne *. * Grenouille. 

La robe ne fait pas le moyne (2). 

— « Es-tu effronté? dit le Dieu cT Amours, — Quelz gens 
nous as-tu cy contés? — Dis-nous si Ton peut trouver reli- 
gion en séculière maison? » 

— € Ouy, sire. Il ne s'ensuit mie que tous mènent sous 
la robe mauvaise vie. — Ce serait alors trop grande dou- 
leur. Plusieurs vécurent et moururent saintement. Et 
presque toutes les saintes qui sont invoquées dans les 
églises^ qui furent chastes et mariées et enfantèrent maints 
beaux enfants portèrent les robes du siècle. Saintes sont, 
seront et furent, ainsi que les onze mille vierges qui, devant 
Dieu, tiennent leurs cierges, furent en drap du siècle prises, 
quand elles reçurent le martyr. 

— t La religion se manifeste par les bonnes œuvres et 
par le cœur et non par la robe. Je suis traître, parjure et 
larron, et dès que je parais, que Ton se garde de moi, afin 
de ne pas éprouver de dommages (2); car : 



(i) Ce proverbe existait aussi en latin à une époque plus ancienne. 
Le classique et célèbre Alexandre Neckham, mort abbé de Cirencester 
en 131 7, l'emploie dans cette définition de la manière d'être d'un moine 
au XIII* siècle : 

Non tonsura facit monachum, nec horrida vestis, 

Sed virtus animi, perpetuusque rigor : 

Mens humilis, mundi contemptus, vita pudica, 

Sanctaque sobrietas, hœc faciunt monachum. (F. Michel). 

€ Li abis ne fet pas l'ermite », dit Rutebeuf dans le fabliau de Fretre 
Denise, imité par La Fontaine dans ses Cordeliers de Catalogne — Le 
vers de Clopinel reproduit par E. Deschamps, Rabelais, etc., est de- 
venu populaire. 

(2) 0*où sans doute, ce dicton qu'on lit dans les Bigarrures de des 
Accords : c 11 faut se garder du devant d'une femme, du derrière 
d'une mule et d'un moine de tous costés ». 



- 59 — 



Trop sçay bien mes habitz changier. 
Prendre Tung et l'aultre estrangier *, 
Or * suis chevalier, or suis moyne 
Or suis prélat, or suis chanoyne 
• •••••••••••I 

Briefment je suis de tous mestiers 

Ores suis prince, or suis paiges ; 

Or sçay par cueur tnestous * langaiges 

Aultre heure * suis vieil et chenu **, 

Or suis-je jeune devenu : 

Or suis Robert, or suis robin; 

Or cordelier, or jacobin. 

Si prens pour faire ma compaigne 

Qui me soulace * et acompaigne. 

C'est dame Abstinence-Contrainte 

Qui porte desguyseuse * mainte**. 

Si comme il luy vient à plaisir 

Pour acomplir le sien désir. 

Aultre heure vestx * robe de femme 

Or suis damoiselle, or suis dame, 



♦ Ecarter. 

^ Maintenant. 



* Tous. 

* D^autre fois. 

** Cheveux blancs. 



* Recrée. 

* Déguisement. 

** Plusieurs* 

* Je revêts. 



nonnain, abbesse, novice, professe ; et vais par toutes régions 
en quête de religions et tromper les gens. Que vous diroye? 
en telle guyse, comme il me plaist je. me desguyse; et je 
fait choir dedans mes pièges le monde par mes privilèges ; 
je puis confesser et absouldre toutes gens où que je les 
trouve, sans que nul prélat puisse Tempêchcr. Nul d'eux 
ne peut en faire autant, hormis seulement Tapostole qui fit 
ainsi cet établissement : 



Mais povres femmes, povres hommes, 

Qui de deniers n'ont pas grans sommes, 

Veulx-je bien aux prélastx laisser 

Et aux curés à confesser ; 

Car ceulx riens ne me donneroyent (i). 

Si que j'auray les brebis grasses, 



(x) En 1620, on vit un évéque de Chartres, approuver pour les soins 
spirituels à donner aux pauvres, un partage entre deux curés de 
Mantes, par lequel l'un avait pris les nobles, les tonsurés et les offi- 
ciers du roi, laissant à l'autre plus modeste les laïques, les roturiers et 
les manants » (Bonnemèrc, a-303). 



i ^H w»>» mm 



— 60 - 
Et les pasteurs les brebis maisgres 

Et se prélau veulent groucer, *, * Gronder. 

Tel coup leur donray sur les testes. 

Qu'ilx en perdront mitres et crosses. 

Tant suis fort privilégiez (i). 

A cette question du DieucTAmourSy comment il peut ser- 
vir d'une manière si déloyale, lorsque par son habit, il 
semble être un saint hermite? — Faulx-Semblant répond : 

C'est voir *, mais je suis ypocrite * Vrai. 

Le Dieu cT Amours : 

Et si vas preschant abstinence F 
Faulx-^emhlant : 

C'est voir, mais je remplis ma panse 
De bons morceaulx et de bons vins, 
TeU comme il affiert * à devins 1^ (2) * Appartient. 

** Théologiens. 

Xe Dieu dC Amours : 

Tu vas preschant la povreté P 

Faulx-^emblant : 

Voire, et si suis riche a planté *; * Abondance. 

Mais combien que povre me faigne 

(1) Dans Renard le Novell Renardiaux tient le même langage aux 
frères mineurs, cordeliers et autres réunis en Parlement. Il leur dit 
que son ordre peut entendre toutes confessions, infliger toutes péni- 
tences, donner toutes absolutions, puis assister aux testaments, au 
grand mécontentement des prélats qui veulent, mais en vain, leur 
contester ces droits, puisque le pape Innocent leur a octroyé lettres à 
cet effet. 

(3) Guyot parlant des moines dans sa Bible ^ dit : € Ils font moult 
peu de ce qu'ils doibvent. Ils surmangent et ils surboivent ». 

Mêmes reproches se lisent dans Rutebeuf : Estât du Monde et dans 
Renard U Novel, Clopinel a l'habileté de faire connaître l'hypocrisie 
de tous ces moines par Faulx^Semblant, l'un d'eux. 



- 61 — 

Nul povre je ne contredaigne. 
J'aymeroye mieulx l'acointance 
Cent mille foys du roy de France, 
Que d'ung povre, par Nostre Dame I 
■ Posé qu'il eust aussy bonne âme. 
Quant je voy tous nudz ces truans, 
Trembler, sur ces fumiers puans. 
De froit, de fain crier et braire 
Ne m'entremetz de leur affaire. 

Mais d'un riche usurier malade, 

La visitance est bonne et sade * * Savoureuse. 

Celluy vois- je réconforter, 

Car j'en croy deniers apporter ; 

Et se ia maie mort l'enosse * * Tue. 

Je le conduys jusqu'en la fosse. 

Et s'aucun vient qui me repreigne 

Pourquoy du povre me refroigne ^, * Dispense. 

Scavez- vous comment j'en eschappeP 

Je faisentendant par ma chappe. 

Que le riche est plus entachiés. 

Que n'est le povre de pechiés. 

Et a plus besoing de conseil (i). 

Pour être heureux, continue à dire Faulx-Semblant, il 
ne faut être ni trop riche ni trop pauvre, mais avoir sa 
suffisance. L'homme riche n'est jamais tranquille; il craint 
parce qu'il possède, et celui qui est pauvre a recours à la 
la mendicité. Or, Jésus-Christ défendit aux apôtres, et Saint- 
Paul aux chrétiens, de vivre d'aumônes, detruandies^ mais 
bien de gagner leur nourriture par leur travail. Justinien 
qui fit nos livres anciens combattit contre la mendicité (2). 



(1) Notre poète paraît ici, avoir voulu paraphraser ces paroles de 
l'Evangile : Il est plus facile à un chameau de passer à travers le 
trou d'une aiguille, qu'à un riche d'aller en Paradis. — M. Croissan- 
deau est disposé à croire qu'une grande partie du discours prononcé 
par FaulxSemblant, a été intercalée après coup (III-422, note 24). 

(2) Napoléon l^^ fit de même. « On a canonisé grand nombre de 
saints (parmi les mendiants) dont le grand mérite apparent était la 
mendicité. On semble les avoir placés dans le Ciel pour ce qui, en 
bonne police, n'eût dû leur valoir sur la terre que le châtiment et la 
réclusion. » (Mémorial de Sainte-Hélène). 



— 62 - 

Le Dieu d Amours demande à Paulx-Semblant si celui 
qui, voulant se consacrer à Dieu, donne tout son bien et 
ne veut plus que prier, peut faire son salut? — c Ouy, dit ce 
dernier, mais alors il faut qu'il entre en abbaye dt propres, 
revenus, bien garnye : 

Comme sont ores « ces blancs moynes, ♦ Kaintcnant. 

Ces noirs et ces riglex chanoynes, 

Ceulx de l'Hospital, ceulx du Temple 

Car j'en puis bien causer exemple : 

Et y prent Ja soubstenance 

Car là n'a point de mendiance (i). 

Il fait mention de Guillaume de Saint-Amour qui fut 
condamné par TEglise pour avoir écrit contre les moines 
mendiants, leur disant qu'ils devaient travailler pour vivre, 
et non passer tout leur temps à prier et à mendier (2). Mais 
il est trop dur de travailler, ajoute Faulx-Semblarity mieux 
vaut prier et affubler sa regnardie du mantel de papelardie. 

Le Dieu d'Amours qui semble n'avoir pas bien compris 
cette longue tirade de Faulx-Semblant lui demande s'il ne 
craint pas [Dieu? — Non, certes! répond-il (3); car en ce 

(x) Le mot mendiance qui donne une idée si juste de l'état habituel 
de celui qui mendie, n'est-il pas préférable à mendicité qu'on y a subs* 
titué? Il nous rappelle les lignes que La Bruyère a écrites dans le 
Chapitre XI v. € De quelques usages », où il exprime ses regrets de 
ce qu'un grand nombre de mots si expressifs, employés par nos anciens 
poètes, romanciers, chroniqueurs et conteurs, aient été proscrits ou 
regardés comme vieux, hors d'usage. Il prend la défense de : Ains, 
certes, maint, moult, de cil qui € a été dans ses beaux jours le plus joli 
mot de la langue française 9, et de beaucoup d'autres mots qu'il vou- 
drait voir revivre. — Nous y joindrons ceux de visitance, doutance, 
remembrance, acointance, souvenance, etc., (visiter, douter, remémo- 
rer, se lier par amitié, souvenir}, pour lesquels nos vieux auteurs avaient 
une prédilection marquée. La chanson de Roland, le Roman de Ron- 
cevaux, Gérard de Roussillon, pour ne citer que les plus anciens de 
nos poèmes, ont des laisses ou couplets entiers dont les vers se ter- 
minent par ces mots, rimant avec celui de France. 

(2) Le discours de Faulx-Semblant, au sujet de Saint- Amour et des 
ordres mendiants, est repris chap. v. 

(3) La réponse impie que. lait Faulx Semblant, à la question que lui ' 
adresse le Dieu d'Amours, si, pour mener une pareille vie d'hypocrisie, ' 



— 63 — 

siècle qui Dieu veut craindre a trop de malaise. Il n'en est 
pas ainsi des usuriers, faux monnayeurs, baillis, prévôts, 
procureurs, avocats qui vont rapinant sur le menu peuple 
. et ont beaucoup de deniers en leurs greniers. — Or, à mon 
< tour, je robe le plus fort, entasse et amasse maints trésors 
pour passer la vie agréablement. Du reste, je n*ai cure de 
confesser pauvres gens, mais bien rois, ducs, barons ou 
comtes, reines, duchesses, baronnes et dames palatines, 
bourgeoises, nonnains et damoiselles jeunes et belles, nues 
et bien parées. Il leur dit que leurs prêtres, leurs curés sont 
bétes. — Nous sommes, continue-t-il à dire : 

Nous sommes et vous fais sçavoir, 

Ceulx qui tout ont sans riens avoir. 

Se je m'entremetz de courtages, 

Je fais paix, je joincU mariages, 

Sur moy prens excusacions. 

Et vais en procuracions. 

Messagier suis et fais enquestes 

Qui ne me sont pas trop honnestes : 

Les auitres besoignes traictier 

Ce m'est ung très plaisant * mestier, * Agréable. 

Et se vous avez riens à faire 

Vers ceulx entour que je repaire *, * Retourne. 

Dictes le moy c'est chose faicte... 

Faulx'Semblant n'a cure d'hermitages, des déserts et des 
bocages; il préfère les villes, les bourgs et les châteaux; il 
est des varlets de TAnte-Christ qui portent Thabit de reli- 

la crainte de Dieu ne l'arrête pas, nous paraît être une attaque directe 
du poète contre Boniface VIII. On préparait déjà les esprits contre 
ce pape, accusé publiquement d'hérésie, de ne pas croire à l'immor- 
talité de l'âme, a la vie éternelle, etc., par G. de Plasian qui écrivait 
sur l'ordre de Philippe IV (Michelet, Dupuy, etc.) 

Boniface ne fut pas, du reste, le seul pape qui encourut semblable 
accusation. Sans rechercher parmi ceux qui occupèrent le trône de 
Saint-Pierre avant et après lui, citons simplement le mot du célèbre 
Pic de la Mirandole à Alexandre VI. — c Je crois, le bon Dieu me 
pardonne, que votre Sainteté n'est pas chrétienne. > — c Je ne le 
crois pas non plus » répendit ce pape qui n'est autre qu'Alexandre 
Borgia, Tamant incestueux de sa fille Lucrèce. 



-64- 

gieux avec lequel ils semblent « dehors agneaulx pitables 
dedans sont loups ravissables ». Au monde, ils ont déclaré 
la guerre et veulent tout ordonner dans les châteaux et 
dans les villes; — on les reconnaît non à la robe mais à 
leurs gestes; et si l'Université n*eut fait bonne garde, le 
monde eut été bien tourmenté lorsqu* « en Tan de Tlncar- 
nacion mille deus cens cinq et cinquante », parût « TEvan- 
gileperdurable (i), livre inspiré du grant diable et bien 
digne d'estrc brûlé, car il est contre la foy de Romme ». 

— Tout son lignage, ajoute-t-il, règne et domine partout ; 
pour cette raison on doit honorer lui et les siens, puisqu'ils 
ne cessent de prier, et non pas chevalerie et gens nobles^ ce 
qui serait alors grant forcenerie. Que tels gens soient mau- 
dits; ils ne les aimeront jamais (2). 

Le Dieu (T Amours et son ost sont émerveillés, de tout ce 
que vient de leur dire Faulx-Semblant. Il est fait roy des 
ribaulx (3); le Dieu (T Amours reçoit son serment d'être 
fidèle et loyal, puis se prépare à donner l'assaut au chastel. 

FaulxSemblant et sa compagne Contrainte- Abstinence ^ 
s'apprêtent à combattre avec les armes qui leur sont propres; 
le premier, habillé en pèlerin ayant une bible suspendue 
à son cou, une potence en guise de bourdon, et un rasoir 
caché dans sa manche ; sa compagne, sa mie^ vêtue en 
nonne, avec psautier et patenôtre; — ils quittent Vost ti 
vont vers Malebouchey qu'ils abordent en ces termes : 

(i) Perdurable, perpetuns^ œternus, c'estoà-dirë sans fin (Dict. de 
Nicot). Ce mot est fréquemment employé par nos vieux auteurs, no- 
tamment Montaigne. 

(3) Cette partie du discours de Faulx^Semblant, contre les Nobles 
est reprise chap. IV. 

(3) Rtbauds, nom donné par Philippe -Augtiste, à des soldats d'élite 
qui, dans les batailles et les sièges, attaquaient les premiers. Leur chef 
s'appelait roi des Ribauds. Les excès et les débauches de toutes sortes 
auxquels ils se laissaient aller jetèrent un discrédit général sur eux, à tel 
point, qu'à la fin du Xllie siècle et au commencement du xiv^, les noms 
de rtbauds et de ribaudes furent alors, (comme aujourd'hui) donnés 
aux vagabonds, aux hommes et aux femmes de mauvaise vie. C'est, 
sans nul doute, dans ce sens que Clopine! veut parier des ribauds, 
dont il fait roi Faulx'Semblant, 



- 65 — 

Sommes devenus pèlerins . 

Presque tousiours de pieds allons. 

Pouldreux moult avons nox talions, 

Si sommes nous deux envoyés 

Parmy ce monde dévoyés, 

Donner exemple et preschier 

Pour plus de grans pescheurs peschier : 

Aultre peschaille ne voulons ; 

Et pour Dieu, comme nous soûlons *, * Avons coutume. 

Hostel vous voulons demander, 

Et pour vostre vie amander. 

Malebouche. — « Vous pouvez entrer céans et dire ce 
qu^il vous plaira. t> 

Abstinence. — m Sire, la première vertu, la plus grande, 
la plus souveraine que Thomme puisse avoir, c^est celle de 
refréner sa langue; mieux vaut se taire que de dire parole 
mauvaise. Or, de tous les péchés, vous êtes surtout cou- 
pable de celui-là, puisque vous avez dit d'un varlet. qu'il 
ne venait ici que pour chercher à tromper Bel-Acucil; vos 
mensonges ont mis ce varlet au désespoir et Bel-Aciieil 
pleure sans cesse. Si le repentir vous faisait défaut, vous 
mériteriez alors d'être chassé de ce chastel, puis mis en 
prison. » 

Malebouche tstXoxtï de prendre cette mercuriale en bonne 
part; il leur déclare qu'il ne les a pas reçus chez lui pour 
entendre de semblables reproches, dans tous les cas, il ne 
veut pas être traité de menteur; ce qu'il a dit est exact et 
il est tout disposé à le répéter. — Faulx-Semblant intervient 
pour faire la paix; adresse force flatteries à Malebouche et 
rinforme que V Amant ne pense plus à Bel-Acueil. Male- 
bouche satisfait de ces explications, tient Faulx-Semblant 
pour bon maître, Abstinence pour sage, et fera tout ce qu'on 
voudra. 

Faulx'Semblant lui apprend qu'il est d'ordre et prêtre, 
ayant de la Divinité le congé, le pouvoir plus que prêtre et. 
curé, de remettre les péchés; s'il veut se confesser, il lui 
donnera bonne absolution. Malebouche s'agenouille et se 
confesse à F aulx-Semblant qui, à un moment donné, le 

5 



prend à la gorge, lui coupe la langue avec le rasoir qu'il 
avait caché en sa manche, puis jette le corps dans le fossé 
du chastel. — Alors FaulxSemblant^ Abstinence^ Cour- 
toysie^ Largesse entrent dans le chastel, tuent les défenseurs 
qu'ils trouvent endormis; pénètrent jusqu'à la chambre où 
Bel'Acueil est gardée par une vieille femme. Cette dernière 
leur demande ce qu'ils veulent, ce qu'ils cherchent. Nos 
quatre personnages lui répondent : Ce n'est pas pour vous, 
assurément, que nous venons, mais pour Bel-Acueil qui est 
prisonnière en ce lieu. Or bien, vous prions de la faire venir, 
pour réconforter le varlet, qui souffre pour elle; il est moult 
sage et discret^ galant et généreux. Voici les cadeaux qu'il 
vous donne et un chapel de fleurs pour remettre de sa part 
à Bel-Acueil, 

— Cette Vieille (i) qui, ici, fait l'office de duègne, est 
toute disposée à favoriser l'entrevue demandée, mais elle 



(i) Ce personnage de la Vieille, que G. de Lorrîs n'a fait que men- 
tionner en passant, a été peint de main de maître par Clopinel qui, 
pour ce portrait, s'est inspiré de la vieille Dypsa, d'Ovide. Il a fourni 
à Richard de Foumival (xive siècle) l'idée de composer en latin un 
poème licencieux : la Vieille ou les dernières amours d' Ovide ^ traduit 
par J. Lefèvre sur l'ordre, dit-on. de Charles V. — Régnier a égale- 
ment profité du travail de Clopinel pour composer sa Macette, — Nous 
démontrons ici, et plus loin, que les mœurs de l'époque où écrivait 
notre poète, étaient à l'unisson des conseils donnés par la Vieille à 
Bel'Acueil, On voit dans Garin de Monglave (fin Xlil« siècle), Mabille 
recevoir de sa meschine, sa suivante, des conseils dont Timpudicité 
n'a pas de voile, se livrer à Garin et lui dire : c vous m'avez enchain» 
turée sans m'avoir épousée ». 

Dans nos anciennes chansons de geste de nature et d'origine essen- 
tiellement germaniques, tels que Amis et Amile, Aubry le Bourgoing, 
Raoul de Cambray, £lie de Saint-Gilles, Anscis, etc., € les jeunes 
filles n'ont rien de cette admirable candeur qui, depuis le premier 
siècle jusqu'à nos jours, fait si naturellement reconnaître une chré- 
tienne. Elles vont à l'église, mais leur dévotion est tout en dehors. Ce 
qui les domine, c'est le sang, un sang qui bouillonne ^n des veines 
ardentes. A la vue du premier jeune 4iomme, sans honte vraie ou 
fausse, sans hésitation, sans combat, elles se jettent à ses pieds et le 
supplient de satisfaire la brutalité de leurs désirs. Elles le poursuivent 
de leur amour; elles ont un amour agressif : c Décidément, disent- 
elles, il est trop bel homme. Si Ton résiste à leurs étranges empresse- 
ments, elles profitent de la nuit et vont se placer dans le lit de celui 



— 67 — 

craint que Maleboncke^ placé comme gardien par Jalousie^ 
ne le sache, et, alors, d^être blâmée pour sa complaisance. 
Apprenant qu^il a été tqé, elle n*hésite plus à faire ce qu'on 
lui demande : elle va de chambre en chambre à la recherche 
de Bel'Acueil, qu'elle trouve triste et pensive, appuyée 
aux créneaux de la tour. Elle lui dit que le plus courtois 
varlet' du monde, qui de toutes grâces abonde, lui envoie le 
chapel de fleurs qu'elle lui présente, il désire la voir et lui 
parler. 

— ^ « Quel est celuy qui me fait ce présent? demande 
Bel-Acxieil. — « C'est, répond la Vieille^ le varlet que vous 
scavez, dont tant ouy parler avez de Malebotic/ie. Or ce 
dernier est mort, vous ne craindrez plus de blâme de luy. » 

Encouragée par la Vieille^ elle consent enfin à 
prendre le chapel de fleurs et à recevoir celui qui le lui 
oflfre. 

C'est alors que cette duègne lui raconte l'histoire de sa 
vie, véritable cours de femme galante. 

— « Elle aussi fut belle, mais son joli temps s'en est 
allé, elle n'en a plus qu'une douce souvenance. Aussi con- 
seille-t-elle à Bel-Acueil^ qui est tant belle et tant jolie, 
d'user de la vie. — « Sçachez, lui dit-elle, qu'à votre âge 
je fus sage aussi ; ma beauté était partout vantée et renom- 
mée; un grand nombre de galants venaient nuit et jour 

qu'elles désirent. Cet épisode se trouve vingt ou trente fois dans nos 
romans » (L. Gautier. Epopées françaises, 1-18-79). 

— Notamment dans la chanson d'Aîol. — Aïoi se rendant de Bor- 
deaux à Paris, s'arrête à Orléans « la chité admirable, la forte chité 
royale, » et loge chez sa tante, noble dame Ysabel, qui a pour fîlle 
Luciane. Celle-ci s'éprend d'amour pour son cousin : la nuit venue, elle 
se rend dans la chambre où Aïol est couché, se glisse dans son lit ; 
doucement le caresse, lui déclare qu'elle n'a eu nul ami et qu'elle est 
pucelle : — elle l'aime et veut être sienne : — Aïol surprit, lui 
dit de se retirer. — € Lasse! s'écrye la pucelle, com laide cance, 
quant je le voil amer et luy n'en membre I » Et toute dolente, Luciane 
laisse Aïol et s'en tome, non sans se plaindre de ce qu'il repousse ses 
avances. 

Pareilles mœurs en Orient se lisent au chap. X liv. XVI de l'Esprit 
des Loti, 



- 68 - 

heurter à ma porte. Je gagnais alors beaucoup d^argent, 
menais joyeuse vie et ne pensais nullement à économiser. 
Bref^ elle évoque les souvenirs de son passé et fait connaître 
à Bel'Acueil tous les jeux de Tamour. 

— Celle qui veut aimer doit savoir les commandements 
deVamour; ne pas donner son cœur, mais bien le vendre 
un bon prix et au plus offrant ; n'accorder ses faveurs que 
très sobrement et recevoir de toutes mains pour avoir belles 
robes et beaux atours; et sans refuser les hommages d*un 
beau varlet, fréquenter surtout les gens riches pour en obte- 
nir le plus d'argent possible, tout en faisant croire à chacun 
que c'est lui qui obtient le premier, les dernières faveurs de 
Tamour. 

— Bien folle est la femme qui croit aux serments d'un 
amant; et comme exemples, la Vieille cite Didon, Philis, 
Œnone, Médée qui furent délaissées par Enée, Demophon, 
Paris et Jason. Tous les hommes sont ribauds, faux et par- 
jures (i), bien doit-on les trompera leur tour; avoir plu- 
sieurs amis et les mettre tous à grant mal aise (2). — Il est 
vrai que les hommes en s'attachant aux femmes, ne sont 
pas plus heureux, comme le^ prouve Vulcain surprenant 
Vénus dans les bras de Mars. 

(i) € Sers ton mary comme ton maistre, et t'en garde comme d'un 
traître > lit-on dans Montaigne (liv. III, ch. V),* — pour la Bruyère 
« l'homme est né menteur. > 

(2) Chaucer qui critique les mêmes sujets que Clopinel et dépasse 
en causticité tout ce qui a été écrit avant ou après lui, sur la femme et 
le clergé, nous montre dans son Pèlerinage de Canterbury, une bour- 
geoise de Bath, veuve de cinq maris et attendant le sixième, faisant 
le panégyrique du mariage et racontant les tribulations qu'elle a fait 
éprouver à ses différents époux. 

Dans des pièces dej. de Condé, E. Deschamps, le Peiit Jehan 
de Saîntré, l'Evangile des femmes, le beau sexe est louange ou criti- 
qué. Il est tout à fait réhabilité dans le roi Flore et la belle Jehanne, 
Gérard de Nevers, Comtesse de Ponthieu, Griselidis. Dans l'Evangile 
des Quenouilles, 15 Joyes de mariage, et Caquets de l'accouchée, les 
femmes se moquent des hommes. — Si des auteurs ont mal parlé des 
femmes, d'autres comme on le voit^ ont pris leur défense. Legouvé qui a 
composé en leur honneur un poème en 634 vers alexandrins, le Mérite 



— 69 - 

Puis suit une longue série de conseils sur la toilette intime 
et personnelle de la femme et sur la coquetterie, donnés par 
cette Vieille à Bel-Acueil^oix la vie dissolue menée par elle, 
se montre dans tout son jour. 

— a La femme, ajoute-t-ellc, est née franche malgré ce 
qu'en disent les lois qui lui ôtent cette franchise dans le 
mariage. La nature n'a pas fait naître Marote seulement 
pour Robichon, ou Robichon pour Mariette, ou pour Agnès 
ou pour Perrette : 

Ains * nous a fait beau fîlz, n'en doubles, * Mais. 
Toutes pour tous, et tous pour toutes, 
Chascune pour chascun commune, 
Et chascun commun pour chascune. 

— Bien des maux vinrent aux temps jadis par le fait de 
ceux qui ravirent les femmes qui mieux leur seyaient pour 
en faire leur vouloir et les abandonner après. Telle Hélène 
qui fut le sujet de grandes batailles. Et elle ne sera par la 
dernière par qui guerres viendront entre ceux qui amour 
de femmes tiennent ( i ). — Aussi toutes les femmes mariées, 



desfemmeSf leur donne la prééminence sur les hommes, et veut que le 
vrai coupable soit l'homme qui tend des embûches à la femme ; il 
ajoute : 

Nous sied-il d'avancer ces reproches étranges? 
Pour oser les blâmer, sommes-nous des anges? 
Et, non moins imparfaits, ne partageons- nous pas 
Leurs travers, leurs défauts, sans avoir leurs appas? 

(x) Belles merveilles de la terre 

Doux sujets de paix et de guerre 

dit Malherbe dans ses Stances aux Dames, — € L'or et la femme voilà 
l'objet des guerres. — Le rapt est la première conquête. C'est la belle 
Hélène, puis la moralité s'élevant, la chaste Pénélope, l'héroïque Bru- 
nehilde ou les Sabines. L'empereur Alexis en appelant nos Français à 
la guerre sainte, ne négligeait pas de leur vanter la beauté des femmes 
Grecques. Les belles Milanaises était, dit-on, pour quelque chose dans 
la persévérance de François I^^**, pour la conquête de l'Italie, » (Miche- 
let, Hist. de France, I-6o, 260). Citons encore la conquête de l'Espagne 
par les Arabes. Ils furent appelés dans la Péninsule Ibérique par le 



I I I i j ii ^ i j i j^. 



— 70 — 

soient dames ou deinoiielles, cherchent-elles par tous les 
moyens à reconquérir cette liberté, cette franchise. Ainsi 
fait Voiseau qui pris, est mis en cage; de même celui qui 
entre en religion ; il ne tarde pas à s*en repentir : il se com- 
plainte se lamente et cherche comment il pourra recouvrer 
cette liberté qu*il a abandonnée. II est impossible d*aller 
contre la nature. Le chat qui n*ayant jamais vu de souris, 
poursuivra cette proie, dès qu'il l'apercevra. Une jument 
nourrie loin d'un cheval s'accouplera avec lui lorsqu'elle 
en trouvera l'occasion. Ainsi en est-il pour la femme; et on 
aura beau la faire garder par un argus aux cent yeux, si 
elle le veut^ elle parviendra bien à tromper son jaloux. 

— La Vieille apprend à Bel-Acucil^ qu'elle jadis, fut re- 
quise d'amour par prélats, chanoines, chevaliers et bour- 
geois; elle reçut de grands dons qui auraient pu la faire 
riche dame; mais elle laissait aller le temps comme il ve- 
nait, sans penser ni à vieillesse ni à povrelé. — Elle donna 
tout ce qu'elle avait gagné à un ribaud qu'elle aimait; c'était 

' un débauché, onc ne vis pire; l'injuriant sans cesse et la 
battant toujours; il la mena partout, jusqu'à Londres, et 
après avoir tout perdu aux jeux, dans les tavernes et 

: maintes ribauldies, il là délaissa sans aucunes ressources, 
obligée à mendier son pain. 

— « Que ma vie, dit la Vieille à Bel-Acueil^ vous serve 
donc d'exemple. Profitez de votre beauté, de votre jeu- 
nesse, car : 

Quant voz rose sera flestrie 

Et les chanes * vous assauldront * Cheveux blancs. 

Certainement les dons fauldront (i)* 



comte Julien pour se venger du roi Rodrique, qui avait abusé de sa 
fîile Florinde, surnommée par les romances espagnoles la Cava ou la 
méchante femme. 

(i) Bien avant Clopinei, J. Bodel, célèbre trouvère du XII* siècle, 
avait fait dire à la reine Sybille, dans la Chanson des Saxons : 

Que sert beauté de femme s'en jovant (si jeunesse) ne l'emploie. 

Et, depuis lui, ce vers a été reproduit par E. Deschamps, Villon, 
Ronsard, Baif, Régnier, La Fontaine,' Béranger. 



— 71 — 

Bel'Acucil qui, volontiers, a écouté la Vieille^ ne veut 
cependant pas suivre ses conseils; néanmoins, elle permet 
que VAmani vienne auprès d'elle, mais à la condition qu'il 
soit sage et se garde de tout outrage. — La Vieille va cher- 
cher ce dernier qui satisfait de ses bons oiSces, lui promet 
bon drap pour faire manteaux et robes, et tous les deux 
arrivent près de Bel-Acueil. Celle-ci le remercie du 
chapel de fleurs qu'il lui a envoyé et lui dit que s'il y a 
icéans quelque chose qui lui agrée, il peut choisir et faire à 
son plaisir. — U Amant tout joyeux de cette réception, 
;s'approche de Bel-Acueil et veut lui donner un baiser, mais 
Dangier apparaît et lui ordonne de se retirer. C'est-à-dire 
que la jeune fille effrayée de la témérité de VAmani et du 
danger qu'elle court, ne veut plus l'écouter et lui donne 
congé. 

L'armée, Vost du Dieu d! Amours vient au secours de 
ce dernier.. 

En cet endroit, Jean Clopinel s'excuse de plusieurs 
expressions employées par lui dans le cours du Roman, 
et des propos écrits contre le beau sexe et contre ceux de 
la religion. — Il n'a, prétend-il, aucun sujet de se plaindre 
des dames, ce qu'il a dit contre elles, ce n'est ni par colère, [ \ 
ni par haine, ni par envie, mais d'après les écrits des an- )/ 
ciens; et il a fait comme tous les poètes, quoique sachant ^ 
bien que nul ne doit femme despire (i). 

— Et à ceux qui pourraient se courroucer de ce qu'al- 
lègue F aulx-Semblant^ il proteste que son intention n'a pas 
été de parler d'aucun homme vivant qui observe saintc- 

(i) Boileau explique comme suit sa lo* satire, dans une lettre du 
5 janvier 1706, adressée à un de ses amis : € Quoique j'aie composé 
animi g-ratta, une satire contre les méchantes femmes, je suis pourtant 
du sentiment d'Alcippe, et je tiens comme lui que pour êlre heureux 
sous ce joug salutaire ^ tout dépend, en un mot, du bon choix çu*on sait 
faire. Il ne faut point prendre les poètes à la lettre. Aujourd'hui c'est 
chez eux la fête du célibat, demain c'est la fôte du mariage; aujour- 
d'hui l'homme est le plus sot de tous les animaux ; demain c'est le seul 
animai capable de justice, et en cela semblable à Dieu. » (Œuvres 
de Boileau. G.enève, 1716). 



/ 



— 72 — 

ment la religion, mais bien contre les hypocrites ; que, du 
reste, tout ce quMl a pu dire de désagréable sur ce point et 
que rÉglise réprouve, il est prêt à reconnaître sa faute et à 
en demander pardon (i). 

Sa paix ainsi faite avec ceux qu^il pense être fâchés contre 
lui, le poète reprend le récit du combat livré par Vost du 
Dieu dH Amours, à ceux qui défendent le chastel. — Fran- 
chise attaque Dangier et est blessée par lui ; Pitié accourt à 
son aide et blesse à son tour Dangier qui est prêt à prendre 
la fuite^ lorsque Honte venant à la rescousse, se précipite 
sur Pitié; Honte est vaincue par Bien-Celer; Paour lutte 
contre Hardement^ puis contre Seureté. Le combat devient 
général. Le Dieu d Amours s^apercevant que ses barons 
ont le désavantage, demande une trêve de dix jours aux 
assiégés ; puis dépêche Franchise et Doulx-Regard kCythèrc, 
où sa mère Vénus tient sa Cour. Ici Tallégorie de Tœuvre 
du poète est transparente. Les personnages qui combattent 



(i) L'exemple de Clopinel a été imité par nos vieux auteurs. Co« 
quillart qui, dans ses pièces, s'attaquait à tout le monde, aux cha* 
noînes, ses confrères, aux évéques, au pape même, disant des femmes 
de Reims qu'elles faisaient trafic de leurs appas ; finit par prendre 
congé d'elles en leur demandant pardon : 

Par Dieu, mesdames, mes borjoises 

A tous voz maintiens gracieux 

Ne prenez pas mes dits à noises; 

Mes motz ne vous soient ennuyeux, 

En mes ditz n'y a que tous jeux 

£t rie quiers (cherche) à personne guerre. 

Dans la moralité : Bien Advisé et de Mal Advisé, satire assez vive de 
la Société au XV<^ siècle, l'auteur dit dans le prologue. 

Nous faisons prolestacion 
Que n'est point^nostre intcncion 
De dire rien contre la Foy 
Contre Dieu ne contre la Loy. 

< Ainsi fît Molière par la bouche de Cléante pour faire passer Tar- 
tufe, le fils de Faulx-Semblanif dé J. de Meung, comme Faulx'Sem* 
blant est fils de la Papelardie, de G. de Lorris y> (Nisard). 



— 73 — 

entre eux, figurent les divers sentiments qu'éprouvent la 
jeune fille en face de son amant, se présentant avec fran- 
cÀÎ5«; elle l'accueille avec yoi> (rf^/ic/), a jot/ié de son tour- 
ment. Et quoique se disant que le mystère (Bien-Celer^ 
Sûreté) entoure ses amours, en présence des licences que se 
permet l'amant^ elle est effrayée, voit le danger qu'elle 
court et la honte qui s'en suivrait pour elle. Mais Vénus va 
venir en aide à l'amant; — c'est-à-dire que Bel-ÀcueUy 
vaincue par les sens^ s'abandonnera à celui qui la requiert 
d'amour (i). 

Les deux messagers de Vost trouvent Fcnw5 plongée dans 
une grande douleur à cause de la mort d'Adonis, son amant, 
tué à la chasse par un sanglier. La mère des amours en 
apprenant dans quelle situation critique est son fils, quitte 
Cythère dans un char traîné par « huit jeunes colombeaux » ; 
et arrive à Vost qui, ayant rompu la trêve, soutient fai- 
blement un violent combat contre les défenseurs du 
chastel. 

Vénus jure alors que jamais plus chasteté ne se trouve- 
rait en aucune femme. Le Dieu d'Amours fait le même ser- 
ment pour les hommes, et les barons s'engagent à les aider 
de tout leur pouvoir dans cette entreprise. 

Pendant que ces choses se passent à VostcTAmourSy n Na^ 



(i) Clopinel en attribuant à chacun de ces personnages les blasons 
ci-après, aide singulièrement à cette interprétation : 

Franchise^ bordé de jointures de mains, de promesses, serments et 
de convenances. — PxViV, d'alègement, bordé de doux gémissements, 
plein de soupirs et de complaintes. — Bîen'Çeler^ bordé de siires allées 
et de revenues celées. ^- Sûreté^ de paix, bon sans doutance, bordé 
de toute concordance. — Deltct, d'aise, bordé de soûlas et de joie. — 
Hardement^ de dépit de mort, bordé d'abandonnement; — Dangter, 
l'écu fut d*écoutoyer, bordé de gens viltoyer (rabaisser, rendre vil] ; 
— Honte, de doute, de maie renommée, maint langue au bord pour- 
traite; — Peur^ écu de crainte et de péril, bordé de travail et de 
peine. 

Clopinel n'est pas le premier qui se soit servi de la science héral- 
dique sous cette forme. On en trouve, avant lui, des exemples, no- 
tamment dans le Roman du Renart, Tournoiement de l'Ante-Chrisi, La 
Bataille des VII Ars, La Voye de Paradis ^eXc, . j. ' 



- 74 — 

ture la subtille(i) qui forge tousiours Hls ou fille, afin que 
rhumaine lignye, par son deffault ne faille mie », était 
dans sa forge à forgier singulières pièces pour réparer les 
pertes que l'humanité faisait journellement. 

Le poète, par la bouche de Nature^ fait ici Texposé de ses 
théories philosophiques sur ce sujet. Comparant Toeuvre 
de la nature à celle de Tart, il établit la supériorité de la 
première tirant la vie de la matière, pour démontrer que : 



Tousiours l'espèce renouvelle, 
Par generacion nouvelle. 



tandis que Tart ne peut qu'imiter et reproduire imparfai- 
tement. Les philosophes, les écrivains les plus célèbres de 
l'antiquité, n'auraient pu que tenter inutilement pareille 
chose. Xeuxis, Apelles même, qui poussèrent si loin l'imi- 
tation de la beauté de la nature, l'un dans la peinture, l'au- 
tre dans la sculpture, ne purent donner la vie à leurs 
œuvres. 

— « NcUurCy la déesse, du monde la Reine » ayant eu 
un moment le désir de laisser périr l'espèce humaine vient 
toute en larmes auprès du bon prestre Genius pour se con- 
fesser et obtenir l'absolution. 

". — Celui-ci lui dit qu'il veut bien l'entendre en confession 
et même YcLssouldre^ mais qu'elle cesse de pleurer. — « J'ay 



(i) Alain de Lille, dit le docteur universel (fin xiil^ siècle), est auteur 
d'un conte moral, VAnti-ClaudtanuSf où il suppose que la Nature lui 
apparaît en songe pour se plaindre de la dépravation des hommes. 
Clopinel semble s'en être inspiré. « Mais ce que n'avait pas fait Alain, 
il a osé, dit G. Paris, attaquer, par la bouche de Nature, le célibat 
ecclésiastique et monacal. Cette partie du poème, la plus remarquable 
par la portée, est celle aussi qui est écrite avec le plus de vigueur et 
de netteté. — Nature la subtille et Genius, son chapelain, ont tous les 
deux le secret de la pensée de Clopinel, la mission spéciale de faire 
connaître le fond de sa doctrine. » -^ < Genius, du grec geniiâô, j'en- 
gendre, generare, engendrer, est la personnification de la fécondité 
et non du plaisir amoureux. — Vénus, c'est la passion charnelle; Gé- 
nius, l'amour naturel qui naît encore plus de la sympathie* que du 
besoin des sens, mais qui cependant n'a d'autre but que de procréer. » 
(Croissandeau). .,...*. ..... 



— 75 — 

si grande douleur » dit Nature, — « Je n'en doute pas, 
répond Genius, mais la femme, même légèrement en co- 
lère, verse des larmes si facilement que je ne m'en émeut 
guère (i). Puis suit une critique de sa part contre le beau- 
sexe. Genius blâme celui qui confie ses secrets à sa femme ; 
il se perd ; se lie les mains : « est fol celuy qui se fye à sa 
femme (2), il se met la hard au cou et perd son corps. » 

— Mais la femme est si fine qu'elle sait toujours trouver 
le moment opportun pour arriver à son but. Ainsi qu'il 
advint à Samson trahi par Dalila. Salomon conseille de se 
garder des femmes. 

— Genius après avoir consolé Nature, l'entend en con- 
fession. Cette dernière commence à la création du monde, 
explique la formation du soleil, de la lune, des planètes^ 
de leur marche et de l'harmonie qui règne parmi elles. Cest 
à la fois un cours d'astronomie et d'astrologie où Clopinel 
expose assez longuement tout ce qui était alors connu sur 
ce sujet (3). 

(i) < J'ay autrefois esté, dit Montaigne, employé à consoler une 
dame vrayment affligée : la pluspart de leurs deuils sont artificiels, 
cérémonieux... et leurs larmes toujours prêtes à couler en abondance, 
au premier ordre et de la manière qu'elle le trouve bon. » (Liv. III, 
chap. IV). 

(2) Pour les poètes des Xi*-xii|0 siècles, /a /^f/nmtf est toujours femme, 
c'est-à-dire fnible, inconstante, légère ; varium et mutabile semper fœ- 
mina (Œn. I V-sSp). Est fol eeluy qui se fye à sa femme, était un dicton 
populaire qu'on trouve mentionné dans les romans à*Amados et Idoine, 
de Renart^ etc. — C'est ce que pensait François-I^"" lorsqu'il écrivit, 
en grandes lettres sur une vitre de sa chambre, à Chambord, en un 
jour de tristesse amoureuse : Toute femme varie : auquel vers on 
ajouta depuis : Bien fol est qui s'y fie. (Brantôme, Dames Galantes, 
dise. IV). 

(3) A conférer pour tout ce discours de Nature sur la création du 
monde, etc., les ch. CIV à CXXI, liv. I du Trésor, de B. Latini, trai* 
tant du même sujet. — «La confession de Nature est à elle seule un 
grand poème didactique ou J. de Meung ne se contente pas d'exposer 
le système du monde, mais s'élevant aux questions de la métaphysique 
la plus ardue, s'efforce de concilier le libre arbitre de l'homme avec 
la justice et la toute puissance de Dieu. Poème rempli de beautés de 
style, et auquel on ne peut refuser le mérite de résumer l'état des 
connaissances cosmogoniques et philosophiques du«.mayen«âge, avec 



— 76 — 

— Nature passe ensuite aux hommes qui, par leurs 
excès et leurs folies abrègent leurs vies. Elle cite Empé- 
docle, le philosophe, se jetant dans les flammes de TEtna ; 
Origène qui sans agir de même, cessa d*étre homme en se 
mutilant. — Cest à tort, dit-elle, que l'on rejette sur Tin- 
fluence des constellations les fautes que Ton commet jour- 
nellement, puisque chacun est maître de vaincre son pen- 
chant. Elle disserte longuement contre la prédestination ; 
concilie notre liberté d'action avec la prescience infaillible 
de Dieu, qui ne nous met pas hors d^état de pratiquer le 
bien et de fuir le mal, lorsque nous le voulons ferme- 
ment (i) ; tel un homme qui sachant que les grandes cha- 
leurs ou les pluies continues devraient le faire mourir, 
pourrait se garantir des unes et des autres, soit en habi- 
tant des endroits humides ou des lieux élevés, comme 
firent Deucalion et Pyrrha pour échapper aux eaux du 
déluge. 

— Nature explique comment se forme le tonnerre, et 
quels sont ses effets, les nuées, et Tarc-en-ciel regardé comme 
le présage du beau temps, puis discoure sur les miroirs 
ardents, les lunettes à longue-vue. Si, dit-elle, Vénus et 
Mars avant de se mettre ensemble au lit, avaient pu voir 
par un miroir les lacs que Vulcain avait placés pour les 
surprendre, ils auraient évité le piège et rendu Vulcain 
confus ; au lieu de cela, ils voulurent lui faire croire qu'il 
avait mal vu. Les femmes sont habiles en subtilités et ma- 
lices ; elles mentent et jurent hardiment, même lorsqu'on 
les prend sur le fait. 



une netteté qu'on ne trouve point toujours dans les Trésors, les Miroirs 
et autres Encyclopédies latines ou françaises qui se multipliaient alors 
de tous côtés. » (Hist. litt. de la France, 23-41.) 

(i) Montaigne n'est pas de cet avis : < Davantage, sur quel fonde* 
ment de leur justice peuvent les dieux recognoistre et récompenser à 
l'homme, après sa mort, ses actions bonnes et vertueuses, puisque ce 
sont eux-mêmes qui les ont acheminées et produites en lui? Et pour- 
quoi 8'ofifensent*ils et vengent Sur luy les vicieuses, puisqu'ils l'ont 
eux-mêmes produict en cette condition faultiêre, que d'un seul clin de 
leur volonté, ils le peuvent empescher de faillir?)) (liv. II,. chap. xii). 



— 77 — 

Qui cueur de femme appercevroît 

Jamais fier ne s'y devroit ' 

Non £eroit*il certainement 

Où il mescherroit * grandement. * Serait malheureux* 

Cest pourquoi Salomon a dit : bienheureux serait 
rhomme qui bonne femme trouverait. 

Puis, un long discours sur les songes qui adviennent à 
ceux qui ont été en trop grande dévotion ou contemplation 
pendant le jour ; ils ont Tesprit frappé de ces mêmes choses 
pendant leur sommeil^ comme par exemple Scipion <( qui 
vit enfer et paradis, et ciel et air, et mer et terre (i). » 

— Nature revient aux comètes qui ne sont pas aux cieux 
posées, mais parmi l'air, embrasées ; elle réfute l'opinion 
qui veut que ces météores annoncent la mort des princes (2). 
Ils ne sont pas dignes, fait direClopinel, à Nature : 

Que les cours du ciel donnent signes 

De leur mort plus que d'ung auitre homme ; 

Car leur corps ne vault une pomme 

Oultre * le corps d'ung charuyer **, ♦ Plus. ** Char- 

Ou d'ung clerc ou d'ung escuyer; retier. 

Car je les fais semblables estre 

Si comme il appert à leur naistre *, * Naissance. 

Par moy naissent semblables nudz 

Fors et faibles, gros et menuz : 

Tous les metz en égalité 

Quant à Testât d'humanité. - 

(i) Il est vraisemblable, dit l'auteur des Essais, que le principal cré-- 
dit des visions, des enchantements et tels effets extraordinaires, vienne 
de la puissance de l'imagination, agissant principalement contre les 
âmes du vulgaire, plus molles ; on leur a si fort saisi la créance, qu'ils 
pensent voir ce qu'ils ne voyent pas » [liv. I, chap. xx). 

(2] « A icel temps (1264) aparut el firmament une comète quiespan- 
doit environ ses rais luisans, et dura bien trois mois. De celé estoile 
dient li sage astronomien que quant ele apert el firmament el senefîe 
remuemens de règnes ou mort de grans seigneurs » (B. Latini). 

Cette croyance, contre laquelle s'insurge Clopinel, avait cours dans 
l'antiquité et au moyen-âge. On sait que Charles V, Louis XI, Cathe- 
rine de Médicis, étaient entourés d'astrologues et ne faisaient rien sans 
consulter les astres. Vespasien pas plus que Mazarin n'y croyaient. 
Napoléon I^' était plus crédule. Le D' Antomarchi raconte que Tem* 



— 78 — 

f La vertu seule, ajoute iVa/i/rtf, fait la noblesse, ^en/tV- 
lesse de lignage ne vaut rien qui vaille (i) *• E^ll^ ^^^^ ^^e 
celui qui prétend être noble, se consacre à Tétude et aux 
armes, fuit paresse et vilenie comme firent autrefois Gau- 
vain et le comte d'Artois, Robert (2). Mais posons, conti- 
nue-t-elle à dire : 

Mais posons ce qui ne peut estre, 

Que je face aucun gentil * naistre, ♦ Noble. 

Et que des aultres ne me chaille *, * Importe. 

Qu'ils vont appelant vUlênatlU 

Quel bien a-il en gentillesse ? 

Il semble que la prouesse dopt ont fait montre leurs 
aïeux, doit les exciter à leur ressembler ; autrement ils 



pereur très malade, apprenant qu'une comète se voyait du côté de 
l'Orient, regarda cette apparition comme le présage de sa mort. 

(x) Avant Clopinel, Baudoin de Condè, trouvère du xiil* siècle 
avait dit : 

Nus n'est vilains se de cuer non 

Ne nus gentis hom ensement * * Aussi pareillement. 

S'il n'uevre de cuer pareillement 

et depuis, Jean Lemaire de Belges, dans sa Couronne Margaritique : 

II te vaut mieux d'un vilain être 

Engendré sagç et vertueux, 

Que d'un noble homme avoir pris l'être, 

Et d'être fol et vicieux. 

Le fils d'un noble est ignoble. 

Et vilain s'il vit vilement; 

Et le fils d'un vilain est noble 

Et gentil, s'il vit noblement. 

« Si la noblesse est vertu, elle se perd, dit La Bruyère, par tout ce 
qui n'est pas vertueux; et si elle n'est pas vertu, c'est peu de chose. » 

(2) Est-ce le frère de Saint Louis, Robert !•' Comte d'Artois, tué à 
Mansourah en 1250; ou son fils Robert II, tué à Courtrai en 1302, qui 
a été visé ici par le poète? — La réponse a une importance capitale, 
pour décider à quelle date ces vers du roman ont été composés et par 
suite, fixer celle de la reprise du poème par Clopinel. Nous croyons 
avoir démontré dans notre Etude sur G, de Lorris^ que c'est Robert II, 
et que la composition des dits vers a eu lieu après 1302. V. App. I. 



— 79 — 

emblent^ volent le nom de gentilhomme et se parent d*un 
renom qu'ils ne méritent point. Je fais à tous assaroir qu'ils 
doivent être alors plus vils tenus que s'ils fussent de chétifs 
venus, malgré qu'ils disent être nobles, admis comme tels 
et que leurs aïeux le furent ; ils ne disent pas vrai, mais 
mententy car ils ne font rien pour justifier ce nom de gen- 
tilhomme et rabaissent la gloire dont ils se parent ; ils 
veulent une autre noblesse que celle que je leur donne 
« qui moult est belle et a nom naturel franchise ». 

— Nature revient encore aux comètes pour dire, s'il est 
vrai, que la mort d'un prince est plus notable que celle 
d'un paysan, c'est être fol de croire que les astres annon- 
cent la mort de rois ou de princes, car ce serait alors 
déranger le cours céleste (i). 

— Elle n'a aucune plainte à faire contre les éléments qui 
se succèdent les uns aux autres dans l'ordre prescrit ; les 
plantes donnent leurs fruits aux époques fixées; les oiseaux, 
les poissons suivent les règles qui leur ont été données. 
Mais il n'en est pas de même pour l'homme formé à l'i- 
mage et à la ressemblance de Dieu, et pour le salut duquel 
un Dieu s'est incarné dans le sein d'une vierge et a voulu 
mourir sur une croix. 

— L'homme, qui est un abrégé de toutes les perfections, 
est aujourd'hui livré à tous les vices (2). Nature parle ici 
du Dieu créateur, de la Triîiité qui est un merveilleux 
triangle^ dont l'unité fait les trois angles, et du fils de Dieu 
qui naquit d'une vierge et dont la naissance fut annoncée 
parles Juifs et parles Payens. Puis, énumérant les défauts 
de l'homme qui est orgueilleux, meurtrier, félon, convoi- 
teux, avare, bref qui n'a de bien faire talent (volonté). 
Nature veut surtout se venger de lui pour les fautes qu'il 
commet contre les lois établies pour la génération. Ce dont 

(i) Dans sa ballade : « Les astres n'enchatnent pas la volonté ». 
£. Deschamps réfute également ceux qui attribuaient aux astres une 
influence fatale et absolue sur les actions des hommes; il y reprodoiic 
les raisons de Clopinel. 

(a) V. chap. \i, % I•^ 



ÏJJ.'.,--^»!!''" ' 



— 80 - 

elle Nature est fort'peinée. Elle conseille à Ginitis de se 
rendre à Yostà\i Dieu dAmourSy et après Tavoir salué ainsi 
que dame Vénus et toute la baronnie, hormis Paulx-Sem- 
blant et Abstinence^ de leur dire qu*il est envoyé par elle, 
pour excommunier tous ceux qui ne travaillent pas à la 
propagation de Fespèce humaine. 

Nature ayant achevé sa longue confession qui comprend 
environ 3.5oo vers, et où est résumée par le poète toute la 
science, toute la philosophie d'alors, le prêtre Genius lui 
donne l'absolution ; et comme pénitence lui ordonne de 
retourner en sa forge pour frapper et forger pièces hu- 
maines ; puis il se rend à Vost d'Amours. 

L'arrivée de Genius est fêtée par toute l'armée, à l'ex- 
ception de Faulx'Semblant et de Contrainte-Abstinance 
qui s'esquivent vite. Alors le Dieu (f Amours au grand con- 
tentement de tous et de Vénus gui ne cesse de rtVe, fait 
endosser une chasuble à Genius^ lui baille un anneau, une 
crosse, une mitre (i) ; « lui met au poing un cierge ardent 
qui ne fut pas de cire vierge » ; ainsi aitublé, Genius monte 
en chaire, lit les commandements de Nature^ qui veulent 
qu'homme et femme qui ont dmes raisonnables, travaillent 
à la reproduction de leur espèce. 

Car Dieu en leur commencement, 
Les ayma tous communément : 

(i) Clopinelf nous paraît, pour l'excommunication, s'ôtre inspiré 
du Roman du Renart, où l'on voit Primant endosser une chasuble, 
poser une grande et belle couronne sur sa tête, se rendre de suite à 
l'autel, ouvrir ie missel et en tourner les feuillets. — Dans Renart le 
Navel, où Renart, excommunié par VAne^ avec tout le cérémonial usité 
en pareil cas^ s'écrie : 

Que feroy-je? on m'excommunie! 
Manger ne pourrai plus de pain 
Si je n'ai appétit ou faim ; 
Et mon pot bouillir ne pourra 
Tant que le feu ne sentira... 

Nos anciens poètes ne se gênaient guère pour ridiculiser les céré- 
monies de l'Eglise. Qu'auraient dit de plus Rabelais et Voltaire? 



- 81 - 

Et donna raysonnables Ames 

Autsy aux hommes comme aux femmes (i). 

fulmine Tanathème contre tous « ceulx qui ne se veullent 
remuer pour Tespèce continuer» ; et publie la bulle du par- 
don général accordé à ceux qui mettront en œuvre les 
talents qu'ils ont reçus de la nature pour lui conserver des 
sujets. 

— (( Travaillez seigneurs barons, travaillez pour vos 
lignages réparer qu'Atropos détruit tous les jours : par là 
vous éviterez les supplices que les furies font subir en 
enfer. Vous irez dans les lieux où règne un printemps 
perpétuel, séjours plus heureux que ceux que Ton vit sous 
Saturne (2). » 

(i) Ce fut pendant tout le moyen-âge, une croyance générale que 
la femme n'avait pas d'Ame et ne pouvait être regardée comme un 
être raisonnable. Cette croyance remontait aux temps bibliques, et 
après avoir traversé les âges, était venue en Occident avec le Chris- 
tianisme (V, p. 132). 

Cloptnel ne craignit pas de combattre cette croyance. Il fut un des 
premiers qui osa prendre si courageusement la défense de la femme 
et lui donner, dans la société, la place qui lui convient. — Le beau 
sexe doit donc lui en savoir gré et lui pardonner les quelques paroles 
malicieuses qu'il lança contre lui. 

(2) « La génération, dit Montaigne, est la principale des actions 
naturelles » (liv. II, chap. XII). Notre poète et l'écrivain philosophe 
du xvio siècle, ne font ici, que se conformer aux versets 27 et 28 du 
chap. I de la Genèse. La loi chrétienne ne condamne point le mariage ; 
c'est un de ses sacrements ; mais elle déclare que le célibat est un état 
plus parfait. -^ Le concile de Trente (1563), alla plus loin; il jeta 
Vanathème sur quiconque niait que le célibat ne fut supérieur et pré- 
férable au mariage. Les éloges que J.-C. donne au célibat ont, sans 
doute, engagé l'Eglise à en faire une loi pour les ecclésiastiques et les 
religieux ; mais il n'a rien statué lui-même sur cet article. S'il est mort 
célibataire, c'est qu'il considérait qu'ayant une mission à remplir ici- 
bas, il fallait qu'il fût libre de tous liens, notamment de celui du ma- 
riage ; mais il est né Juif et a observé tout le rit de cette religion dont 
les ministres se mariaient, et dans laquelle la femme stérile était re- 
gardée comme maudite de Dieu. 

On lit dans Saint-Mathieu : < Le matin, comme Jésus retournait à 
la ville de Béthanie, il eut faim, et voyant un figuier, il y alla, mais il 
n'y trouva que des feuilles, et il lui dit : qu'il ne naisse à jamais aucun 
fruit de toi, et incontinent le figuier sécha » (xxi-ip.) 

Par cet exemple, on voit que Jésus éuit d'accord avec la Genèse : 

6 



— 82 — 

Genius raconte comment Saturne fut mutilé par son iils 
Jupiter. Ce fut un péché contre nature, car il lui ôta les 
marques de la virilité et le rendit semblable aux fem- 
mes (i), pour faire malice et grandes diableries. Jupiter de- 
venu 5tre du monde ^ fit publier que chacun eût à faire tout ce 
qui lui serait agréable (2), — et donnant l'exemple, se plon- 
gea le premier dans tous les plaisirs et toutes les voluptés. 

— Ce fut lui qui fit le partage de la terre en trois parties, 
donna des noms aux étoiles et apprit aux hommes à chas- 
ser et à se rendre maîtres des animaux sauvages ; qui ren- 
dit le loup féroce et le serpent redoutable par son venin ; 
divisa Tannée en quatre saisons, et fit succéder à l'âge 
d*oTf rage d'argent remplacé depuis par ceux d'airain et de 
fer. 

— Ces variations successives dans Tâge des temps, 
réjouirent beaucoup les divinités infernales, toujours 



plantes, animaux, êtres humains, tous, au temps du renouveau, doivent 
les uns porter fruits, les autres perpétuer leur espèce. — La malédic* 
tion de Jésus contre ce pauvre figuier, était prononcée par lui contre 
toute justice : il ne pouvaity avoir de figues, puisque d'après St-Marc 
qui raconte le même fait, ce n'était pas la saison des figues. (XI- 13.) 

(i) Les prêtres de Cybële et les Galles, prêtres de Junon, en Syrie, 
se mutilaient exprès et portaient des vêtements de femmes. 

Napoléon regardait l'usage de mutiler des hommes comme odieux 
et criminel. < Je l'ai aboli dans tous les pays que j'ai gouvernés. Je 
l'ai même défendu à Rome sous peine de mort. Je pense que quoique 
le Pape et les Cardinaux soient maintenant les maîtres, il ne paraîtra 
pas » (Mémorial de Sainte- Hélène). — <c Plusieurs conciles pronon- 
cèrent des peines contre les eunuques volontaires. A l'exemple d'Ori- 
^ène, il s'était formé une secte entière de ces hommes dégradés; on 
les nommait Valésiens : ils mutilaient non seulement leurs disciples, 
mais leurs hôtes; ils guettaient les étrangers sur les chemins, pour les 
délivrer des périls de la volupté. Ils habitaient au-delà du Jourdain, 
ik l'entrée de l'Arabie. » (Chateaubriand. Etudes hist.) 

(2) Ainsi a dit plus tard Rabelais pour la célèbre abbaye de ThéUme, 
dont la règle était : « Fay ce que vouldras. » — Maintes pages de 
Gargantua et de Pantagruel établissent une parenté d'idées entre Clo* 
pinel et Rabelais. Et ce dernier nous parait s'être souvenu de Faulx- 
Semblant pour créer Panurge qui a soixante manières de gagner de 
l'argent, dont le travail seul est excepté ^ qui reçoit et emprunte volon- 
tiers sans jamais rendre, etc. 



- 83 — 

prêtes à s^mparer des hommes qui sVcartent du chemin, 
où Dieu, sous la figure d'un agneau^ veut bien les conduire. 
— Et sous Tallégorie du parc où vont paître les brebis, 
Genius décrit le paradis qu*il oppose au jardin où VAmani 
rencontra Déduyt ; puis établit la supériorité du premier 
sur celui construit par la main des hommes. 

— Il raconte les joies ineffables que Ton y goûte et qui 
rassasient à jamais les bienheureux ; compare la fontaine 
où Narcisse devint amoureux de sa propre image, avec la 
fontaine de la divine essence ; et fait voir combien la pre- 
mière est trouble et bourbeuse auprès de la fontaine de 
vie. 

Genius finit par exhorter les barons à se mettre en état 
de pouvoir aller dans ces lieux de délices, boire à la belle 
fontaine dont Teau pure, claire et saine, procure l'immor- 
talité et la joliveté pour chanter mottez^ rondeaulx et chan- 
sonnettes sous les bosquets de verdure et de fleurs (i) ; puis 
lance dans le chastel le cierge : 

Qui ne fust pas de cire vierge, 
Dont la flamme toute enfumée 
Partout le monde est alumée. 
N'est dame qui s'en sceust deffendre, 
Tant le sceult bien Vénu^ espandre. — 

Les barons excités par le discours de Genius (2), qui 
alors disparaît, se préparent à donner Tassaut, — Vénus 
somme les défendeurs du chastel de se rendre, — Honte 
et Paour lui répondent qu'ils n'en feront rien. — La déesse 
en colère, les prévient qu'elle va faire détruire le chastel 
et mettre au pillage toutes les roses du jardin et à la merci 



(i) Il n'y manque plus que des houris pour que cette description 
soit celle du Paradis de Mahomet. Et encore si la femme n'y est pas 
nommément désignée, le sujet lui-même donne-t*il à penser qu'elle 
est une des joies du paradis en question. C'est là une réminiscence 
des croisades, qui s'est présentée sous la plume de Clopinel. 

(2) « Rabelais dans ses pages les plus révoltantes a, dit P. Paris, 
• mis à contribution cette partie du discours de Genius, » 



— 84 - 

dés clercs, des laïques et des religieux ; de sorte que toutes, 
' elles seront diffamées. ..— . Elle tend son arc et fait partir 
une flèche, qui va droit à une fente qu'on voyait au dev«jit 
d^une belle image d'ivoire sculptée, comme celle dont 
Pygmalion fut épris. 

Ici est racontée en 400 vers, la fiction de Pygmalion 
devenant amoureux d'une statue de femme en ivoire 
sculptée par lui. Vinus se rendant aux vœux de Tartiste, 
anima cette statue, et de leurs amours naquît Epaphos qui 
donna son nom à Ttle de Paphos. Epaphos fut père de 
Cynéras qui, de sa propre fille Myrrha la blonde, eut le 
bel Adonis. 

Sans plus attendre, Vénus lance sur les défenseurs du 
chastel un brandon ardent dont la flamme se répand par- 
tout et met le feu au pourpris. Tous fuient épouvantés ! 
Dangier^ Honte et Paour abandonnent le chastel aussitôt 
envahi par Courtoysie^ Pitié et Franchise qui délivrent Bel- 
Acueilf et lui rappellent VAmant qui tant souffre pour 
elle.. — € Ottroyez luy, dit Franchise à Bél-Acueil: 

Ûttroyez«luy la Rose en don 

Dame» je la luy habandon, 

Dist Bel*Acueily moult voulentiers ; 

Cueillir la peut endementiers * * A présent. 

Que seulz sommes en ceste voye : 

Piéçà ♦ recevoir le devoye, * Déjà. 

Car bien voye qu'il ayme sans guille *, * Tromperie. 

Sous l'allégorie d'un pèlerin muni de son bourdon et 
revêtu de l'écharpe, le poète nous montre VAmant^ après 
cest ottroye savoureux, achevant son pèlerinage auprès de 
l'image qui était derrière la fente où Vénus avait tiré une 
de ses flèches; racontant ses voyages dans Tempire d'amour 
pendant lesquels, il avait vu qu'il y avait plus à profiter en 
fréquentant les femmes déjà sur le retour, dont « moult 
on peut bon loyer attendre » que de celles qui de rien ne 
se doutent, ressemblent à l'oiselet qui se laisse prendre à 



Jn .M> ■J1'.iHi"M » 4it.. Tiri 



— 85 — 

Tappeau perfide, et croient que tout ce qu'on leur conte est 
parole d'Evangile. Les premières, au contraire, ayant pour 
elles Texpérience sont moins faciles à tromper. Et quoiqu^il 
soit admis que : 

Si rest plus de gfaigne rentier, 
Vîeilz chemin, que nouveau sentier. 

On peut aimer une jeune femme, car il fait bon de tout 
essayer, pour pouvoir parler en connaissance de cause 
des plaisirs d'amour et dire lesquels sont doux, lesquels 
sont amers. 

U Amant est arrivé au terme de son pèlerinage ; il entre 
dans la tour et parvient enfin à cueillir la Rose qui était 
tout son désir. — Il témoigne sa reconnaissance au Dieu 
(T Amours, à Vénus et aux barons qui «viennent toujours en 
aide aux fins amoureux ; mais il ne veut point se rappeler 
de Rayson, ni de Richesse la vilaine, qui n'eurent pas pitié 
de lui. — Et c'est le cœur encore plein d'amour et du sou- 
venir de l'heureuse nuit qu'il vient de passer, qu'au réveil, 
il s'écrie : 

Par grant joliveté cueilly 
La fleur du beau rosier fleury; 
Ainsy euz la Rose vermeille — 
A tant fust jour, et je m'esveille. 



CHAPITRE IV 
Commentaires historiques sur le £oi22ai2 de la R086. 

Bol et IValion. * SVoblesse et vllalumge. — La noblesse rabaissée. 
— Suppression de prlvllèses, ete* — Bourgeois auprès du Roi. — 
Le Tiers ans États Généraux* — Rayson, Amys attaquant la 
Royauté. * Eie premier roi fut un vilain. — FaulX' Semblant erl- 
tiquant noblesse et ehevalerle. — Pour Nature, nobles et vilains 
sont égaux* ^ Le peuple est tonti le roU rien. — Affirmation 
de ce dn«lt dans les Assemblées Nationales et par les historiens. 



Telle est en40pages^ l'analyse succincte des 18,000 vers 
dont se compose la partie du Roman de la Rose attribuée 
à Clopinel, et dans laquelle, il a continue Tallégorie 
employée par son devancier. — Or, sur ce nombre, 
/ 4jOoo _yers en viron, ont trait_au_roman ^et finissent réjelle- 
' ment l'œuvre inachevée de Guillaume de Lorris. X,e sur- 
plus, 14,000 vers sont débités par Rat/soîi^ Amys, Eaulx- 
Semblant, la Vieille^ Nature et Genius, personnages nou- 
. veaux qui figurent dans le poème pour les besoins de la 
cause que défend l'auteur; c'est-à-dire pour faire connaître 
ses théories politiques, religieuses et philosophiques sur les 
hommes et les choses de son temps ; — par exemple, plus 
de nobles et de non nobles, l'égalité pour tous les hommes; 

— la royauté élective émanant du peuple, et non héré- 
ditaire; — la négation du pouvoir temporel de la papauté ; 

— l'abolition du célibat des prêtres et des moines ; — et 
l'affranchissement de la femme. Toutes questions aujour- 
d'hui d'actualité, que l'on est surpris de lire dans un poème 
du xiii'' siècle! 

— Ce sont ces passages du Roman de la Rose, reproduits 
par tous les poètes et prosateurs, qui ont contribué à don- 



— 87 - 

ner, depuis le xiii* siècle jusqu*à nos jours, une si grande 

renommée à Ciopinel et à son œuvre. 
^ — Nulle part^ on ne trouve le droit du peuple dans les 

^ ' affaires du gouvernement plus énergiquement af&rmé : 

« Le peuple est tout^ le roi, rien. » 

— Nulle part, on ne lit une critique plus virulente contre 
la noblesse. « Il n'y a pas d'autre noblesse que celle que 
donne nature^ qui moult est belle et a nom naturel fran- 
chise. » 

— Nulle part enfin, l'oisiveté, le luxe, l'avarice que l'on 
reprochait alors aux gens d'église, ne sont attaqués plus 
vivement que dans ce Roman. 

Le Roman de la Rose ayant été soumis maintes fois, par 
des maîtres autorisés, à un examen critique comme roman 
d'amour^ moral et satirique, et apprécié au point de vue du 
style, de la versification et de son économie, nous croyons 
par cela même, être dispensé de nous livrer à ce travail. 
t Notre tâche, du reste, sera tout autre, en étudiant l'œuvre 

de Ciopinel sous les rapports politiques, religieux, et des 
mœurs de l'époque; et en en cherchant les commentaires 
historiques dans les faits du xiii« siècle. 

Nous avons déjà esquissé, en quelques lignes, le règne 
politique de Philippe IV, dit le Bel. Pénétrons plus avant 
dans les origines, pour bien faire connaître l'histoire de 
cette époque si curieuse à étudier. 

Les Francs, en s'emparant de la Gaule, imposèrent leur 
autorité aux habitants du pays conquis; de, là l'origine du 
droit divin ou du plus fort. Mais l'avènement au trône de 
Pépin le Bref qui avait usurpé la couronne sur Childéric III, 
le dernier mérovingien, puis de Hugues Capet qui fut dans 
le môme cas à l'égard de Charles de Lorraine, doit, quoi- 
qu'on en dise, être bel et bien considéré comme une usur- 
pation. — Pépin, sacré roi par Boniface, archevêque de 
Mayence, n'eut la conscience tranquille qu'au moment où 
« le pape Etienne Teignit et sacra à la nouvelle dignité de roi 
. des Francs et ses deux fils Charles et Carloman, en l'église 



— 88 - 

de Saint- Denis en France et les confirma en telle manière 
que lui et toute sa lignée eussent la dignité du royaume 
toujours, mais par héritage; et excommunia de l'autorité 
de Saint Pierre tous ceux qui encontre seroient ni qui force 
y feroient » (Chr. St-Denis.) 

A la deuxième assemblée tenue à Senlis, en 987, le 
moine Richer, fait dire à l'archevêque de Reims, partisan 
de Hugues Capet : « Nous n'ignorons pas que Charles de 
Lorraine a des partisans; ils prétendent que le trône lui 
appanient par droit de naissance. Si Ton pose ainsi la ques- 
tion, nous répondrons que le trône ne s'acquiert peu par 
droit héréditaire. On ne doit y élever que celui qui se dis- 
tingue par la noblesse du corps, la sagesse de Tesprit... 
Charles ne possède aucune de ces qualités tandis que 
Hugues... » ; et ce dernier est sacré à Noyon, le i*' juin 987, 
— Mais le nouveau roi est si peu certain de la validité de 
son élection que pour assurer le maintien du sceptre dans 
sa famille, son premier acte politique est de faire couron- 
ner de son vivant, d'associer au trône, son fils Robert, 
violant ainsi le principe invoqué par l'archevêque de Reims 
contre Charles de Lorraine. — Cette élection peu réguh'èrc, 
puisqu'elle ne fut faite que par les clients et les partisans de 
Hugues, explique suffisamment les nombreuses luttes des 
grands vassaux contre les premiers Capétiens dont il est fait 
mention dans nos anciennes chansons de geste, car elle n'eût 
pas lieu sans soulever de vives récriminations de la part de 
ceux qui, la veille, étaient les pairs du nouveau roi (i). 
Leurs mouvements de résistance à l'acte accompli, se firent 
sentir, non seulement, sous le règne de Hugues Capet, mais 
encore sous ceux de ses successeurs, lesquels par précau- 

(i) On connaît la réponse d'Adalbert de Périgord à Hugues Capet 
lui demandant qui Vavati fait comte T — Ceux qui font fait roi, — 
Voici celle qu'Eudes II, comte de Blois et de Chartres, fît à Robert 
i**" lui réclamant l'hommage. € Je suis grâce à Dieu de la race des 
gens qui héritent ; mon bénéfice me vient de mes ancêtres et non de 
toi ; quant au service que je te dois, tu sais comment je l'ai accompli 
lorsque nous étions en bonne intelligence. > (Chateaubriand ; de Lépi- 
nois, Hist de Chartres.) 



— eu — 



tion, associèrent aux affaires du royaume et firent sacrer de 
leur vivant, celui de leurs fils désigné pour succéder. 

Philippe II, fut sous ce rapport, plus tranquille. Voyant 
le trône bien acquis aux siens, il négligea d'agir comme 
ses prédécesseurs (i). Du reste, ce roi, en gagnant avec 
Taide des gens de communes^ la célèbre bataille de Bouvines 
(1214) contre Othon, empereur d'Allemagne, Jean i", ro* 
d'Angleterre et les comtes de Flandre et de Boulogne, 
coalises contre la France, terrassa du même coup Ja féoda- 
lité. — Ce fut le dernier acte sérieux des grands vassaux 
pour protester contre le fait accompli. On vit bien encore 
plusieurs d'entre eux, s'unir pour lutter de concert contre 
la reine Blanche de Castille et lui disputer la régence de son 
fils, mais les grandes luttes féodales qui avaient eu pour 
but de chasser du trône les Capétiens, étaient finies. 

Le pouvoir royal à l'époque qui nous occupe, avait reçu 
des règnes précédents d'immenses accroissements; et une 
consécration de la transmission de la couronne par droit 
d'hérédité dans cette famille, ayant été acceptée par la 
société féodale, il n'y avait plus rien à craindre pour 
Philippe IV des grands vassaux. Cependant, H. Martin 
nous représente ce roi comme « l'homme qui contribua le 
plus à la ruine de la société du moyen-âge en France », 
— et Boutaric c comme ayant fait une guerre à mort à la 



(x) Louis VIII n'imita pas l'exemple de son père. « Il choisit son fîis 
aine (Louis IX) pour lui succéder, laissant à ses autres enfants des apa- 
nages. L'accession du premier-né à la couronne n'était pas encore 
un droit indépendant de la volonté paternelle, il fallait le consente- 
ment des pairs. Le roi alors prenait le titre d'empereur, imperator^ 
et le fils associé celui de roi, rex. (Gaillard, Rivalités 1-159.) Nous 
taisons connaître p. 22, l'étendue du royaume attribué à Charles-le- 
Chauve par le traité de Verdun. L'élection de Hugues Capet eut pour 
résultat immédiat, un amoindrissement du royaume de France et 
l'abandon, sans retour, de tous droits ou prétentions à la couronne 
impériale. Ce qui n'aurait, sans doute, pas eu lieu, si, dans l'assemblée 
de Senlis, Charles de Lorraine avait été élu. -^ Il y a de cela plus de 
mille ans. Que serait actuellement la France, que serait l'Europe si 
Charles avait été préféré à Hugues Capet?— C'est-à-dire le suffrage 
libre, le sang de Charlemagne respecté, et le droit de succession adopté. 



- 90 - 

noblesse qu'il attaqua de tous côtés et avec des armes de 
toutes sortes, ordonnant même aux gens de communes, à 
ces vilains jadis si méprisés, de lui courir sus au nom du 
roi. » 

Philippe le Bely le roi le plus absolu jusqu'alors de tous 
les rois Capétiens, comprit sans doute, en profond politique 
qu'il était, que la force de la nation résidait bien plus dans 
le peuple que dans la noblesse depuis plusieurs siècles 
l'adversaire redoutable de la royauté; et qu'il était d'une 
sage prudence de faire ce peuple « qui aimait peu les 
nobles », dit Boutaric, le soutien du trône. Aussi le voit-on 
s'entourer de gens de moyenne condition, de bourgeois, 
tels : Nogaret, Flotte, Marigny, Latilly, Dubois, Clopihel, 
qui, par leur situation auprès du souverain, marchent 
de pair avec les grands du royaume. 

Le roi ne néglige rien et use de tous les moyens pour 
froisser ces gentilshommes si vains de leur origine, au 
point de croire qu'ils étaient formés d'une autre matière 
que le bourgeois et le serf (i). Il fait d'abord poser en 
principe par le Parlement, que tout anoblissement devait 
émaner de l'autorité royale à l'exclusion des grands feu- 

(i) C'était la manière de voir de Joinviile lorsqu'il traitait de vilain, 
JiU de vilain et de vilaine, le confesseur et chapelain de St Louis, 
Robert de Sorbonne parce qu'il était revêtu d'un habit luxueux ; et 
déclarait au roi qu'il ne voudrait pas, le jour du Jeudy absolu, laver 
les pieds des pauvres, des vilains, La loi féodale disait : € Entre 
toi, seigneur, et toi, vilain, il n'y a juges, fors Dieu. > Aussi les 
membres de la caste privilégiée, avaient-ils la conviction d'être pétris 
d'un autre limon que celui des bourgeois ou des serfs, comme nous 
l'apprend l'auteur de J?tf»ar^ le Contrefait: 

Il vous semble à voz jugemens 

Que soies nez de dyamans 

Et de rubis et de thopaces. 

Ne n'oit en vous fors biens et grâces, 

Et que tuit autre soient de boe (boue.) 

Les Chartes et les Chroniques disent la même chose : un vilain 
n'était pas un homme, mais un être vil, — € Dieu! quelle douleur! » 
s'écne le chroniqueur de St- Denis, en parlant des barons et cheva- 
liers tués À Courtrai par les Flamands, € d'être ainsi abattus, détran- 
chés et tués par les mains des vilains! » (H. Martin, 4-440). 



- 91 — 

datairesqui s^étaiént arrogés ce droit (i); puis il cherche à 
élever ce peuple si méprisé par la noblesse. En 1295, il 
anoblit Jean de Taillefontaine avec le droit de posséder 
fiefs nobles, de jouir des privilèges et de porter le ceinturon . 
des chevaliers (2} (Boutaric). — Autre anoblissement d*un \ 
boucher qui combattit vaillamment aux côtés du roi^ à ^ 
la journée de Mons-en-Puelle (i3o4). Philippe le fit che- 
valier et donna à lui et à ses enfants 100 livres de rente à 
perpétuité (Chr. de Saint- Denis). 

— Puis paraissent, pour la première fois, les chevaliers 
ès-lois pris parmi la bourgeoisie et qui jouent un si grand 
rôle sous ce règne et les suivants; ils eurent les mêmes pri- 
vilèges que les chevaliers d'armes qui les regardèrent avec 
mépris et comme des intrus (Boutaric) (3) ; ainsi que le 
montrent plusieurs compositions de ce temps, notamment 
le Dit de vrfri/^ (i 295), « où se fait jour l'irritation des nobles 
contre le roi, à cause de la préférence qu'il accordait dans 
ses conseils à des gens de petite naissance » (G. Paris). 

Par son ordonnance datée de Paris, 1294, destinée à ré- 
primer le luxe, Philippe le Bel force les nobles à n'avoir, . 
sous peine d'amende, qu'un certain nombre de robes et de 
certaine étoffe, selon leur condition et leur fortune; aux 
grands barons, il ôte un à un ce qui leur restait de leurs ' 
anciens privilèges : droit de battre monnaie, droit de jus- / 
tice; retire le port d'armes; défend les guerres privées et 

(i) Le Parlement cassa en 1280, un anoblissement fait par le comte 
de Flandre (H. Martin, 4*361). 

(2) Déjà Philippe III, avait anobli Raoul l'Orfèvre ; et par la révo- 
cation de l'ordonnance de 1275, fît disparaître toute distinction entre 
nobles et non nobles, en permettant à ces derniers d'acquérir et de 
posséder des fiefs et de faire le service militaire (id.) 

(3) Tous les docteurs en droit civil, tous les avocats obtinrent bien- 
tôt les franchises nobiliaires, sous le titre bizarre de « chevaliers es 
lois»; l'ordre des avocats voulut rivaliser de tous points avec l'ordre 
de chevalerie. Rutebeuf avait, déjà, fait mention de chevaliers de 
plaid et d'axises, et Pierre de Fontaines, conseiller de St Louis, prenait 
la qualité de chevalier és-lois. € Or, sachez, dit Bouteiller dans sa 
Somme rurale^ que le fait d'advocacerie si est tenu fiX, compté pour 
chevalerie > (Hist. litt. 24), 



les tournois, ne permet le duel que dans certain cas. Bref, 

la suppression de toutes leurs prérogatives^ si contraires, 

dit Boutade, à la civilisation et à Tordre public. 

• — Et pour sceller ces réformes, le premier, de son 

' propre mouvement et dans la plénitude de l'autorité, il 

; admet aux Etats-Généraux, aux Assemblées de la Nation 

. (1289, 1290, 1295) la bourgeoisie à qui il reconnait le droit 

de posséder fiefs et seigneuries; puis « donne la noblesse à 

'; tout son entourage 'roturier en déclarant que, tous, nobles 

' et non nobles, doivent contribuer à la défense du royaume ». 

— Avant lui, le clergé et la noblesse avaient seuls pris 

part aux affaires du royaume. La bourgeoisie qui, avant ce 

^ règne, était quasi à Tétat de lettre morte, prend alors une 

importance considérable: 

Bourgois du ro^ 6t per et conte, 
De tous étatz portent l'honneur. 
Riches bourgois sont bien seigneurs 
Bourgois sont la moieUne vie 
De quoy bonnes gens ont envie. 

lit-on, dans un contemporain^ Tauteur de Renart le Contre- 
fait il). • 

C'est donc dans cet ordre d'idées, et comme corollaire à 
ces faits du règne de Philippe IV, que l'œuvre de Jean 
Clopinel est à étudier. 

Nous voyons notre poète prendre en mains la cause du 
peuple dont il est issu. Il fait dire d'abord à Rayson : « Si 
tous ceulx de ce monde vivoient paisibles et tranquilles, 
jamais roy, ne prince n'auroient, ne bailly, ne prevost, et 
on n'eust oncques aucun roy veu prendre le bien d'autruy . » 



(i) Un éditde 1287, rendu par le parlement, règle € la manière de 
faire et tenir les bourgeoisies du royaume. > — € Si aucun veut en\rer 
en aucune bourgeoisie, il doit aller en la ville dont il requiert être 
bourgeois, trouver le prévôt du roi, et, assisté de deux ou trois bour- 
geois, lui donner sûreté, que, dedans un an et un jour, il bâtira ou 
achètera en la ville, une maison ; et ce fait, le prévôt lui doit bailler 
un sergent qui aille avec lui faire savoir au seigneur dont il quitte 
la terre qu'il est entré en bourgeoisie » (H. Martin, 4-393). 



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— 93 — 

Avec Amys qui continue le môme thème que Rayson^ le 
poète s*enhardit au point de dépasser le bu^ que s'était 
proposé le roi. Nous nous demandons quelles réflexions 
dût faire ce monarque, jn lisant les vers que Jean fait pro-* 
nonçer par Amys^ au sujet de l'élection du premier roi, et 
où la noblesse est aussi maltraitée que la royauté elle-même : 

Un grant vilain entre eulz esleurent, 
Le plus ossu de quans qu'ils furent, 
Et le firent prince et seigneur. 



De lÀ vint le commencement, 
Aux roys et princes terriens. 
Selon les escriptz anciens. 



«'Clopine 



\t\ faisait, comme on le voit, bien peu de cas du 
fameux droit divin^ dont on a tant usé et abusé, tant parlé 
et parle tant encore (i). Il en expliquait, par ces vers, 
suffisamment l'origine. Philippe bien assis sur un trône 
que Tordre de succession de dix rois de sa race avait con- 
solidé, dtjt pardonner volontiers au poète cette sonie tant 
soit peu intempestive. Dans tous les cas, Clopinel faisait 
preuve ici, d'une grande indépendance de caractère et d'une 
complète liberté d'action; et s'il est exact de dire avec 
H. Martin, que Clopinel fût « le poète favori du roi », il 
faut également reconnaître qu'il n'était rien moins que 
courtisan. 

Nous arrivons à FaïUx-Semblanl qui continue cette cri- 
tique. Quels genz, dit-il : 



(i) Le comte de Chambord revendiquait le trône de France comme 
un héritage de ses ancêtres. Le comte de Paris eut les mômes préten- 
tions. Le Bis de ce dernier, le duc d'Orléans, se pose carrément 
comme héritier de la couronne de France. Nous sommes loin des 
élections de Pépin et de Capet. — Le droit divin, c'est-à-dire le droit 
du plus fortf imposé aux vaincus par les Francs en s'emparant de la 
Gaule, fut complètement aboli dans la fameuse séance de nuit du 17 
juin 1789, où les descendants de ces mêmes vaincus/ se constituant en 
Assemblée Nationale, reprirent leur liberté qui avait sommeillée pen- 
dant plus de 1300 ans I 



- 94 — 

Quelz gens doit- on donc honnorer, 

Fors * nous qui ne cessons d'orer ** * Excepté ** Prier* 

Devant les gens apertemenfK, * Clairement. 

Tant soit*il derrière autrement ? 
( EH-tl plus grani foreenertê 
\Que d'exaucer chevalerie. 
^Et d'aymer gens nobles et cointesP (i) I 

S'ils sont telz comme ils apparent, 

Combien que nectement se parent, • 

Que leur dit s'accorde à leur fait, 

N'est-ce pas grant dueil et grant meffait 

S'ilz ne veulent estres ypocrites? 

que tels gens soient maudits, car nous ne les aimerons 
jamais. Mais ceux qui, portant béguins et grands chaperons, 
longue robes grises salies par la poussière, houseaux fron- 
cés ou larges bottes, et ont le teint bruni par le baie, font 
preuve d'activité; — à ceux-là, les princes doivent recourir 
pour gouverner leurs domaines en paix comme en temps 
de guerre, s'il veulent avoir gloire et profit. Tous ceux qui 
ne se conduisent pas ainsi emblent, volent les honneurs de 
ce monde. Je ne veux pas dire par là qu'on doit mépriser 
gens pauvrement vêtus, non certes, mais bien ceux qui 
modestement vêtus font les orgueilleux (2). 

(i) Est'U plus grant forcenerie — folie, — que celle d'exaucer — 
exalter, louer — chevalerîe et d'aymer gens nobles et comtes, richement 
vôtus? — C'est là un cri qui part du cœur et prouve dans quelle erreur 
sont tombés ceux qui rattachent Clopinel à la famille seigneuriale de 
Meung-Chéré. — Rutebeuf, Giélée, Clopinel, Villon, Rabelais, criti- 
f quant ce qu'ils envient, les uns la fortune, les autres la noblesse, font 
voir par leurs écrits qu'ils étaient loin d'être contents de leur sort 
C'est la remarque que l'on peut faire pour tous ces poètes sortis du 
peuple. Mais il n'en est pas de même pour Quesnes de Béthune, Thi- 
baut de Navarre, G. de Lorris, le châtelain de Coucy, G. deFerrières. 
H. de Lusignan, Ch. d'Orléans. Ceux-ci, favorisés par la fortune et 
bien posés dans le monde, ne chantent que le printemps et l'amour, 
les femmes et leurs charmes. 

(2) « Les chevaliers, dit L. Gautier, occupaient leurs loisirs à chasser, 
À faire de grandes dépenses, à gruger leurs vassaux, à déshériter les 
orphelins, ^ à donoier pulcelles et dames en secrois », c'est-à-dire à 
séduire les jeunes filles et à corrompre les femmes mariées » (Epopées 
Nau'onales, 2-337); — o^ encore à rançonner les bourgeois, à détrous- 
ser les passanu et les pèlerins sur les grands chemins. (Châteaub.) 






- 95 - 

Clopinel, en s'exprimant ainsi, entrait pleinement dans 
les vues de Philippe. Roi et poète, tous les deux s'enten- 
daient à merveille pour rabaisser et porter un dernier coup 
à cette noblesse si orgueilleuse et si turbulente^ qui avait 
causé tant de tourments à la race capétienne. 

Notre poète ne devait pas s'arrêter en si beau chemin. 
Sa verve plébéienne est excitée, et vraiment en le lisant, on 
penserait volontiers que lui, enfant du peuple, avait plus 
d'un motif de se plaindre de ces nobles, de ces privilégiés, 
tant il met de feu dans sa critique. 

Il a usé de Rayson^ (TAmys et de Faulx-Semblant'^ il ne 
veut pas laisser un seul point obscur, sur cette question si 
grosse d'actualité; — il l'examine et la traite sous toutes 
ses faces pour bien établir qu'il n'existe pas de noblesse 
proprement dite; que vilains et nobles, tous sont égaux à 
l'état de nature, à leur naissance comme à leur mort. 

Le quatrième personnage dont il se sert pour dire ces 
dures vérités est Nature. On ne pouvait, il faut le recon- 
naître, mieux choisir. 

Nature établit d'abord que c'est une grande erreur de 
croire que les météores, par leur apparition, annoncent la 
mort des princes et des puissants de la terre. Ils ne sont 
pas dignes, dit-elle : 

Que les cours du ciel donnent signes 

De leur mort plus que d'ung aultre homme 

Car leur corps ne vault une pomme 

Oultre le corps d'ung charruyer * ♦ Charretier. 

Ou d'ung clerc ou d'ung escuyer 

Car je les fais semblables estre 

Si comme il appert à leur naistre, 

^1 En un mot : € Partout, c'était viol, vol, pillage, tuerie », dirons- 

W nous avec l'auteur de l'Ere Bretonne. — La quantité presque incroya- 

pj ble de couvents et d'abbayes qui s'élevaient tous les jours, suffit pour 

attester combien les princes, barons et chevaliers avaient alors de 
crimes à expier. Aussi les voit-on, devenus vieux, prendre € lé froc et 
la cagoule ! C'est sous l'habit de Saint- Benoît que ces maudits pré- 
tendent rendre à Dieu leurs âmes de bandits 1 > (Ere Bretonne,) 

C'est ce qu'on lit dans les chroniques et dans les généalogies des 
seigneurs de Coucy, de Montmorency, du Puiset, etc. 






^'v- 



— 96 — 
Par moy, les hommes, dit Nature : 

Par moy, naissent semblables nudx 
Fors et faibles, gros et menus : 
Tous les mets en égalité 
Quant 4 l'esut d'humanité. 

La vertu seule fait la noblesse, gentillesse de lignage 
NEVAULTrien qui vaille (i). Mais posons, continue à dire 
Nature : 

Mais posons ce qui tu psult sstre, 
Que je face aulcun gentil naistre, 
Et que des autres ne me chaille 
Qu'ilz vont appelant vilUnailU, 

S*iis héritent d'un nom déjà illustre, il doivent par leurs 
actions chercher encore à l'illustrer; mais s'ils se conten- 
tent de porter ce nom sans rien faire pour sa gloire, ils 
doivent être plus vils tenus que s'ils fussent de chétifs 
venus, et alors ils emblent, volent le nom de gentil, de 
noble. Au reste, il n'y a pas d'autre noblesse que celle que 
donne nature qui moult est belle et a nom naturel franchise. 

Nous avons lu un grand nombre de nos poètes des xi% 
XII* et XIII* siècles, nous y avons souvent rencontré ainsi que 
dans les écrits du xiv* au xviii* siècle, bien des critiques 
acerbes contre la noblesse, mais nous n'y avons rien trouvé 
d'aussi virulent que ces vers de Clopinel. 11 attaque en plein 
le sujet, et après l'avoir examiné sous toutes ses faces, 
emporte la pièce, et ce, avec un raisonnement si juste et 
si sensé, qu'on ne peut le combattre, même avec quel- 
qu'apparence de raison. 



(i) Aux citations de la note 1^^, p. 78, ajoutons celles-ci qui viennent 
également confirmer le dire de Clopinel. — Pour un poète aragonais 
du Xllie siècle, ik la noblesse et les titres ne valent rien sans le mérite 
et l'honneur. L'honneur a décidé, suivant le droit et l'usage, que plus 
un homme est distingué par son état et par sa naissance, plus il se 
rend méprisable quand il fait mal >. (Millot, 3-319). 

Pour Voltaire, pour Napoléon I«^ pour Sieyès : Tous les hommes 
naissent libres et égaux dans leurs droits. 



— 97 — 

Quand on se reporte par la pensée au temps où vivait le 
poète, au xiii® siècle, alors que le grand corps de la noblesse 
était dans toute sa force, Ton est amené à reconnaître que 
Jean Clopinel faisait preuve d'un grand courage pour oser, 
lui de chétifs venu, proclamer de semblables vérités et les 
jeter à la face de la caste privilégiée, qu'il prenait si fière- 
ment à partie. 

— Il n'est pas douteux que ces vers du Roman de la Ros^, 
répandus partout au fur et à mesure de leur composition, 
durent, à l'exemple de tant d'autres poèmes et chansons 
satiriques, être lus avec empressement par le peuple, qui 
alors n'était rien, et devait être' tout ^ dira plus tard, un 
orateur révolutionnaire, en un moment solennel (i). 

C'était bien aussi le sentiment de Clopinel. Il n'ignorait 
pas que depuis la conquête de la Gaule par les Francs, 
l'espoir de recouvrer leur indépendance n'avait jamais 
abandonné les vaincus-, que bien des mouvements popu- 
laires avaient été tentés, mais en vain, dans ce but. Et que 
ces mêmes vaincus, soumis le plus grand nombre à la glèbe, . 
pour entretenir parmi eux, ces idées de liberté et aussi 
pour se venger de leurs vainqueurs, avaient dans maints 
écrits : fabliaux, Roman du Renart, etc., versé à pleines 
mains mille traits de moquerie et de ridicule contre la 
royauté, la noblesse et le clergé. 

Ainsi pour notre poète, le peuple alors désigné in- 
différemment: le commun état, le commun, le bourgeois, 
le vilain, «si membre notable du royaume, sans lequel, dit 
l'auteur du Quadrilogice^ les nobles et le clergé ne peuvent 
soutenir leur état et leur vie », depuis si longtemps soumis à 
l'esclavage et le jouet des mille fantaisies féodales, devait 

(x) L'abbé Sieyès, auteur de la fameuse brochure : Qu'est-ce que le 
Tiers? — Cette phrase fut dite par lui en la séance du 17 juin 1789, 
qui mit fin à l'ancienne France. — € La Révolution française a été, 
dit Napoléon, un mouvement g^énéral de la masse de la Nation contre 
les nobles qui représentaient les Francs et les Bourguignons, le reste' 
de la Nation, les Gaulois. Tous les privilèges furent détruits et l'éga- 
lité des droits fut proclamée pour tous les citoyens ». (Mémorial.) 

7 



.:/' 



à son tour reprendre son rang, dominer^ être tout. Il le dit 
formellement par la bouche de Rayson. Le roi n*a pas sur 
le peuple : 

Siigfuuriê, non, mais service 
Qui les doit garder en franchise 
Ains est leur, car quant il» voudraient, 
Leurs aides au roy se fauld raient, 
Et 1$ roy tout seul demourroit . ^ 
Si tost que le peuple vouldroient ; 
Car leur bonté ni leur prœsse^ 
Leur corps, leur force, leur sagesse, 
Ne sont pas siennes, rien n'y a 
Nature bien les luy nya, 

Jean Clopinel affirmait ici, une fois de plus, le droit popu- 
laire dans le gouvernement, droit déjà constaté par l'ar- 
chevêque de Reims lors de Télection de Hugues. Cap^. 
Philippe IV savait aussi bien que le poète, que toute sa 
force était dans le peuple etque sans son aide{i)^ son assis- 
tance^ il ne pouvait rien entreprendre ni exécuter, tant 
contre la noblesse que contre la cour de Rome. 

Cette pensée du poète, le Roi unit à la Nation^ se lit dans 
quelques uns de nos anciens auteurs, notamment dans le 
Roman du Rou^ de Robert Wace, où Ton voit Charles III, 
le Simple, dire à ses leudes qu'il ne pouvait sans eux com- 
battre Rollon et les Normands. « Je ne puis par moi seul, 
gouverner le royaume. Un roi quand il est seul ne peut pas 
plus qu'un autre homme. Si ceux qui devaient l'aider lui 



(i) Le vers : € Leurs aides au roy se fauldroient >, a fait croire à 
plusieurs auteurs que le poète avait voulu parler de Vaide, impôt volon- 
taire accordé à la royauté en cas de guerre, et qui, devenu obliga- 
toire, frappa les boissons, denrées, etc. M. Croissandeau a rendu le 
mot aide par assistance. Il n'y a pas d'autre interprétation à lui don- 
ner : le roi est leur, dit Clopinel, car quant ils voudraient, ils pour- 
raient se retirer et le laisser seul. — € Rien n'est plus clair. Nous avons 
là, dit Géruzez, le principe démocratique de la souveraineté du peuple. 
La Bruyère n'a pas tort : € Tout est dit et l'on vient trop tard, depuis 
plus de sept mille ans qu'il y a des hommes et qui pensent. » 



— 99 — 

manquent au besoin, à quoi peut-il réussir? — C'est Tappuî 
des hommes ions qui fait la force du roi et qui soutient 
son courage. » 

€ Jo ne puis por moi sol le règne justifier, 

Ne ne puiz por moi sol Rou et Normanz cachier, 

Je ne suis k'un sol hom 

Ke pot fere un sol homme, é ke pot exploitier, 
Se li homes li faillent ki li debvent a«dier? 
Bone gtnz fet roiz fort, é cil fet estre fier. » 

Constatons donc que Jean Clopinel est le premier qui ait 
^exprimé et affirmé si énergiquement, le droit populaire 
aux Assemblées Nationales (i). Et depuis, nous voyons 
ce droit être fréquemment proclamé par les poètes et les 
publicistes. C'est Miles de Dormans, évêque de Beauvais, 
chancelier de France, qui en i38o, déclare publiquement : 
(( Oui^ on aurait beau le nier cent fois, le suffrage populaire 
est le fondement de la monarchie. Le roi ne pourrait faire 
un peuple, mais un peuple ferait bien un roi. » 

Puis Christine de Pisan, Alain Chartier, Gerson, Guil- 
laume Pépin, moine d'Evreux,.Comines, etc. — Comines 
ajoute : « Y a-t-il roy ne seigneur sur terre qui ait pouvoir 
. outre son domaine, de mettre ung denier sur ses subjects 
sans octroy et consentement de ceux qui le doivent payer, 
sinon par tyrannie ou violence? » 

Philippe Pot, seigneur de la Roche, un des représentants 
de la noblesse de Bourgogne aux Etats Généraux tenus à 
Tours, en janvier 1484, proclame publiquement avec une 
audace, une puissance de logique extraordinaire que « la 
royauté est une fonction et non un héritage : Regnum 
dignitas est^ non hereditas. Dans le peuple réside la sou- 
veraineté; il la délègue aux rois, mais pendant l'interrègne 
des minorités royales, la souveraineté retourne à la nation 
et aux Etats ses mandataires. » Ce principe, gros de conse- 
il) Chateaubriand ne croyait ni au droit divin de la royauté, ni à 
la souveraineté du peuple, que Bossuet niait également. (Mélanges, 
, P- 3SS. 362, 413. — Discours, p. 104.) 



• 9 " * l*"^K ' m m 



— 100 - 

quenceSy le seigneur de la Roche, rétablit par le raison- 
nement et le confirme par la tradition : « N*avez-vous pas 
lu, dit-il, que dans l'origine, c'est le suffrage du peuple 
souverain qui a créé les rois ? — Initio domini rerum populi 
suffragio reges fuisse creatos. Il préféra les plus dignes et 
les plus habiles. Chaque peuple s*est choisi un chef en ne 
consultant que son intérêt propre et non le peuple pour le 
roi. L'Etat est la chose du peuple : nonne crebro legistis 
rempublicam rem populi esse} Qui peut contester au peuple 
le droit de prendre soin de sa chose, et comment ose-t-on 
attribuer le pouvoir absolu au prince qui n'existe que par 
le peuple? Quiconque possède, par force ou autrement^ 
sans le consentement du peuple, le gouvernement de la 
chose publique, n'est qu'un tyran et un usurpateur du bien 
d'autrui. » (Gidel). 

C'est ce que disent également, le chancelier del'Hospital 
en ouvrant la i** séance des Etats-Généraux, à Orléans, en 
1560, François Hotman, Hubert Languet, Buchanan, le 
jés. Mariana, Montaigne, La Boêtie, La Bruyère, Jean- 
Jacques Rousseau, Voltaire, etc.: un roi n'est rien, son auto- 
rité est subordonnée au droit souverain du peuple; droit si 
énergiquement affirmé par Clopinel, et qui, en France, ne 
reçoit sa consécration définitive qu'en 1789. — Alors « la 
Nation répudiant l'origine de l'autorité usurpée par la race 
des Capétiens avait, dit judicieusement un historien, exigé 
de son dernier représentant (Louis XVI), un partage de 
cette autorité, et mis, à cet égard, des conditions à son exer- 
cice, — Nous disons : le dernier représentant de cette longue 
suite de monarques, parce que, ceux qui lui appartiennent 
encore, n'avaient pu, et ne pourraient, moins que jamais, 
ressaisir l'autorité royale qu'à la charge, par eux, de la 
partager avec la masse de la Nation, représentée par ses 
délégués }f (E. Bimbenbt, Hist. d'Orléans^ v-1242.) 



CHAPITRE V 



Royauté et Papauté. — Ganle et Francsu — Origine das richeasos du 
clergé Gallican I — Son Inflaence gonvernementale nous les Méro- 
vingiens, Carlovinsiena et i*rt Capétiens i — Sa résistance envers 
la Cour de Rome* — Pépin leBref»Chariemagne» —Puissance tenft« 
poreUe des papes. — Leurs prétentions sur les rois et les peuples* 
— IHoines mendiants» auxiliaires dévoués de la papauté. — Diffé* 
rend entre TUniversIté de Paris et ces moines. — Innocent IV 
Tavorise ces derniers. — L'Évangile Éternel. — Introduction A 
rÉvangiie Éternel. — Les Périls des derniers temps. — Guillaume 
de Saint-Amour condamné par le Pape. — Faulx-Semblani, moine 
mendiant) déreud Saint Amour; — Dévoile les vices des prêtres et 
des moines. — Philippe IV résiste & Bonlface VIII. — A la bulle 
ClericU Laicos, 11 répond par des ordonnances royales. 



Etudions maintenant Tœuvre de Clopinel au point de 
vue religieux. Question aussi importante que celle qui vient 
d'être traitée. 

Ici encore, nous allons esquisser rapidement les origines 
pour arriver aux faits visés par le poète. 

Le clergé de la Gaule, pauvre au moment de l'arrivée 
des Francs, favorise la conquête de ces derniers en haine 
des Wisigoths ariens qui dominaient dans les contrées 
situées entre la Loire et les Pyrénées (i). Les premiers 
Mérovingiens, pour reconnaître ce concours des prélats et 
du clergé, leur firent de grands dons en argent et en terres, 
ainsi qu'aux monastères et aux églises, et n'entreprirent 

(i) € Les Francs étaient les seuls conquérants de la Gaule qui ne 
fussent par Ariens; le clergé catholique désirait vivement leurs pro- 
grès, et sollicitait souvent leurs invasions. » (G. de Tours xi-83 
Ilote de Guizot). . 



— 102 — 

rien sans consulter les ëvêques. Ce fut là Torigine des 
immenses richesses du clergé gallican. Et son influence fut 
tellement considérable sous la i** race que, suivant les 
expressions de Fauteur des Études historiques ^ roi et peuple 
se gouvernent alors pour T Église et par TEglise. Aussi 
Bossuet, a-t-il pu dire avec une sorte de joie, que la France 
était une monarchie fondée par des ëvêques (Villemain). 

Habile à se plier, à se modifier selon les. changements 
successifs de la société, le clergé maintint cette influence 
sous les Carlovîngiens et les premiers Capétiens. Pendant 
près de douze siècles, il fut en réalité, dit Michelet(i-i63), 
le souverain de la France. — Puis il entre dans le système 
féodal, par suite des vastes domaines qu*il possédait, et 
conserve une part considérable de l'autorité publique en 
figurant dans les Assemblées générales, assistant aux déli- 
bérations et gérant les affaires du pays (i). — Riche de 
nombreuses terres féodales, ayant d'immenses revenus et 
jouissant de grands privilèges, le clergé de France sut tou- 
jours résister, avec fermeté, aux réclamations et aux empié- 
tements de la cour de Rome. 

La Papauté qui n'avait été, jusqu'à Pépin le Bref, qu'une 
puissance purement spirituelle, devint, après la donation 



(i) Les évoques riches et ambitieux prétendaient dans leur terri- 
toire à une entière indépendance (Guizot, notice sur St Léger. 2-320.) 
— Ils sont souverains de leurs villes épiscopales; y ont la justice, bat- 
tent monnaie, lèvent des impôts et des soldats, dit Chateaubriand. Et 
parlant des richesses du clergé, il cite plusieurs riches abbayes 
entre autres celle de Saint Riquier, en Picardie, qui possédait 14 villes 
30 villages, un nombre infini de métairies. — « Veut-on savoir, ajou- 
te-t-il, à quel point la France était couverte d'abbayes, de couvents, 
etc.* Les 13 vol. de la Gallia Chrisitana, qui n'est pas achevée, 
donnent 1500 abbayes ou fondations monastiques. Le Fouillé général 
fournit un total de 30419 cures, 18537 chapelles, 420 chapitres ayant 
églises, 2872 prieurés, 931 maladrerics, et le pouillé est fort incomplet. 
Jacques Cœur comptait i . 700 ooo clochers en France et la Satire Mi- 
nippie reproduit le môme chiffre. — L'évéquc d'Orléans, était en pos- 
session des villes de Jargeau, Meung. Pithiviers, etc. — C'est ainsi 
qu'avant 1789, les biens du clergé et des moines s'élevaient à 5 mil- 
liards. La Fontaine avait bien raison de dire: Dieu prodigue ses biens 
a ceux^qui font vœux d'être siens ! 



-^ 



- 103 — 

que ce prince lui fit des provinces et des villes conquises 
sur les Lombards, une puissance politique queCharlemagne 
accrut encore par de nouveaux dons (i). Depuis, on vit les 
successeurs de saint Pierre « dont le royaume n'est pas de 
ce monde », dit Tabbé Fleury (2), traiter d'égal à égal avec 
les rois, disposer des sceptres (3), déposséder un roi de 
Pologne, ordonner à l'empereur Henri IV d'abdiquer la 
couronne impériale, revendiquer la Hongrie comme étant 
un lîef du Saint Siège, excommunier Robert I**, Philippe !•*, 
Philippe n, etc.; diriger les croisades d'abord contre les 
musulmans, puis contre les chrétiens du midi de la France ; 
enfin, vouloir dominer en maître partout et sur tout. On 
peut dire avec Boutaric, qu'alors l'Europe occidentale était 
une vaste république dont le pape était le chef suprême, et 
Rome la capitale du monde. Les décrets des empereurs et 
des rois étaient moins respectés que les bulles venant du 
Vatican dont les souverains pouvaient à bon droit prendre 
la devise des empereurs carlovingiens : Christus vincU^ 
régnât y imper at. 
Cette puissance devenue si redoutable par suite de la 

(i) A son deuxième voyage d'Italie, en 756, Pépin se fît rendre par 
Astolphe, la Pentapole, Ravenne et tout l'exarchat, pour en faire don 
à Saint Pierre, sous serment de fidélité et d'obéissance du souverain 
pontife et du peuple romain (Eginhard, Annales, p. 59. 100). — Char- 
lemagne, élu empereur par Léon III, reçut aussitôt l'hommage de ce 
pape (id. Vie. p. 109). 

V. H. Martin, 2-239,328; — Voltaire conteste Tauthenticité de 
cette donation (Hist. G»'®. IV. le p. p. 189). 

(2) Napoléon i"" ne voulait accorder aux prêtres aucune influence et 
aucun pouvoir sur les affaires civiles (Mém. Ste-Hélène). 

(3) Même d'états non soumis à son obéissance. Pétrarque raconte 
qu'une fois on délibérait à Rome sur le chef que l'on donnerait à une 
croisade. Don Sanche, fils d'Alphonse, roi de Castille, fut choisi. Il 
vint à Rome et fut admis au consistoire, où l'élection devait se faire. 
Ignorant le latin, il fit entrer avec lui un de ses courtisans pour lui 
servir d'interprète. Don Sanche ayant été proclamé . roi d'Egypte, 
tout le monde applaudit à ce choix. Le prince, au bruit des applau- 
dissements, demande à son interprète de quoi il était question. € Le 
Pape, lui dit l'interprète, vient de vous créer roi d'Egypte > Il ne faut 
pas être ingrat, repartit don Sanche, lève-toi et proclame le saint* 
père calife de Bagdad (Michelet, 1-382). 



— 104 — 

faiblesse même des peuples et des rois, avait d'utiles auxi- 
liaires dans les religieux mendiants qui ne reconnaissaient 
d'autre maître que c TApostole de Rome ». Ces moines 
de récentes fondations, jouissaient déjà de^rands privilèges ; 
ils parcouraient la France, Tltalie, l'Espagne, l'Allemagne 
et l'Angleterre, en implorant la charité publique et amas- 
saient d'immenses richesses. Les grands progrès de ces 
nouveaux ordres religieux excitèrent la jalousie de plusieurs 
prélats qui voulurent leur imposer leur autorité, et profiter 
de ce qui leur venait de la dévotion des fidèles. 

Deux bulles papales du mois d'août i23], vinrent 
réprimer ces vexations des prélats et confirmer les privi- 
lèges des moines mendiants qui se multiplièrent à l'infini, 
« car l'esprit de ce siècle, disent Mézeray et Velly, était 
tellement tourné à la besace, qu^'l fourmillait de tous côtés 
un grand nombre de ces sectes de besaciers ou porte-sacs; 
c'est ainsi qu'on les appelait. » Dans les rues de Paris on 
n'entendait alors, au rapport de Rutebeuf et de G. de la 
Villeneuve, que les cris de : « Donez por Dieu du pain 
aus frères » poussés par des moines quêteurs de plus de 
vingt manières^ c'est-à-dire de plus de vingt ordres diffé- 
rents (i). 

La même année, Grégoire IX obtint de saint Louis, que 
les besaciers auraient une chaire à l'Université de Paris 
pour y enseigner la théologie. A peine admis, ces moines, 
mettant de côté tout seniiment de reconnaissance, aff'ectè- 
rent une indépendance absolue et voulurent s'affranchir de 
toute juridiction, et même régner en maîtres. 

(i) Ordre des Sacs ou Frères Sachets du latin ordo Saccorum, Fratres 
de Saeco, Saccatt, etc. — Dans ses dits des Jacobins, des Cordeliers, 
etc. Rutebeuf, rappelle à ces moines leur origine de pauvreté et leur 
reproche leurs richesses. Raoul de Houdan. dans le fabliau la Vote 
d'Enfer, leur adresse celui d'être engraissés de fainéantise. — On par- 
tageait alors tous les moines en deux classes, les noirs et les blancs, par 
la couleur de l'habit et la différence de règle. Les noirs suivirent la 
règle de ' Saint-Benott et les autres celle de Saint- Augustin. Les pre- 
miers portaient envie aux derniers, dont l'institution était plus récente 
€t jouissait d'une plus grande considération, d'où les proverbes i Con^ 
voitise des moines blancs ei Envie des moines noirs. 



— i05 — 

L'Université écrivit (1254) aux prélats du royaume pour 
leur faire connaître ces empiétements, les engager à la 
secourir contre ces intrus et à les chasser du corps ensei- 
gnant, puis en appela au Pape. 

Innocent IV répondit à ces plaintes, par une bulle ré- 
^ tablissant les moines dans TUniversité, et annulant le 
décret par lequel les docteurs leur défendaient d'avoir plus 
d'une chaire. 

Les évoques d'Orléans et d'Auxerre, chargés de faire 
exécuter cette bulle, excommunièrent en bloc tout le corps 
enseignant de l'Université. 

La querelle s'échauiïa plus que jamais. L'agitation fut à 
son comble. Les besaciers n'oublièrent ni cabales, ni intri- 
gues pour décrier leurs adversaires et se faire des panisans. 
Les docteurs, de leur côté, répandirent de nombreux écrits 
pour justifier leur conduite. 

. C'est alors, — en 1255, — qu'on vit paraître deux ouvrages 
qui eurent un grand retentissement, l'un ayant pour titre : 
VÉvangile Étemely et l'autre : Introduction à fÉvangile 
Éternel; le premier attribué à l'abbé Joachim qui préten- 
dait avoir le don de prophétie; le second, à Jean de Parme, 
général des Cordeliers et grand admirateur de Joachim. — 
Et tous les deux annonçant que l'Évangile de N. S. devait 
finir Tan 1260 pour faire place à VÉvangile Étemely a,utani 
supérieure celui de J.-C. que le soleil l'est à la lune; que 
c'était le livre du Saint-Esprit abolissant l'Église, les 
sacrements et l'ordre clérical pour y substituer un sacer- 
doce plus parfait et de plus saintes règles pour les mœurs; 
puis mille extravagances sur la hiérarchie ecclésiastique, 
sur le pape, sur la naissance d'un ordre plus digne que 
tous les autres, dont il a été dit : les cordes de mon partage 
sont excellentes « car nul homme n'est capable d'instruire 
les autres dans les choses spirituelles, s'il ne va nuds-picds. » 
(Velly, 5-i83). 

Les docteurs de l'Université s'élevèrent avec force contre 
cette doctrine erronée. Le plus célèbre d'entre eux, Guil- 
laume de Saint-Amour, homme ferme, intrépide, d'une 



— i06 — 

éloquence à laquelle on ne pouvait que difficilement résister, 
se fit sunout remarquer par son ardeur au combat. Il 
publia un écrit intitulé : Périls des derniers temps, qui 
acheva de tout perdre (i). 

— « S'autorisant d'un passage de saint Paul, il fit, dit 
Velly, une satire sanglante où, sans nommer personne, il 
faisait un portrait affreux de ces hommes nouveaux qui 
semblaient ne paraître dans Téglise que pour la déchirer; 
de ces fainéants orgueilleux répandus partout, qui boule- 
versaient Tordre de la hiérarchie, et s'ingéraient dans le 
ministère sans être appelés par les pasteurs ordinaires; de 
ces mendiants bien portants qu'on bannit des états policés, 
qui faisant profession de tout quitter sans vouloir travailler 
pour leur subsistance, se réduisaient à la triste nécessité de 
fiatter les vices des grands et des riches ; enfin de ces lâches 
déserteurs de la vie monastique qui cherchaient les joies 
du monde et demeuraient volontiersà la courdesprinces(2).» 

Tous reconnurent dans ces traits satiriques les Jacobins. 
Insultés continuellement dans les rues, chansonnés en 



(i) Rutebeuf qui était un digne et fervent soutien des idées et des 
intérêts universitaires, composa, en 1254, au sujet de cette querelle 
LÀ dÎMde la descorde de V Université et des Jacobins ^ et trois ans après, 
deux autres pièces sur Saint-Amour. Il fut persécuté par les ordres 
mendiants à cause des sympathies qu'il montrait pour l'Université et 
Saint- Amour. — < On ne saurait aujourd'hui se faire une idée de l'im- 
portance du rôle ^ue joua ce dernier, à son époque. La Sorbonne, 
rUniversité, la Cour, les Ordres et même la Cour de Rome, Saint- 
Amour occupa tout. Rappelons l'effet que produisit en France et à 
l'étranger, il y a 40 ans (en 1835), dit Jubinal, le livre de M. de 
Lamennais sur V Indifférence en matière de religion. Ce fut à peu près 
la même impression non moins universelle, non moins profonde. > 

(2) Voici ce qui excitait le plus les religieux, si on s'en rapporte à 
Math. Paris qui écrit ceci à l'année I256desa chronique: < Le peuple 
supprima les aumônes aux frères, les appelant hypocrites, successeurs 
de l'Antéchrist, pseudo- prédicateurs, adulateurs de princes et de rois, 
entreurs furtifs de lits royaux (Thalamorum Regalium subintratores), 
prévaricateurs de confessions, etc. » (Jubinal). — On lit dans le Mémo- 
rial que Napoléon se refusa au rétablissement des moines en France, 
qui lui était demandé par le pape. < Je n'avais pas besoin de monas- 
tèresremplis de canaglie, mangeant, pillant ou se livrant à des crimes. » 



— 107 — 

prose et en vers dans des pièces où retentissaient leurs 
ridicules et les louanges de Saint-Amour; et enfin ne rece- 
vant plus d^aumônes et humiliés sans cesse, les besaciers 
déférèrent le livre de leur ennemi au pape. Thomas d^Aquin, 
le plus illustre parmi ces mendiants se chargea de leur 
défense. Bonaventure, cordelier, prit également la plume 
pour le môme motif et voulut justifier ses confrères du 
reproche de mendicité qu'on leur adressait de toute part. 

Le pape Alexandre I Vqui venait de succédera Innocent I V, 
favorisa également les mendiants dont il était Vhumbie 
serviteur, dit Crevier; et déclara Saint-Amour déchu de la 
dignité de docteur avec défense d'enseigner. Trois autres 
docteurs, Eudes de Douay, Nicolas de Bar-sur-Aube et 
Chrestien de Beauvais, également compromis, furent traités 
avec la même rigueur. 

Saint-Amour n'en continua pas moins, malgré la dé- 
fense du pape, à faire ses prédications contre les men- 
diants, au milieu d'une grande multitude qui venait pour 
l'entendre. 

Un concile national fut proposé pour finir la querelle. 
L'Université le demandait, mais les besaciers firent tout 
ce qu'ils purent pour qu'il n'eut pas lieu, — c'est ce qui, 
du reste, arriva par l'influence du général des Jacobins. 
« Il avait tout crédita Rome et les privilèges qu'il y obte- 
nait en élevant la puissance du pape qui les donnait, dimi- 
nuait celle des évcques qu'on voulait anéantir. » (xMézeray). 

G. de Saint-Amour et les trois docteurs déjà nommes, 
se rendirent à Rome pour se justifier. Le pape ne. voulut 
rien entendre; il fit brûler publiquement à Anagni, en sa 
présence, le livre des Périls des derniers temps ^ non comme 
entaché d'hérésie, mais comme un ouvrage impie qui 
tendait à refroidir la charité des fidèles envers les men- 
diants et scandalisait ces bons jjhes. V Évangile Étemel fut 
également briilé, mais secrètement, et parce que le clergé 
de France en poursuivait la condamnation. L'auteur, 
J. de Parme, afin d'éviter le scandale qui aurait flétri son 
ordre, se démit du généralat. 



— i08 — 

Des députés de TUniversité, trois se soumirent aux 
exigences du pape et revinrent à Paris avec ignominie. 
Seul, Saint-Amour, ne voulut en rien céder, il fut forcé de 
s'exiler (1260) (i). Puis l'Université consentit à recevoir 
les frères prêcheurs, à la condition qu'ils tiendraient le 
dernier rang, lorsqu'ils seraient appelés ou admis aux 
actes publics. 

L'historique de ces faits qui eurent lieu : - 

En l'an de lincarnacion 

Mil et deus cens cinc et cinquante 

(N'est homs vivans qui m'en démente). 

dit Jean Clopinel, est retracé fort à propos par lui ; car 
nous sommes en 1 295-96, au moment même où commence 
la fameuse querelle entre Philippe IV et Boniface VIII, 
entre la Royauté et la Papauté. — « L'histoire de ce règne 
n'olïre pas d'événements plus graves et d'un plus haut inté- 
rêt que ceux qui signalèrent ses rapports avec le Saint- 
Siège. Sa querelle avec Boniface VIII, eut pour résultat de 
fixer les limites de l'autorité des papes et de la contenir dans 
de justes bornes. » (Boutaric). 

Le poète Orléanais a, encore ici, fait preuve d'un grand 
talent d'écrivain, pour composer ce travail satirique, alors 
d'actualité. L'époque des faits mémorables dont il évoque 
le souvenir, est déjà éloignée pour un grand nombre de 



(i) < Le retour de Saint* Amour à Paris, fut un véritable triomphe, 
assez pareil à Voltaire, dit Jubinal. Il mourut en 1270 ou 127a. Son 
épitaphe se lit dans l'église de Saint-Amour, en Bourgogne >. — 
< Les écrits du célèbre recteur de l'Université sur les religieux men- 
diants après avoir été brûlés d'abord en 1256, durent l'être de nou- 
veau, quand reparut, en 1389, le livre sur les Partis des derniers temps. 
Mais tous cesarrôts ne purent l'anéantir, puisqu'il fut imprimé en 1633, 
malgré la haine persévérante qui fit défendre alors, sous peine, de la 
vie, de le lire ou même de l'avoir chez soi. > (Hist. litt. 24-7). — Mont- 
faucon en visitant la bibliothèque des Dominicains, à Venise, en 1678, 
remarqua parmi les statues des hérétiques, celles de G. de Saint- 
Amour et d'Erasme, chargés de chaînes, avec des inscriptions où ils 
étaient anathématisés à l'égal de Luther et de Calvin (id.) 



— 109 — 

ceux qui vont le lire. Aussi pour qu'on ne mette pas en 
doute ce qu'il écrit, fait-il appel à la mémoire et au témoi- 
. gnage des hommes de 50 à 60 ans, qui ont eu connaissance 
de la discorde qui surgit alors entre l'Université et les 
Ordres mendiants ; ils ne démentiront pas son récit, mais 
au contraire, en attesteront l'exactitude. 

Le poète, en vrai gallican, animé de sentiments patrioti- 
ques veut faire connaître ces besaciers, auxiliaires dévoués 
de la cour de Rome et devenus le fléau de la société, a II 
imagine un trait comique, dit Nisard, il fait donner raison 
à l'Université par un moine mendiant; d est Faulx'Se7n- 
f blani lui-môme qui se déclare le champion de G. de Saint- 
Amour, dont il rime longuement le plaidoyer contre les 
mendiants (i) ». 

F aulx-Semblant^ fils de Barat et A'ïpocrisie^ fait partie 
de la grande confrérie des besaciers, il nous apprend que 
lui et les siens ne sont point avec les religieux qui vivent 
humblement et saintement ; qu'au contraire, si on veut les 
trouver, c'est par le monde où ils sont avec les orgueilleux 
les usuriers et les artificieux ; -^ ils exploitent les grandes 
besognes, vont quérant les grandes pitances et recherchent 
la fréquentation des riches de ce monde. 

— « Je suis traître, parjure et larron, dit Faulx-Sem^ 
blani y et dès que je parais, qu'on se garde de moi de crainte 
d'éprouver du dommage, car je sais changer d'habits et de 
mine, et, selon les circonstances et le monde, être prince, 
chevalier, prélat, prêtre, moine, bref, de tous les métiers ; 
et vieux ou jeune, allant par tous pays en quête de reli- 
gions, prenant le grain et laissant la paille. — Moi et les 
miens sommes si favorisés par VApostole de Rome que nous 
pouvons tout confesser et tout absoudre, ce que ne peuvent 
faire prélats ou prêtres; aussi leur laissons-nous les pauvres 

(l) Dans le Rainaldus Vidpes, Salaura (la truie) après avoir dévoré 
l'abbé Ysengrtn (le loup), se permet d'étranges réflexions sur les gens 
d'église et le pape : Renart feint d'être scandalisé et prend leur dé- 
fense avec une maladresse préméditée, qui rend la cause dix fois plus 
mauvaise. (Lenient.) 



— 110 — 

gens qui n'ont pas grands deniers, et prenons-nous rois, 
ducs, comtes et barons, grandes dames, bourgeoises et 
nonnainsi jeunes et belles, nues et bien parées. Aux curés 
qui sont bétes, nous laissons les brebis maigres et prenons 
les brebis grasses. Et si prélats ou prêtres veulent groucer^ 
réclamer, se plaindre, nous leur donnerons tels coups 
qu'ils en perdront mitres et crosses, tant sommes forts 
privilégiez (i) »• 

— A cette demande du Dieu d'Amours que la robe qu'il 
pone ne justifie pas cette conduite. 

— FaulX'Semblant répond : 

C'est voir * mais je suis ypocrite * Vrai. 

je prêche l'abstinence et remplis ma panse de bons mor- 
ceaux et de bons vins ; je prêche la pauvreté et je suis riche 
a planté ; je préfère l'accointance du roi de France et des 
riches, à celle d'un pauvre diable. Car tout est profit d'un 
. coté et il n'y a rien à recueillir de l'autre. 

— Quant au travail manuel, F aulx-Semblant^ ne veut^ 
en aucune façon, en entendre parler, mieux vaut, ajoute-t-il, 
prier et affubler sa regnardie du inantcl de papelardie. 

— Craint-il Dieu ? — Non certes I — Car en ce siècle^ 
qui Dieu veut craindre er servir a trop de mal aise. 

Nous sommes, nous autres moines mendiants, dit Faulx- 
Semblant : 

Nous sommes à vous fais scavoir 
Ceulx qui tout ont sans riens avoir, 

(i) Les Cordeliers et les Jacobins voulaient dire la messe et entendre 
la confession dans les paroisses au préjudice et sans la permission des 
curés, ce qui excita de grandes querelles. Rutebeuf parle de cet esprit 
envahisseur dans la Chanson des Ordres, Dans Renart le Novel, Renart, 
en habit de frère mineur se présente devant le Lion et lui dit . < Je 
m'appelle frère Jonas; j'ai, sire, tels privilèges que je puis prêcher des 
croisades, et ai plus de pouvoir que légat ou cardinal. » — La bulle 
omnis utrinsque sextis, à laquelle Villon fait allusion, rendit aux curés 
de Paris le privilège exclusif de confesser leurs ouailles accaparées 
par les mendiants. 



- lil - 

Se je m'entremeU de courtages 
Je fais paix, je joingU mariages, 
Sur moy prens excusacions, 
Et vais en procuracions, 
Messagier suis et fais enquestes 
Qui ne me sont pas trop honnestes. 
Les aultres besognes traichiei , 
Ce m'est ung très plaisant mestier. 
Et se vous avez riens à faire 
Vers ceulx m tous que je repaire 
Dictes le moy, c'est chose faicte... 

Faulx'Semblant et ses confrères en besace fuient les 
hermitages, les déserts ; ils préfèrent les villes et les châ- 
teaux. Au dehors, ils paraissent être des agneaux ;?iVa6/e5 et 
au dedans sont des loups ravissables. Tous, ils ont déclaré la 
guerre au monde et veulent commander en maîtres. Et 
comme ils régnent et dominent partout, ils exigent qu*on 
les honore mieux qu'on n'honore les chevaliers et les gens 
nobles qu'ils n'aimeront jamais et qu'ils maudissent (i). 

Telle est en quelques lignes, la substance de la longue et 
virulente satire que Jean Clopinel fît contre ces moines, 
auxiliaires dévoués de la Papauté. Nulle part l'oisiveté, le 
luxe, l'avarice que l'on reprochait aux gens d'église ne 
sont, dit Villemain, attaqués plus vivement que dans ce 
poème. En effet, le Roman du Renart^ ceux du Renart cou- 
ronné, de Fauveij de Baudouin de Sebourg^ et autres com- 

(I) « Le curieux discours de Faulx-Semblant, doit, dit P. Paris, 
avoir été composé dans le temps des plus vives querelles entre les 
ordres mendiants et l'Université de Paris, tant le poète prend avec 
ardeur le parti du célèbre champion de l'Université, G. de Saint- 
Amour. » (Hist. litt. 23-311.) Cet auteur commet une singulière et 
grave erreur en écrivant que ce discours a été composé vers 1256, 
Si Clopinel rappelle ces démêlés célèbres et le nom de Saint-Amour 
c'est pour soutenir la querelle de Philippe contre Boniface, mais né 
vers 1250, d'après P. Paris, notre poète n'en a pas été le témoin; c'est 
pourquoi il invoqué le témoignage de ceux qui, kgés de 50 ou 60 ans, 
ont eu connaissance de ces querelles; n'est homs vivans qui m'en 
démente, — Clopinel était alors, probablement, trop jeune pour y 
prendre part, dit M. Langlois, mais plus tard, fréquentant TUniver- 
sité, il fut, peut-ère, l'élève de Saint-Amour, au retour d'exil de ce der- 
nier (p. 156). 



— 112 — 

positions satiriques de cette même époque, ne contiennent 
rien d'aussi violent contre les ordres mendiants. 

Le but que s'était proposé le poète, d'accord avec le roi, 
fut atteint. Et ces vers qui peignaient d'une façon si exacte 
et en même temps sous un jour si nouveau et si effrayant, 
la situation du royaume par suite des intrigues de cette 
multitude de besaciers, furent lus et commentés par tous 
avec empressement. 

— Nobles, prélats, bourgeois, docteurs de l'Université, 
tous se groupèrent autour du roi pour lui aider à résister 
aux exigences formulées par la Cour de Rome ; ainsi qu'on 
le vit aux Etats-Généraux de i3o2, où les grands feuda- 
taires, le Clergé et le Tiers-Etat déclarèrent au roi qu'ils 
étaient disposés à mourir pour défendre la couronne. 
(Boutaric, Michelet, H. Martin rapportent la lettre du 
10 avril i3o2, adressée à Philippe IV par les grands feu- 
dataires qui y sont dénommés). 

A la bulle Clericis Laïcos^ publiée avant le i8 août 1296, 
par laquelle le pape « excommuniait à la fois ceux qui 
levaient des impôts sur le clergé, et les ecclésiastiques qui 
les payaient (i) » (Boutaric); Philippe le Bel répondit 
aussitôt par deux ordonnances : l'une qui défendait l'expor- 
tation de l'or, de l'argent et des marchandises hors de 



(i) < Les historiens modernes en cherchant les causes du différend 
de Boniface et de Philippe se sont souvent trompés. La bulle Clericis 
Laîcos, a paru à la plupart d*entre eux, dit Boutaric, l'origine de l'ini- 
mitié du roi contre le pape : les faits prouvent qu'après cette époque 
raccord entre les deux cours, un instant troublé, fut plus grand que 
jamais ». — Cette bulle ne fit qu'accentuer la situation déjà fort ten- 
due entre les deux pouvoirs : on ne publie pas une pareille pièce à 
propos de rien : il fallait qu'il y eut déjà des motifs sérieux. Elle est 
donc bien le point de départ officiel du différend, — qu'il y ait eu 
depuis des attermoiements, et même des rapprochements entre les 
deux cours, nous l'accorderons volontiers. Le pape qui ne s'était pas 
attendu, sans doute, à rencontrer un caractère aussi ferme que celui 

Idu roi, eut regret d'avoir poussé les choses aussi loin ; il fît quelques 
concessions (canonisation de Saint-Louis). Mais rien n'était sincère de 
part et d'autre : et s'ils se ménageaient réciproquement, pendant un 
certain temps, c'était pour f.iire face à des querelles intestines. 



— 113 — 

France, et l'autre qui interdissait aux étrangers le séjour 
dans son royaume, ou d'y faire du commerce (H. Martin 
4-412). 

Il n'apparaît pas que depuis cette attaque si virulente 
contre le Saint-Siège, Clopinel ait pris une part active aux 
suites du conflit survenu entre Philippe et Boniface. Et 
après lui, au moment où cette fameuse querelle atteignit 
sa période aigûe (i3o2-3) ; alors que Philippe suscita un 
véritable orage de libelles contre le pape lui-même, qu'il 
fît accuser en français et en latin, de tous les vices, de 
tous les crimes ; qu'il fît appeler Maleface au lieu de Boni- 
face, et, suivant quelques-uns, de Fatuité ou de Sottise au 
lieu de Sa Sainteté; enfin de n'être pas chrétien (i); Nogaret, 
Plasian, Dubois, Jean de Paris, Godefroy de Paris, Gilles 
de Rome, Guill. Ockam, Jean Piqueane et autres ardents 
pamphlétaires et poètes, se dévouèrent à la cause royale 
qui était celle de la Nation, et par leurs actes et leurs écrits 
continuèrent vaillamment, avec le succès que l'on connaît, 
l'œuvre patriotique si courageusement commencée par le 
poète Orléanais. 

(i) < Les imputations les plus monstrueuses, depuis l'hérésie, le 
meurtre et l'athéisme jusqu'au vice contre nature sont, dit H. Martin, 
contenus dans l'acte d'accusation rédigé par Plasian » ; ainsi que dans 
celui dressé par l'archevêque de Narbonnc. Dans ces actes, on reproche 
à Boniface de nier l'immortalité de l'âme et la vie éternelle ; de douter 
de la réalité du corps de J.-C. dans l'eucharistie; d'avoir eu deux bâ- 
tards de sa nièce ; fait mourir Célestin, son prédécesseur, etc. Et encore 
d'avoir, étant malade, répondu au religieux qui l'exhortait â invoquer 
la Sainte- Vierge : Tace mtserit non credimus in astnamnecin ptiellum 
ejtts, (Baillet, — Velly, — Hist. littéraire, 24-147.) 



CHAPITRE VI 
§ l*'. — Mœurs du'xiIP siècle. 

DommlBA royal* — Habitants des villes et des eampagnes. — Serfs* 

— Paris ville du plaisir et de la débaaeiie* ^ Cierge, mœars 
relaehécsi — Conciles et poètes* — rVoblesHe^ mœurs relâchées* 

— Époqne des servitudes, droit du Seig-neur, etc. — La Tour 
de IVesle» Uargnerlte, Jeanne et Blanche do Bourgogne. ^ 
CMtiqve du mari Jaloux centre les femmes. — BuNcIguements 
de la YieiUt A Bel'AeueiL — Plaintes amères de Nature. 



Nous arrivons au terme de nos commentaires histori- 
ques sur le Roman de la Rose ; nous n'avons plus qu^à 
retracer les mœurs de ce siècle, pour expliquer les vers que 
le poète fait prononcer par Raysoiiy Amys, la Vieille^ 
Nature et Genius^ touchant les femmes, le mariage et le 
célibat des prêtres. 

Le domaine royal quoique bien accru depuis Hugues 
Capet, était cependant au xiii«-xiv« siècle, loin de pouvoir 
rendre le roi tout à fait indépendant. Grand nombre de 
provinces et d'importantes seigneuries, étaient encore en 
/ la possession de puissantes familles féodales et de grands 
dignitaires du clergé. 

Les habitants des villes faisant partie du domaine de la 
couronne, jouissaient seuls de privilèges et d'exemptions 
que n*avaient pas les habitants des campagnes quasi tous 
serfs, taillables et corvéables à merci, à la volonté et au 
bon plaisir de leurs seigneurs et maîtres, qui pouvaient les 
vendre, les battre ou les tuer, comme bon leur semblait. 

— Paris, ville où résidait le roi, était franche et libre de 
par la seule présence du souverain. Cette capitale qui 



— llo — 

comptait un grand nombre de monuments religieux et 
civils, une Université où étudiaient plqs de So.ooo jeunes 
gens de toutes les nations, 236 rues pavées, bien et soigneu- 
sement, de grès gros et forts, pleines de gens, qui criaient : 

Seigneur, voulez-vous baigner? 

Entrez done sans deslaîer : 

Les bains sont chauds, c'est sans mentir. 



Le bon vin fort à trente deux, 
A seize, à douze, à dix, à huit. 



avait une population considérable de nobles, de prêtres, 
f de bourgeois, de gens de loi et d'études, d'écoliers^ d'arti- 
sans, de moines, de mendiants. C'était pour la France le 
centre de toute instruction, de toute lumière, et aussi la 
ville du plaisir, du luxe et de la débauche où se rendaient 
de tous les points du royaume, chevaliers, prélats, nobles 
dames et damoiselles, aventuriers et courtisanes ; tous 
ceux, en un mot, qui voulaient mener joyeuse vie, grande 
joie et soûlas, et prendre une large part aux jouissances 
de ce monde : 

Car pour déduit et pour estre jolis 

Jamais cité tele ne trouveront 

Rien ne se peut comparer à Paris. ~ 

dit E. Deschamps dans une de ses ballades. . 

Le clergé spécialement se faisait alors, comme avant et 
depuis, remarquer par ses mœurs relâchées, et ce, malgré 
les conciles, malgré les sévères admonestations des 
Pères (i). Sous Philippe IV, ce fut un tel débordement de 



(i) € Le XIII« siècle fut souillé de mille désordres qui régnèrent 
même dans les suivants. On voit par les actes du concile de Virs- 
bourg (1287), qu'alors les ecclésiastiques gardaient peu de modestie 
dans leurs vêtements, fréquentaient les cabarets, joutaient auxtournoisf 
entretenaient publiquement des concubines. On apprend d'un autre 
concile célébré à Rouen en 1299, que les curés et autres bénéfîcîers 
paraissaient en public avec des habits courts et l'épée au côté; qu'ils 



— 116 — 

débauches que trouvères et troubadours ne purent s*em- 
pêcherde lesignaler, par leursécrits, à Tattention publique. 
On voit Tun de ces poètes, Guill. de Bergedan, catalan,, 
interpeller ainsi Tévéque. d'Urgel, qu'il accuse dans un 
sirvente, d'avoir engrossé plus de cent femmes. 

— « Dis donc, seigneur évêque, tu ne seras jamais sage 
qu*on ne t'ait rendu eunuque. » 

— rf Ah ! faux clergé, traître, menteur, parjure, voleur, 
débauché, dit Bertrand Carbonel dans une pièce du même 
genre, tu commets chaque jour tant de désordres pubh'cs 
que le monde en est dans le trouble et la confusion. — 
Saint-Pierre n'eut jamais rentes, ni châteaux, ni domaines ; 

jamais il ne prononça excommunication ou interdit 

Il y a des gens d'église qui ne brillent que par leur magni- 
ficence, et qui marient à leurs neveux, les filles qu'ils ont 
eues de leur mie » (Millot, Chateaubriand). 

Les gens d'église veulent dominer sur tout et partout 
écrit Pierre Cardinal, « indulgences, pardons, Dieu et le 
diable, ils mettent tout en usage. A ceux-là ils accordent 
le paradis par leurs pardons, ils envoient ceux-ci en enfer 
par leurs excommunications... Ils font faire des testa- 
ments en leur faveur ; ils sont prompts à prendre et lents à 
rendre. » 

« Notre évêque, dit un autre poète, vend une bière mille 
sous à ses amis décédés : — C'est le pape qui règne ; il 
rampe aux pieds du monarque puissant ; il accable le roi 
malheureux. » (Chateaubriand). 

Semblables reproches contre le clergé se lisent dans les 
poésies de Guill. Figuera, Raymond de Castelnau, Foul- 



retiraîent chez eux des femmes suspectes ; vivaient dans la débauche 
et les excès de la Uble. » (Veliy, VII-ii,i2.) 

Dans le youmal des visites pastorales d'Eudes Rigaud, archevêque 
de Rouen (1248-1269), on voit que le désordre était immense dans le 
clergé séculier. La réforme, de Grégoire VII, n'avait guère réussi que 
de nom, les curés n'étaient pas mariés, mais ils étaient très commo- 
dément cancubinaires, et beaucoup faisaient bien pire. (H. Martin, 
1-259, note.) 



— 117 — 

quesde Luncl, Guill. de Montagnagout, Pons de la Garda ; 
dans Y Estât du Monde de Rutebeuf» la BibU Guyot^ dans 
Renard le Nouvel^ etc. 

Avignon, séjour de Clément V, 'est représenté par 
Pétrarque, comme un enfer, la sentine de toutes les abomi- 
nations de la débauche où le monde futur, Tenfer, le para- 
dis étaient traités de fables absurdes (Chateaubriand). Ce 
pape y entretenait publiquement la belle Brunissende de 
Foiz, femme du comte Talleyrand de Périgord, dont il 
était éperdument amoureux. Les parisis et les tournois des 
prélats de France coulaient à flots dans le giron de cette 
femme qui rançonnait le pape comme lui rançonnait l'E- 
glise. Brunissende était, écrivent Michelet et H. Martin, la 
véritable Jérusalem où allait Targent de la croisade. Elle 
lui coûtait, dit-on, plus que la Terre-Sainte... Quand elle 
avait une grâce à lui demander, elle cachait le placet dans 
son corsage pour être certaine qu'il allât à son adresse. 
(Bonnemcre). 

— Les cardinaux, légats et prélats imitant l'exemple de 
Clément V, firent de leurs palais et de leurs maisons des 
lieux de débauches et de prostitution (i). ' 

Le pape Benoît XII, dès la première année de son pon- 
tificat (i 334) reproche dans une lettre aux chanoines de 
Narbonne de secouer le joug de la continence pour devenir 
comme de vils animaux, esclaves de la plus honteuse 
luxure, d'avoir avec eux des femmes suspectes, d'indignes 
concubines et de faire un lieu infâme de la sainte demeure 
de Dieu. 



(i) < L'incontinence y était si commune, qu'on voyait, dit Veily, des 
lieux infâmes à côté des églises; il y en avait jusqu'auprès du palais 
du pape : le maréchal de sa cour tirait un tribut des femmes prosti* 
tuées. » (VII-473.) 

« Le séjour de la Cour de Rome en France y a introduit ou fort 
augmenté trois grands désordres : la simonie, fille du luxe et de l'im- 
piété, la chicane, exercice de gratte-papiers et de gens oiseux, tels 
qu'étoient une infinité de clercs fainéants qui suivoient cette cour; et 
un autre exécrable dérèglement à qui la nature ne sauroit donner de 
nom. » (Mézeray, 3-64.) 



^ 148 — 

des mœurs relâchées étaient encore celles des prélats et 
es ecclésiastiques au temps de Clément VI, qui leur 
dresse cette virulente apostrophe : 

« Parlerez-vous d'humilité, vous, prélats si vains et si 
oixxpeux dans vos montures et vos équipages ? — Parle- 
^^ — ^vous de pauvreté, vous si avides que tous les bénéfices 
Il rnonde ne vous suffiraient pas ? — Que dirai-je de votre 
^^st-eté ? Vous haïssez les mendiants, vous leur fermez 
'^s portes ; et vos maisons sont ouvertes à des sycophantes . 
^ à. des infâmes, lenonibus et truffatoribus. » (Château- 
^^îa.Tid). 

Cle même pape fît un honteux trafic des choses sacrées, 
^ point que la simonie fut à Tordre du jour et devint 
^^^érale. 

ï^artout en France, les prêtres violaient la règle du céli- .. 
^^"^ en vivant avec des femmes perdues. Un abbé de 
^^^réis avait dix-huit enfants. En Biscaye, on ne voulait 
^^^ des prêtres qui eussent des commères^ c'est-à-dire des 
^"^^mes supposées légitimes. (Chateaubriand). 

Pareilles mœurs se voyaient en Angleterre, en Italie, en 
^ lemagne et en Espagne (id.). 

^1 en était de même pour la Noblesse. Au nord comme 
^ midi, châtelaini et châtelaines ne croyant ni à l'enfer, ni 
^ paradis et reniant Dieu, chantaient, aimaient et se gau- 
^ raient. Des maisons de débauches ayant prieures et 
^ ^Dcsses étaient fondées à l'exemple des abbayes, et cha- 
^ ^^ religieuse avait une cellule et formait des vœux de 
^^ isirs (i). Aussi un poète de cette époque, l'auteur du 



^ ^ 3 Dans l'Histoire des Troubadours par l'abbé Millot, on lit (1-4) 

^^ Guillaume IX, comte de Poitou et duc d'Aquitaine, fit construire 

"^^ àort, une maison de débauches, en forme de couvent, divisée en 

^"^îcurs cellules, et gouvernée par une abbesse et par une prieure. 

^^ prétendues religieuses jouant la vie monastique se livraient à tous 

^ésordrcs, faisant de leur pseudo-couvent un lieu de prostitution. 

^uiebcuf raconte que le couvent des Carmes, à Paris, était près 

^cluî des Béguines, t il ne lor faut que passer la porte », dit-il, dans 

^ Ordres de Paris^ Il en était quasi de même pour les autres couvents 



— 149 - 

DU ChastieMusart^ pût-il écrire : • Plus a partout bordcax 
que il n*i a maisons ». ' 

Dans une chanson qui fait rougir la pudeur, la comtesse 
de Die, femme de Guill. comte de Poitiers, reconnaît avoir 
mérité d'être trahie par son amant Rambaud comte d'O- 
range, en se refusant à ses désirs ; elle en témoigne vive- 
ment son repentir, Tinvite à venir le soir occuper dans sa 
couche la place de son mari (Millot, Chateaubriand). — 
Une autre reçoit chez elle un chevalier et, après le repas, 
le fait conduire en une chambre pour se reposer ;. ne pou- 
vant gésir^ coucher avec son hôte, à cause de la présence 
de son mari, y envoie une sienne pucelle pour lui tenir 
compagnie, coucher avec lui et faire à son plaisir : 

... de lez luy s'ala couchier 

Et se devesti toute nue, 

Pour miex paier sa bienvenue... 

Je suis cousine et damoiselle 

De Dame qui à vous m'envOye 

Pour vous faire soûlas et joye. (Méray, Chateaubriand.) 

d'hommes et de femmes situés les uns auprès des autres. Le môme 
poète nous représente Carmes et Jacobins allant avec nonnes blanches 
grises et noires, en pèlerinage à tels saints ou saintes en renom, ou en 
promenade à Paris, à Montmartre : « Telle fois en maine deux qu'on 
en ramaine quatre »; d'où le dicton si connu : « C'est l'abbaye de 
Montmartre, on y va deux, on revient quatre. » — Villon s'est rappelé 
ce dicton qui exprime le sentiment populaire, lorsqu'il dit des frères 
mendiants, des dévotes et des béguines : . 

Et puis après soubz les courtines 
Parler de conte m placions... 
Carmes chevaulchent nos voisines. 

Ce n'étaient pas là de simples licences poétiques : l'histoire té- 
moigne des mœurs relâchées qui existaient parmi le haut clergé 
comme parmi les moines et les nonnes. « Le concile de Vienne ouvert 
le 13 octobre 1311 par Clément V, fait connaître les désordres qui 
souillaient alors le sacerdoce : les moines quittaient leurs couvents 
pour courir les foires et les marchés trafiquant comme des séculiers et 
s'abandonnant aux vices les plus honteux; les religieuses portaient des 
étoffes de soie et de fourrures, se coiffaient en cheveux, fréquentaient 
les assemblées de danses, les fêtes publiques, et se promenaient par les 
rues, même la nuit. » iFleury, Hist. Eccles. I9-21S;— Vclly, VII-470, 
— Chateaubriand, 126), 



— 120 — 

Elise de Montfort, fille du vicomte de Turenne et femme 
de Guill. de Gordon, écrit à son amant le vicomte de 
Saint-Antony : « Je vous offre mon amour et mon corps... 
Je vous conjure de me venir voir, si vous ne vous rendez 
pas à ma prière, j'irai moi-même vous chercher. » 

— Brunissens de Cabarès, mariée, fait de même pour 
Ramond de Miravals, chevalier et troubadour : « Si vous 
ne voulez pas -venir, j'irai vous chercher et je vous ferai 
tant d'amour, que vous ne me soupçonnerez point de 
tromperie. » 

— Donna Castelloza, châtelaine de l'Auvergne, qui cul- 
tivait la poésie, quoique mariée, éprise d'un chevalier 
ArmanddeBréon,lui dit dans une chanson, qu'elle meurt 
d'amour pour lui : « Si vous me laissez mourir, vous ferez 
grand péché devant Dieu et devant les hommes, d 

— Une autre femme poète, Clara d'Anduze, mariée, fait 
une chanson pour son bel ami, qu'elle appelle de tous ses 
vœux. 

— La comtesse de Polignac du consentement de son 
mari, prend pour chevalier le troubadour Guill. de Saint- 
Didier et accepte son amour. (Millot). 

C'est, du reste, le temps où existaient la servitude, les 
coutumes et les droits seigneuriaux; où, soumis aux mille 
fantaisies de leurs maîtres, les serfs étaient obligés de battre 
l'eau des étangs pour faire taire les grenouilles qui parleurs 
coassements troublaient le repos de la châtelaine en travail 
d'enfant (i). — C'est le temps enfin où le noble, l'évèque, 
le curé même (2), exerçaient l'inique droit de markette. 



(i) Ce droit féodal était, nous apprend une personne autorisée, un 
de ceux dont jouissaient les seigneurs de Nouan-le-Fuzelier. 

(2) Les curés de Picardie prétendaient que les nouveaux mariés, ne 
pouvaient pas, sans leur permission, coucher ensemble les trois pre- 
mières nuits de leurs noces. Un arrêt du Parlement, 19 mars 1409, 
défendit à l'évèque d'Amiens et aux curés de cette ville, de prendre 
ni exiger argent des nouveaux mariés pour leur donner congé de cou* 
cher avec leurs femmes la première, la deuxième et la troisième nuit 
de leurs noces; et fut dit que chacun desdits habitants pourrait cou- 



- 121 — 

en se réservant la première nuit des noces de leurs malheu- 
. reuses serves, lorsqu'elles se mariaient. Et cela avait lieu 
en Auvergne, en Bretagne, comme dans les Pyrénées, par 
toute la France, et même au-delà, partout où la force 
primait le droit. 

— Est-il bien nécessaire, après l'existence constatée de 
l'ignoble droit' du seigneur (i), et pour achever le tableau 
de l'état plus que misérable des serfs, de dire que leurs 
enfants ne leur appartenaient pas, qu'ils étaient la pro- 
priété, la chose du seigneur ? Le fait est cependant exact : 
on le lit dans une multitude de documents de ces siècles 
éloignés. Nous ne citerons que les deux exemples suivants : 

— Charte du xii* siècle : « Moi, Thibault, comte de 
Blois et sénéchal de France, à tous présents et à venir, 
savoir faisons, que Martin de Montlivault, serf de l'abbaye 
de Bourgmoyen, a épousé Aremburge, sœur de Girard 
Courtin, ma serve, à condition que s'il naît de leur mariage 
deux ou plusieurs enfants, Tabbaye en aura un, et moi les 
autres; que si, au contraire, il n'en naît qu'un seul, je le 
prendrai par préférence. » (Hist. de Blois, 1-28.) 

— « Godefroid d'Orléans, par un acte passé le 9 jan- 
vier 141 3, avec Philippe de Passac, seigneur du Chesne, 
fît le partage de serfs comme suit : L'homme de corps 
appartenant à ce dernier, avait épousé une femme serve de 
chef ei de corps de Godefroid d'Orléans. — Le serf mourut 
laissant neuf enfants que les deux seigneurs se partagèrent. 



cher avec son épouse sans la permission de l'Evêque et des curés. — 
Ceux-ci croyaient-ils, comme certains prêtres des Indes, que ces trois 
premières nuits leur appartenaient? (Saint-Foix, I-146; — Chateau- 
briand, 106.] 

(i) Fléchier dans ses Grands Jours d' Auvergne ^ tenus en 1665, dit 
expressément que ce droit inique était encore mis en pratique par les 
seigneurs du pays. — V. H. Martin, 5-567 ; Chateaubriand, p. 104. — 
Bonnemère dans son Histoire des Paysans^ fait connaître longuement 
dans quel état de misère ont vécu paysans, laboureurs ou serfs, en 
France, à travers les kgts jusqu'à la Révolution, qui fit disparaître 
entièrement le servage. C'est leur martyrologe que cet auteur n 
dressé . 



• — 122 - 

On en fit deux lots, et Godefroid qui avait fourni la mère 
eut le choix parce que la jumelle est plus prouf/itable que le 
masle. Cinq enfants échurent à Godefroid d'Orléans, sire 
de Rère en Berry. (Gén. de la famille d'Orléans, par de 
Vassal, p. 58). 

Dans ses Antiquités de Paris^ le P. du Breuil dit la même 
chose, p. 368. L'imparité d'enfants était au profit de la 
mère, et s'il n'y en avait qu'un, il lui appartenait, c'est-à- 
dire il appartenait au seigneur de la pauvre serve I — Ces 
lois, ajoute-t-il, sont de l'empereur Justinien. 

Ainsi, pendant des siècles, des milliers d'êtres humains 
ont été sous le joug de ces lois contre nature. — Et quoiqu'on 
dise que le Christianisme a aboli l'esclavage, on ne voit pas 
qu'il soit intervenu, ou tout au moins, que son intervention 
ait été bien efficace à ces époques, pour faire disparaître le 
' servage, — autre genre d'esclavage, — ou pour améliorer 
la situation de ces malheureux êtres I Les abbayes, cou- 
vents, prélats, avaient aussi des serfs et des serves, et leur 
sort n'était guère meilleur que celui que subissaient ceux 
des seigneurs féodaux. — La dureté avec laquelle, dit 
H. Martin (4-241), ils traitaient souvent leurs << hommes 
de corps et de poeste », était connue de tous; — et il cite 
en exemple les habitants de Châtenai, serfs du chapitre 
de Notre-Dame de Paris qui, n'ayant pu acquitter les 
tailles imposées, furent, par les chanoines, jetés au fond de 
leur prison seigneuriale; plusieurs d'entre eux, entassés les 
uns sur les autres, moururent au bout de quelques jours. 
Blanche de Castille intervint auprès des chanoines pour 
qu'on rendît la liberté à ces malheureux, et s'offrit pour 
caution. Les chanoines répondirent que nul n'avait à s'in- 
gérer de leur conduite, et qu'ils avaient le droit de faire 
mourir leurs serfs, comme bon leur semblait. Blanche, 
irritée, se mit à la tête de ses hommes d'armes, s'empara 
par la force de la prison du chapitre et délivra les pauvres 
serfs qu'elle prit sous sa protection (1). 

(x) Fragonard fît un tableau représentant Blanche délivrant les 



— 423 — 

Le seigneur, le prêtre voulant augmenter le nombre de 
leurs serfs, forçaient la serve de se marier dès qu'elle en 
avait râgc, et qu'elle fut toujours enceinte; mais le serf, 
pauvre, misérable, quoique marie, n'avait le plus souvent, 
que peu ou point d'enfants, afin de ne pas faire des mal- 
heureux. La famille était attentive à la stérilité, elle se 
concentrait en elle-même dans l'amour des très proches, 
des intéressés; arrangement triste, froid, impur. L'aîné 
seul $e mariait: les frères cadets et les sœurs travaillaient 
sous lui et pour lui. Ces dernières étaient les servantes de 
leurs frères et leur appartenaient en toute chose; mœurs ana- 
logues à celles de la Bible, des Parsis et de tribus pastorales 
de l'Himalaya. — Le sort de la mère? Afin d'éviter une 
bru qui, dit Michelet, (Sorcière, p. i63) lui aurait pris son 
fils, son lit et la maison qu'elle avait faite elle-même ; il 
arrivait que... un seul et même lit servait au fils et à la 
mère qui se soumettait à tout ce qu'il exigeaitl... 

En résumé, chroniqueurs et poètes, prédicateurs et ser- 
monnaires, tous sont unanimes pour se plaindre de la 
débauche qui régnait parmi la noblesse et parmi le clergé, 
et jusque sur les marches du trône, puisque c'est précisé- 
ment alors, qu'eurent lieu les Orgies de la Tour de Nesle, 
qui rappellent au souvenir les noms de Marguerite, Jeanne 
et Blanche de Bourgogne, les trois brus impudiques du roi 
Philippe le j5e/(i). 

Ces citations que nous pourrions facilement multiplier, 
justifient donc Clopinel lorsqu'il fait dire par \e maivi Jaloux 



serfs de la prison; il était placé dans la cathédrale de Blois, mais le 
' sujet ayant fini par déplaire au clergé, on retira le tableau qui fut 
mis dans le vestibule de la bibliothèque de cette ville. (Hist. de Blois, 
1-S08.) 

(i) H. Martin rapporte, d'après le continuateur de G. de Nangis, 
les amours des trois brus de Philippe IV. — On connaît la ballade 
des Dames du temps jadis ^ de Villon, qui rappelle le fait reproduit 
par Gaguin et Brantôme. — Voltaire veut que la reine de la* Tour de 
Nesle, ait été Jeanne de Navarre, femme de Philippe IV. Bayle a,, 
dans son Dictionnaire, art. Buridan, rassemblé et discuté les diverses 
versions de cette histoire. 



— iU — 

que toutes les femmes belles ou laides, « guerroyé tousiours 
chasteté et à Vénus rendent hommage ». — Ces mœurs 
débauchées expliquent les enseignements de la Vieille^ 
disant à Bel-Acueil, de profiter de sa beauté et de sa jeu- 
nesse, de mener enfin une vie joyeuse et galante. Et encore 
les plaintes amères de Nature y ne voulant Tunion de 
rhomme etde la femme que pour procréer l'espèce humaine, 
et non autre, et qui, en présence de la dépravation d'alors : 

Ou Honte est morte et noyée 
Et Puterie est essauciée. 

lit-on dans un fabliau de Tépoque, veut se venger des 
hommes et des femmes livrés à tous les vices. 



CHAPITRE Vif 



§ 2. — Situation sociale de la femme. 

Mariage. — Crltlqne* de Gloplnel contre le beaux sexe.— Tous les 
bomines sooi faax. — * Prend le sort de la femme en pitié. — 
Elle est née franclie. — Demande l'abolition da mariag^e et la 
communauté des femmes* — Les cours d*amour; leurs onseigne- 
mento ; Famonr libre. — Iju femme dans l'antiquité» parmi les 
Juifs» les Persans» les Chinois» les Hellènes» les llnsulmans. — - 
Le Christianisme et la femme; rVoces de Cana. — D'Orient en 
Occident. — La femme parmi les Germains. » Tacite. — Con- 
cile de IH&con. — Chansons de geste. — Le culte de la Vierge 
Marie en faveur. — Les Romans de la Table ronde et la Cheva- 
lerie. — * Dieu et ma Dame. — La femme aux temps actuels. — 
En Jouissance des droits elvi|s et politiques. 



Les critiques de Clopinel contre le beau sexe, semble- 
raient faire croire que lui, joyeux compagnon, avait à s'en 
plaindre ; — il revient trop souvent sur ce sujet pour qu'il 
n*en soit pas ainsi. Sans doute, il prit femme et son sort fut 
aussi malheureux que celui de Rutebeuf, ou du Bossu 
d'Arras, ou de Villon et de tant d'autres qui, dans leurs 
poésies, se plaignirent grandement de s'être engagés dans 
les liens du mariage. 

— Il est vrai que notre poète en juge impartial, fait atta- 
quer le sexe fort par la Vieille. Pour celle-ci tous les hommes 
sont ribaux, /aux et parjures; — mais dans la bouche de 
cette vieille duègne qui a mené une vie de débauches, ces 
épithètes perdent beaucoup de leur importance; et puis, 
cette attaque contre les hommes n'a lieu^ si nous nous 
souvenons bien, qu'une seule fois et d'une façon assez 



— 426 — 

anodine, tandis que celles. dirigées contre les femmes sont 
fréquentes. 

— Cependant Glopinel prend le sort de la femme en pitié 
et proteste contre Tétat de sujétion dans lequel il la voit. 
C'est, pensons-nous, le premier plaidoyer en faveur du sexe 
faible, qui se lise parmi les écrivains du moyen-âge : 

— Elle est née franche^ fait-il dire à la Vieille^ et la 
nature n'a pas fait naître Marote seulement pour Robichon, 
ni Robichon pour Marote ou pour Agnès ou pour Perrette, 
mais : 

Toutes pour tous et tous pour toutes, 
Chascune pour chascun commune, 
Et chascun commun pour chascune. 

Clopinel reprenait là des idées anti-sociales, anti-reli- 
gieuses, émises par plusieurs fameux hérésiarques, aux 
premiers temps de TÉglise : Basilide, chef des gnostiqùes 
ou illuminés; — Mancs, chef des manichéens, prêchant 
l'abolition du mariage et la communauté des femmes ; — 
Notre poète se mettait à la remorque des Vaudois,* des 
. Cathares, des Albigeois, des Petits Frères, des Apostoliques 
qui, du XII* au xiii* siècle, pratiquaient ces doctrines, 
disant que l'homme n'avait besoin d'aucune cérémonie 
religieuse ou civile, pour s'unir à la femme qui n'était fait»^ 
que pour lui. — Il imitait ce messie qui parut alors à 
Anvers proclamant, dit Michelet(i — 318.471), la commu- 
nauté des femmes, et l'abolition des sacrements, de la 
messe, etc. (i). Il fallait un certain courage, et même une 

(i) Parmi les Carpocratiens, les Presciliens et autres hérétiques des 
II* et IV* siècles, les femmes appartenaient à tous, mais ils arrêtaient 
la génération parce que le corps étant infâme, il n'était pas bon de le 
reproduire. (Chateaubriand, Etudes historiques, 443-445.) 

Ces doctrines sur la communauté des femmes reparaissent de nos 
jours. Tissot, dans son Voyage au paya des MUliards fait mention d'un 
député, chef du socialisme en Allemagne, parlant et écrivant dans ce 
sens : mariage aboli, femme commune. - Wagner, Proudhon ne 
voulaient que l'amour libre, pas de mariage. D'autres, la polygamie, 
comme Napoléon I"** et les Mormons. — Au Malabar, la loi permet 
aux femmes d'avoir en mariage jusqu'à douze hommes chacune. 



- 127 - • ... V 



certaine audace de la part de notre poète, pour oser 
demander en ce siècle, où Tinfluence religieuse était si 
grande, l'abolition du mariage qui, selon Montaigne, est 
souvent un marché contraint et forcé où surviennent mille 
fusées étrangère^ troublant le cours d'une vive affection, — 
pour revenir à l'union naturelle des deux sexes, consacrée 
par Dieu lorsqu'il créa l'homme et la femme et leur dit : 
Croissez et multipliez. 

D'après certains auteurs, il n'est rien de si simple, de si 
rationnel et en même temps de si légitime que de telles 
unions, assises sur une affection réciproque. Le mariage 
institué par les lois civiles et religieuses et rendu indisso- 
luble jusqu'à la mort d'un des époux, ne saurait, disent-ils, 
être mis en parallèle. — A l'époque qui nous occupe«<( le 
sacrement de mariage dans les opinions de la chevalerie 
avait quelque chose de moins divin que le sacrement de 
l'amour; un choix involontaire, mais unique remplissait 
l'espace de la vie ; être infidèle à ce choix du cœur voilà ce 
qui paraissait répréhensible. La passion préservait du vice, 
à d'autres époques le vice préservait des passions ; on peut 
les blâmer comme trop indulgentes, elles ne faisaient que 
déplacer les devoirs. » (Gidel, citant Ghénier). 

C'est ce qu'on enseignait dans les cours d'Amour, ces. 
assises féminines, alors dans tout leur essor. 

— « Le mariage n'est pas une excuse légitime contre 
l'amour; 

« Rien n'empêche qu'une femme soit aimée par deux 
hommes et un homme par deux femmes; 

« Une femme en puissance de mari, ne doit pas renoncer 
aux hommages d'un amant, pour ne pas enfreindre les lois 
de l'amour; 

« Une femme qui épouse son amant ne peut pour cela 
refuser les hommages d'un deuxième amant. » (H. Martin, 
Méray.) 

Si, pour les Allemands, d'après Madame de Stacl, 

• l'amour est plus sacré que le mariage, il était pour nos 

poètes du Midi, dit leur historien, le. principe de toute 



N 



— 428 — 

vertu, de toute valeur morale, du joy et de la joia^ et ne 
pouvait exister dans le mariage. Ainsi Ton voit Elise de 
Montfort, temmede G. de Gordon, prendre pour soii che- 
valier Raymond Jordan, vicomte de Saint-Antoni, en 
Querci, « homme de belle figure, généreux, vaillant en 
armes, faisant bien les vers et Tamour ». Elle reçut son 
hommage, se donna à lui en Tembrassanr, et tira de son 
doigt un anneau qui devait lui servir de gage et de sûreté ». 
Il y avait donc, écrit Tabbé Millot, une espèce de cérémonie 
pour l'adoption d*un amant. Les engagements de l'amour 
comme ceux de la chevalerie, paraissaient sacrés, du moins 
aux regards de Tenthousiasme. De là, sans doute, Tidée de 
s'en faire délier par un prêtre lorsque la passion ne sub- 
sistait plus, ainsi que le montre Pierre de Barjac, qui, vou- 
lant rompre avec la dame du château de Joriac, en 
Gévaudan, lui écrivit. « Adressons-nous à un prêtre : vous 
me donnerez votre absolution, vous recevrez la mienne; 
et nous pourrons ainsi loyalement former de nouvelles 
amours (i). » 

— Héloise ne consentit qu'involontairement à s'unir par 
les liens du mariage avec Abélard, donnant pour raison 
qu'elle serait contrainte d'accorder ce que jusqu'alors elle 
consentait volontairement. 

D'autre part, il est exact de dire avec le poète, que la 
condition civile de la femme a toujours été malheureuse. 
Elle ne sert qu'à la génération, disent les Persans (Montes- 
quieu). La loi mosaïque ne favorisait nullement la femme 
juive; loin de là même, elle la traitait cruellement, au point 
de la considérer comme impure tout le long de sa virginité 
et dans la maternité; immonde, souillant tout ce qu'elle 
touchait ou l'approchait (Lévitiq. XIL XV). C'était, non la 
compagne, mais la servante de son époux, son seigneur et 
maître qui, à l'exemple des patriarches Abraham, Lsaac, 



(i) Velly rapporte (VII-p) qu'en 1289, eut lieu un mariage pour 
sept ans seulement; après ce délai expiré, les époux pouvaient 
reprendre chacun leur liberté. 



\ 

— 4 29 — 

Jacob, pouvait en avoir autant qu*il le jugeait à propos. 

Ce sont les mœurs actuelles des pays d'Orient ; c'est 
encore le sort de la femme chez les Musulmans, les Arabes, 
les Persans, les Chinois; parmi eux la femme ne compte 
pas, et si bas que soit Thomme, elle est toujours plus bas (i). 
D'après les premiers poètes grecs, il en était de même 
chez les Hellènes. 

— Dans la Bible, comme dans Homère, on voit que la 
femme est donnée au mari, et non le mari à la femme. Elle 
est une chose\ (ait partie du butin de guerre, est distribuée 
ou partagée comme tel entre les vainqueurs, ou devient un 
tribut exigé du vaincu par le vainqueur (2). Télémaque dit 
sans cesse à Pénélope, sa mère, qu'elle ne doit pas parler 
dans les Assemblées des hommes, le silence est son partage 
et qu'elle reprenne ses laines et ses fuseaux. 

Le Christianisme a-t-il, à sa naissance, amélioré le sort 
de la femme? — 



(i) La loi de Confucius ne reconnaît aucun droit à la femme, à qui 
elle refuse même d'avoir une âme; l'époux a le droit de vie et de mort 
sur elle. L'Arabe traite sa femme en esclave; la répudie lorsqu'elle 
accouche d'une fille et accepte comme un .bienfait de Dieu la mort 
même de ses filles. Un musulman peut épouser quatre femmes et en 
acheter autant qu'il veut. Les Lapons regardent les femmes comme 
indignes d'offrir des sacrifices à la divinité et leur interdisent l'entrée 
des lieux divins. 

(2) Les Hébreux comprenaient les filles dans le butin de guerre; ils 
se partagèrent ainsi 32,000 filles vierges madianîtes. Il n'y avait excep- 
tion que pour les villes sur lesquelles l'Eternel avait jeté VtnUrdît, 
alors on tuait tout, hommes, femmes, enfants, comme cela eut lieu à 
la prise de Jéricho. (Deut. XIX. — Nomb. XXXI. — Josué, VI.) 

Dans l'Iliade, on voit que Briséis, Chryséis, échurent comme butin 
de guerre à Achille qui avait sa tente remplie de captives. La veuve 
d'Hector, Andromaque tomba en partage à Pyrrhus, fils d'Achille, le 
meurtrier de son époux. -~ Les femmes étaient encore données en 
prix dans les jeux publics; et aussi exigées comme tribut. On sait 
celui de sept jeunes filles et sept jeunes garçons que les Athéniens 
étaient obligés de faire tous les ans, au Minotaure, dans l'tle de Crète. 
Ceux de jeunes filles que les Arabes tiraient de plusieurs villes 
d'Espagne dont ils étaient les maîtres. C'était, du reste, d'usage fré- 
quent dans les guerres d'Orient et aux temps des croisades, de com- 
prendre les femmes dans le butin ou tribut de guerre' 

9 



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/ 



— 130 — 

Oui — disent un grand nombre d'auteurs, parmi lesquels : 
Chateaubriand, Madame de Staôl, P. Lacroix. 

— Le Christianisme a tire la femme d'un état qui res- 
semblait à l'esclavage et lui a fait reprendre son rang dans 
la vie civile et sociale. 

Voici notre réponse à ce thème devenu commun, et c'est 
Tapôtre saint Jean qui va la fournir : 

— Il raconte qu'aux noces de Cana a le vin ayant manqué, 
c la mère de Jésus lui dit : Ils n'ont plus de vin — « Mais 
« Jésus lui répondit : Femme qu'y a-t-il de commun entre 
« moi et toi? — Mon heure n'est pas encore venue. » — 
« Sa mère dit à ceux qui servaient : « Faites tout ce qu'il 
« vous dira. » 

La réponse de Jésus à sa mère, en l'acceptant telle qu'elle 
nous est donnée par le disciple bien -aimé, ne peut être 
expliquée favorablement qu'en se plaçant au point de vue 
des acteurs, c'est-à-dire en Orient. Maître et disciple, 
enfants de ces contrées ensoleillées, la femme était toujours 
pour eux un être inférieur. Marie ne l'ignorait pas; aussi 
elle reçut sans murmure et sans observation la réponse... 
orientale de son fils, et soumise, avec une résignation vrai- 
ment touchante, dit aux serviteurs : Faites tout ce qu'il 
vous dira (i). 

Partie d'Orient pour venir en Occident, cette nouvelle 
religion, dérivant du Judaïsme, n'améliora pas, comme on 
le prétend, le sort de la femme en Europe. Si les peuples 



(i) Dans son sermon pour la fête de T Assomption de la Sainte- 
Vierge, Massillon fait ressortir le délaissement, l'indifférence, les ri- 
gueurs que Marie éprouva plusieurs fois de la part de Jésus. Nulle 
part, au Temple, à 12 ans, aux noces de Cana, il ne lui témoigne les 
égards, les tendres attachements qu'un fîls doit avoir pour sa mère. 
< Si dans une autre circonstance on le fait souvenir que sa mère et 
ses frères l'attendent avec impatience, il répond qu'il ne reconnait 
pour sa mère et pour ses frères, que ceux qui font la volonté de son 
Père qui est dans le Ciel. Enfin partout elle paratt oubliée, et toutes 
les fois que les Evangélistes nous en parlent dans l'histoire de son fils, 
c'est pour nous rapporter quelque rigueur apparente de J.-C. envers 
«Ue. » 



— 131 - 

de la Germanie et du Nord respectaient la femme quM'ls 
considéraient^ dit Tacite, comme ayant quelque chose de 
divin et de prophétique; consultaient et souvent déféraient 
à leurs avis : — Inesse quin etiamsanctum aliquidetpro- 
vidumputant, nec aut consilia earum adspernantur^ aut 
responsanegligunt; — cette croyance tomba en partie lors- 
que le christianisme, imbu des idées orientales, s'introduisit 
parmi eux. 

Les différents peuples sortis de TAsie-Mineure, la terre 
classique de Thumanité, et se dirigeant vers la Mer Noire 
et les pays du Nord, avaient emporté avec eux, à travers 
leurs migrations successives, les croyances et les coutumes 
premières du sol natal, lesquelles à la longue finirent par 
s'altérer, et même, pour plusieurs, à changer du tout 
au tout, par suite de la différence de climat et de leur ma- 
nière de vivre. 

Ainsi la femme, esclave, être nul, butin et tribut de 
guerre, comme nous venons de l'exposer, devint par la 
suite des temps pour les Germains, la compagne de l'homme 
et non sa chose. Elle prenait une part active à la vie com- 
mune; allait au combat avec lui, l'excitant à vaincre par 
ses paroles et par ses gestes; et si la défaite avait lieu, à son 
tour, elle se munissait d'une arme quelconque pour atta- 
quer et se défendre, ou même se donner la mort, afin 
d'échapper à l'esclavage ou au déshonneur. 

C'est dans ces termes que les historiens latins parlent 
des femmes des Cimbres, des Teutons, des Germains, des 
Gaulois. 

Nous l'avons déjà dit, d'après Tacite, tous ces peuples 
divinisaient la femme et écoutaient religieusement ses avis 
dans les affaires d'État. 

Tels furent aussi les Francs; tel fut aussi Clovis, avant 
son baptême. 

Si pour Henri IV, Paris valait bien une messe, à plus 
forte raison pour Clovis, la conquête de la Gaule que lui faci- 
lita le clergé l'appelant de tous ses vœux, ce qui a fait dire 
que la France était une monarchie fondée par des évêques; 



■^r- 



— 432 — 

à plus* forte raison, dirons-nous, la Gaule pour Clovis, 
valait-elle bien un baptême. Er lorsque Saint-Rémi en 
versant sur sa tête Teau lustrale lui dit : « Adoucis-toi, 
Sicambre, et courbe la tête; adore ce que tu as brûlé, et 
brûle ce que tu as adoré », il opérait dans la pensée du 
Franc, nouvellement converti, un revirement complet dans 
ses idées religieuses. Ainsi, par exemple, la femme qui 
pour lui et les siens, était regardée comme un être quasi- 
sacré, allait, de par les enseignements chrétiens, lui être re- 
présentée comme volage, inconstante, irraisonnablc, tou- 
jours disposée au mal; enfin comme la cause première de la 
chute de Thomme qu'elle achemine par sa fréquentation, 
bien plus vers la mort et les feux infernaux que vers les 
joies célestes. 

C'étaient là les traditions orientales recueillies dans les 
livres bibliques et évangéliques importés en Occident par 
le Christianisme, et dont l'impression devint générale : 
« Propter imbccillitatem, propter infirmitatem sexus. » — 
Sous le coup de sa conversion, Clovis rédigeant, ou, tout 
au moins, mettant en ordre la loi Salique, y fît paraître 
cette impression dans Tart. 6 du titre. 62 des Alleux qui 
porte : t Dans la loi Salique, aucune partie de l'héritage 
ne doit venir aux femelles. Il appartient tout entier aux 
mâles. > 

Cet article devint décisif à Tégard de la femme qui fut 
exclue du trône et des possessions féodales (i). — On alla 



(i) Le royaume de France est si noble, dit Froissard, qu'il ne peut 
aller à femelle. (H. Martin, 4-536.) 

« G. de Villehardouin, prince de Morée, ne laissa en mourant que 
deux filles, et perdit ainsi, dit la Chronique de Morée^ tout le fruit de 
SK^ travaux : car une femme n* aurait jamais pu être admise à la 
souveraineté t depuis la malédiction lancée contre la femme» > (Corresp. 
' d'Orient, Michaud et Poujculat, I-13Z). — Les coutumes féodales 
n'admettaient la successibilité féminine que lorsque le meilleur sexe 
wtançuait, alors le seigneur suzerain mariait l'héritière pour desservir 
le fie£ (H. Martin, 3-16; — Chateaubriand, 102.) 

On retrouve cette impression défavorable à la femme dans le Code 
Qvil, où elle est encore à l'état de mineure comme fille ou comme 



— i33 - 

m(!mc plus loin : on prétendit qu'elle n*avait pas d*àmc. 
Cela fut discuté sérieusement en l'an 585, dans un synode 
tenu à Mâcon. Grégoire de Tours rappone au livre VU 
de son Histoire ecclésiastique des Francs, que les évèques 
assistants à ce. synode après avoir agité la question., si on 
devait comprendre les femmes sous le nom d*hommes, 
c'est-à-dire ayant une âme, finirent, après de longs débats, 
par accorder à chacune d'elles une ftme et la qualité d'être 
raisonnable. 

L'origine de cette croyance devait provenir d'une mau- 
vaise interprétation donnée aux premiers versets de la 
Genèse — c Dieu créa l'homme à son image; il les créa 
mâle et femelle, — Et leur dit : Croissez et multipliez » 
(I. 27.28). — « L'homme fut fait en dme vivante; et, pour 
qu'il ne soit pas seul, Dieu l'endormit, et fit une aide sem- 
blable à lui en lui tirant une côte dont il forma la première 
femme. » (IL 7.18.21.22.) 

Eve formée d'une côte d'Adam, est semblable à lui cor- 
•porellement, mais il n'est pas question (ïdme dans le verset 
.'22 du chap. II; et comme Dieu dit que Vhomme dominera 
sur elle, on voit là poindre l'origine de cette croyance qui 
:a encore cours dans les contrées orientales, où la femme 
est traitée comme un être inférieur, comme une esclave. 

Ces traditions orientales si défavorables à la femme re- 
présentée par le prêtre, le prédicateur comme la cause du 
péché et de l'universelle damnation de l'humanité; inerte 
et passive dans l'acte de la conception, vase de faiblesse 
(vas infîrmius), être immonde, l'amie du démon, la bête 
noire^ le summum du mal, étaient acceptées par tous, même 
par nos anciens poètes. 



épouse. En Europe elle est toujours regardée comme un être inférieur. 
I^ans les familles, la naissance d'un garçon est accueillie avec plus de 
contentement que celle d'une fîUe. Pour l'Église, perpétuant les tradi- 
tions mosaïques, la femme est impure et rend impur ce qu'elle touche 
ou qui l'approche. Par sa fôte de la Purification, instituée au v* siècle, 
elle la force, pour se purifier, à se rendre à l'église : là, où elle est tou- 
jours mise à l'écart, en dehors du chœur, réservé aux hommes. 



— 134 — 

Telle est du moins la conclusion qu'on doit tirer de la 
lecture de nos anciennes Chansons de Geste; la galanterie 
est, dit P. Paris, tout à fait bannie de cette poésie primi- 
tive (i). 

La Chanson de Roland (xi« siècle) ne fait mention que de 
deux femmes : Bramimonde, Tépouse du roi Marsile, faite 
prisonnière, se convertit, reçoit le baptême à Aix et prend 
le nom de Julienne; puis Aude, la sœur d'Olivier qui, ap- 
prenant par Charlemagne que Roland^ son fiancé, a été tué 
à Roncevaux, se pâme de douleur et tombe morte aux pieds 
de l'empereur. 

Dans les chansons de Gérard de Roussillon^ Renaud de 
Montauban, Garin le Lohérain, Aye d'Avignon, etc., qui 
composent le cycle carolingien, la femme n'est rien. Les 
héros de ces poèmes n'ont pour elles qu'une froideur mépri- 
sante. C'est un être inférieur, vain, léger, au cœur toujours 
inconstant; qu'à l'exemple des héros d'Homère, ils ren- 
voient à chaque instant et brutalement, à ses fuseaux et à 
sa quenouille. Et à l'inverse de leurs ancêtres, les Ger- 
mains, ils sont tout disposés à lui trouver quelque chose de 
diabolique (i); à être du sentiment de Métellus Numidicus 
disant au peuple romain : S'il était possible de n'avoir point 
de femmes, nous nous délivrerions de ce mal, mais comme 
la nature a établi que l'on ne peut guère vivre heureux avec 
elles, ni subsister sans elles, il faut avoir plus d'égard à 
notre conservation qu'à des satisfactions passagères (2). 

(i) D'après les Cathares du xii« siècle qui suivaient les doctrines de 
Manès, le péché originel n'est autre chose que la consommation du' ma» 
riage d'Adam et d'Eve. S'il en est ainsi, ils mettaient en pratique 
Tordre de l'Eternel. Alors nous demandons où est la faute qui, de sa 
part, leur attira une si terrible malédiction, à eux et à toute leur pos- 
térité. Et, cependant, écrit Micheiet, grâce au péché d'Adam et d'Eve, 
nous dit Bossuet, nous chantons avec toute l'Eglise < Heureuse faute ! > 
— Et encore : < O péché vraiment nécessaire ! > (Peuple, 304.) 

(i) Les Androniciens, hérétiques du IP siècle, croyaient que la partie 
supérieure de la femme était l'ouvrage de Dieu et la partie inférieure 
l'ouvrage du diable. 

(2) Euripide, dans sa tragédie é'Hippolyte^ fait demander par ce 
dernier à Jupiter, du cerveau duquel Minerve sortit armée de pied 



— 135 — 

Donc, si ces chevaliers se marient, c'est moins par amour 
que par avarice, pour s'enrichir et pour perpétuer leur 
race, dit L. Gautier, dans ses Épopées Nationales. 

Un revirement dans les idées a lieu au xii*-xiii' siècle; 
alors naît et se développe rapidement le culte de la Vierge 
Marie qui, de toutes parts, envahit les Églises et inspire en 
ce siècle, plus d'ouvrages d'art qu'en aucun de ceux qui 
avaient précédé. Les livres d'heures, les psautiers, les 
vitraux sont, dit Renan, pleins de la Vierge Marie, de ses 
douleurs, de ses joies, des preuves de son influence, et des 
miracles opérés par son intercession. 

— Henri de Valenciennes écrit la Vie Nostre Dame et la 
Mort Nostre Dame; Gautier de Coincy, les Miracles Nostre 
Dame en So^ooo vers; Rutebeuf publie VAve Maria^ la 
Chamon Nostre Dame, les XX joycs (ou douleurs) Nostre 
Dame, Vie Nostre Dame, etc. 

— Les poètes du Midi^ Giraud Riquier, Guy Folqueis, 
Lenfranc Cigala, Guilhem d'Aveypold, Raymond Gaucelm, 
Pierre Cardinal, Pierre de Corban, etc., composent des 
chansons en l'honneur et à la louange de la Mère de Dieu. 
Ce dernier poète, P. de Corban « parmi les louanges qu'il 
lui donne, observe que tous les chrétiens savent sérieu- 
sement ce que l'ange lui dit, quand elle reçut par C oreille 
Dieu qu'elle enfanta vierge. Il compare la merveille de 
son enfantement à l'action du soleil, dont la lumière tra- 
verse le verre sans le rompre. » (Millot.) 

Puis, avec les romans de Tristan et de la belle Iseult^Lance- 
lot du Lac et de la reine Genièvre et autres du cycle d'Arthur 
et de la Table ronde, paraissent la galanterie et l-amour. 
« Dieu et ma Dame », est la devise du chevalier qui entre- 
prend et accomplit mille prouesses pour obtenir de celle qu'il 
aime, de sa mie, le don de doidce mercy. Et la femme qui, 



en cap, — pourquoi il n'a pas donné aux hommes un autre moyen 
d'avoir des enfants. — Ce trait a échappé à Molière; il aurait figuré 
très conséquemment dans les malédictions du vieillard trompé, quand 
il donne toutes les femmes au diable qui les fît. 



— <36 — 

selon Texpression pittoresque de Michelet, chez les sau- 
vages, est une bête de somme, parmi les Orientaux, un 
meuble, devient en Europe un enfant gâté et prend dès 
lors, dans la société, un enipire sans limites. 

Jean Clopinelqui, parla bouche de la Vieille, s'était fait 
Tapôtre de Taffranchissement de la femme, tout en écrivant 
dans son Codicille que Dieu la soubmitz à homme et voulut 
qiCUfust ses chiefZy ce que dit également B. Latini : « Li 
hom fu fait à Tymage de Dieu, mais la feme fu faiste à 
Tymage de Tome, et por ce sont les femes souz mises as 
homes par loi de nature », a trouvé des imitateurs parmi 
les modernes, qui, même, ont été bien au delà du deside- 
ratum exprimé par le poète. De nos jours, on ne parle en 
France, en Allemagne, en Angleterre, que de l'émancipation 
du sexe faible; et l'on va jusqu'à prédire que dans un ave- 
nir peu éloigné, la femme dont c la plus utile et honorable 
science et occupation, dit Montaigne, est la science du 
ménage » et que, d'après Mad* de Staël, c l'on a raison 
d'exclure des affaires politiques et civiles, rien n'étant plus 
opposé à sa vocation » sera mise en possession des mêmes 
droits civils et politiques que l'homme; en jouira aux mêmes 
titres et siégera dans les grandes assemblées. 

Ce dernier état de choses n'existe-t-il pas déjà dans cer- 
taines contrées du Nouveau Monde ? — En attendant qu'il 
en soit de même en Europe, on y voit maintenant des 
femmes doctoresses en droit et en médecine, avocates, etc. ; 
elles sont admises comme témoins aux actes de l'état civil, 
et, de plus, ont le droit de vote aux élections consulaires. 



CHAPITRE VI 
I III. — Le Célibat. 

Genius falmlae Tanathème* — L'homme n'est pas fait pour le 
célibat* — Nombreux eouvents d'hommes et de femmes. — Ré- 
sultats. — États CathoUques et Protestants* — Population. — 
Philippe IV, adversaire du célibat religieux* — Fausse bulle 
annulant les vœux de chasteté* — E«e célibat parmi les Juifs, les 
Grecs, les Romains. — Judaïsme et Christianisme. — Premiers 
temps de rÉglise. — Évéques et prêtres mariés.— Églises grecque 
et russe* — Uoyen-ûge. —Mœurs relAchées* — Concile de Trente. 
Ce clergé catholique tmitera-t*il l'exemple des Protestants? 
Opinion de Bossnet* 



Parlons maintenant du célibat contre lequel Clopinel, 
par la bouche de Genius, grand-prêtre de Nature, fulmine 
l'anathème. 

L'homme n'est pas fait pour le célibat, dit Clopinel et, 
après lui, Montesquieu, Jean-Jacques Rousseau; il doit se 
marier, s'unira la femme pour perpétuer leur espèce. Ceux 
qui se maintiennent dans cet état de célibat, pèchent contre 
la nature, contre toutes les lois divines et humaines. Notre 
poète reprenait là une thèse soutenue dans VArcAithrenius, 
poème attribué à Jean de Salisbury, évêque de Chartres, 
mort en 1182, et dans r Anti-Claudianus d'Alain de Lille, 
qu'il développait vigoureusement à l'aide de Genius, contre 
le moine F aulx-Semblant et la nonne Contrainte-Abstinence 
qui, comme leurs pareils, moines et nonnes, reclus et 
recluses « semblent dehors agneaulx pitables », religieux, 
dévots, tout confits en Dieu; et « dedans sont loups ravîs- 
sables », livrés à tous les vices. Aussi Vypocrite Faulx- 
Semblant et sa si peu chaste compagne Contrainte'Àbsti" 



— 438 — 

nence^ craignant pour les crimes contre nature, commis par 
eux, d'être, à la vue de tous, sévèrement apostrophés par 
Genius qui^ ici, personnifie l'amour honnête, n'ayant d'autre 
but que la procréation, s'esquivent-ils vite dès qu'il paraît à 
rosi du Dieu-fT Amours. 

Le poète, en voyant la France couverte d'abbayes, de 
monastères, de couvents au nombre de plus de deux mille, 
se rendait bien compte que la grande multitude de per- 
sonnes des deux sexes condamnées à y vivre, par suite de 
vœux religieux, en un célibat perpétuel, aux dépens de tous, 
sans supporter aucune charge et sans profit pour chacun, 
causait un immense préjudice à l'Etat, tant au point de vue 
de l'augmentation de population qu'à celui des impôts qui, 
par ce fait, se trouvaient être supportés par un nombre 
moindre d'individus. A l'extrémité de la terre, en Chine,. 
pareille remarque avait été faite depuis fort longtemps. « Nos 
anciens, dit un empereur de la famille des Tang, tenaient 
pour maxime que s'il y avait un homme qui ne labourât 
point, une femme qui ne s'occupât point à filer, quelqu'un 
souffrait le froid ou la faim dans l'empire. » Et, sur ce prin- . 
cipe, écrit Montesquieu, il fit détruire une infinité de monas- 
tères de bonzes. 

Chateaubriand, comme historien, est de l'avis de notre 
poète : « Cette famille de religieux, dit-il, qui ne mourait 
point, accroissait ses biens sans les pouvoir perdre, et, 
dégagée des soins du monde, exerçait sur lui un prodigieux 
empire. Aujourd'hui que la société n'a plus à souffrir de 
l'accaparement d'une propriété immobile, du célibat nui- 
sible à la population et de l'abus de la puissance monacale, 
elle juge avec impartialité des institutions qui furent, sur 
plusieurs rapports, utiles à l'espèce humaine à l'époque de 
sa formation > (Hist. de France.) 

Mais comme apologiste du christianisme, il prêche le 
célibat, et voici les raisons qu'il invoque à l'appui de sa 
thèse. 

. € L'Europe est-elle déserte, parce qu'on y voit un clergé 
catholique qui a fait vœu de célibat? Les monastères mêmes 



— i39 — 

sont favorables à la société parce que les religieux, en con- 
sommant leurs denrées sur les lieux, répandent Tabondance 
dans la cabane du pauvre. 

t Or, il nous parait qu^une des premières lois naturelles 
qui dut s'abolir à la nouvelle alliance, fut celle qui favorisait 
la population au-delà de certaines bornes. Autre fut Jésus- 
Christ, autre fut Abraham : celui-ci parut dans un temps 
d'innocence, dans un temps où la terre manquait d'habi- 
tants; Jésus-Christ vint, au contraire, au milieu de la 
corruption des hommes, et lorsque le monde avait perdu 
sa solitude... Le législateur des chrétiens naquit d'une 
vierge, et mourut vierge. N'a-t-il pas voulu nous enseigner 
par là, sous les rapports politiques et naturels, que la terre 
était arrivée à son complément d'habitants, et que, loin de 
multiplier les générations, il faudrait désormais les res- 
treindre? » (Génie du christianisme.) 

Chateaubriand ne fait que reproduire ici, ce que dit 
Platon pour les mariages et la propagation en Grèce, qui 
devaient être encouragés ou restreints selon les besoins de 
la République ; puis Montesquieu : c Les peuples naissants 
se multiplient et croissent beaucoup. Ce serait chez eux une 
grande incommodité de vivre dans le célibat : ce n'en est 
point ure d'avoir beaucoup d'enfants. Le contraire arrive 
lorsque la nation est formée. » (Liv. XXIII, ch. xi, xvii.) 

Invoquer comme temps d'innocence ceux qui virent le 
déluge, la destruction de Sodome et de Gomorrhe; parler 
de la corruption des hommes qui a toujours été, est et 
sera; de la terre arrivée à son complément d'habitants, au 
temps de Jésus-Christ, qui ne connaissait que la Judée et 
la Galilée, — Alors qu'il y avait en Asie, en Afrique, en 
Europe, d'immenses contrées encore inhabitées; s'autoriser 
de la virginité de Marie et de celle de son fils pour restrein- 
dre les mariages et diminuer la population, ce sont là des 
. raisons d'avocat qui veut, quand même, défendre une cause 
qu'en son for. intérieur» il sait mauvaise. En effet, c'est 
aller contre le sentiment de tous les législateurs des peuples 
qui combattent le célibat et recommandent le mariage. 



— i iO - 

L'argumentation de Chateaubriand est donc loin d'être 
péremptoire. Et cela d'autant moins que, si Ton examine, 
un instant, le chiffre de population des Etats où est établi 
le protestantisme et qu'il soit mis en parallèle avec le chiffre 
de ceux soumis au catholicisme, notamment l'Espagne, 
l'Italie, la France où la population va tous les jours en 
décroissant (i), puis que l'on considère la situation respec- 
tive des uns et des autres, au point de vue politique et 
économique, on voit de suite, combien le célibat est nuisible 
à la prospérité d'un État. C'est ce que constatait Clopinel 
qui, encore sur ce point, devançait ses contemporains (2). 
Cette attaque de la part de notre poète contre le célibat 
religieux, était-elle dans les vues de Philippe IV ? — Avait- 
elle son approbation ? — Nous le croyons volontiers puisque, 
à ce moment même, on voit Dubois proposer au roi l'abo- 
lition du célibat des prêtres et des moines, et qu'alors on fit 



(1) M. Bernard, sénateur, rapporteur de Tenquéte faite au sujet de 
la dépopulation, en France, disait en séance du Sénat, 32 novembre 
1901 : « Au début du XIX« siècle, la France était le groupe national 
le plus compact qui fût en Europe. Elle comptait 25 millions d'habi- 
tants, tandis que l'Angleterre n'en possédait que 12 et l'Allemagne 15. 
Aujourd'hui, la proportion est renversée. — Nous avons 36 millions 
d'habitants, l'Allemagne 56 et l'Angleterre 41. L'augmentation s'accuse 
aussi en Italie, en Autriche, en Suisse, en Belgique. Si ce mouvement 
continu, que deviendra la France? — Elle ne pourra que décroître, 
moralement, financièrement, économiquement, militairement... » 

(2] BaUac recommandait le célibat aux hommes d'Etat. Un siècle 
et demi plus tard, Napoléon par l'article loi du décret organique de 
l'Université du 17 mars 1808, l'imposait ainsi que la vie commune à 
tout le corps enseignant : proviseurs, censeurs, principaux, régents, 
maîtres d'études. 

D'après la statistique générale, on compte actuellement en France 
plus de- 200,000 personnes de l'un et de l'autre sexe, à qui le célibat 
est imposé par suite de leur état religieux! — Voilà 200,000 mariages 
qui n'ont pas lieu; la population frustrée d'au moins 400,000 enfants 
qui, 4 leur tour, se seraient mariés et multipliés (Célibat des prêtres, 
358.} — C'est ce qui a fait dire, plus de cinq cents ans après Clopinel, 
4 une autre personnalité célèbre comme poète et comme homme poli- 
tique, Lamartine : « L'état monacal a toujours profondément répu- 
^éà mon intelligence et à ma raison... Ce qui est contraire à la nature, 
4 la famille, à la société, ne peut jamais être une institution justiciable. » 
(Voy. en Orient, V-156. Célibat, 223.) 



— 441 — 

circuler une fausse décrctale attribuée à Boniface VIII, 
datée de Saint Pierre de Rome, i3 mai 1297, inventée sans 
doute à Paris, et habilement calquée sur les constitutions 
apostoliques, relevant le clergé du vœu de chasteté et lui 
permettant le mariage. « L'on y proclame que le pape dans 
la plénitude de son divin pouvoir, n'est point lié par les 
canons des conciles ni par les constitutions de ses prédéces- 
seurs ; et qu'il a le droit de décider adperpeîuam rei mémo- 
riam^ que le mariage ayant été institué de Dieu même dans 
le paradis et consacré par l'exemple des Apôtres, le pape, 
les cardinaux ainsi que toutes les personnes ecclésiastiques, 
séculières ou régulières, de Tun ou de l'autre sexe, peuvent 
se marier, et que leurs enfants, s'il ne leur a pas été laissé 
de patrimoine, seront nourris, ceux du pape et des cardi- 
naux, par le pape successeur, ceux des religieux et des 
religieuses, par leurs couvents, ceux des curés, par la pa- 
roisse. » (Hist. litt. de la Fr., 24-149, Boutaric) (i). 

Les lois judaïques méprisaient et condamnaient le célibat, 
et couvraient d'opprobre la femme stérile. Chez les Grecs, 
les célibataires étaient flétris et mis au ban de la société. 
Lycurgue fit des lois sévères contre ceux qui se mariaient 
tardivement, et Platon qui prêchait la communauté des 
femmes, voulait que les célibataires, âgés de plus de 85 ans 
fussent frappés d'une peine sévère et éloignés de tout emploi 
public. Les Romains leur refusaient le droit de tester et 
de porter témoignage. En Chine, des officiers rassem- 
blaient sur les places publiques des villes, à la lune, au 
milieu du printemps, tous les hommes, âgés de plus de 
3o ans, et toutes les femmes de 20 ans, qui n'étaient pas 



(i) Serait-il téméraire de croire que pour mettre fin aux nombreux 
abus commis par la Cour de Rome, Philippe IV, ait eu alors la pensée, 
partagée par son entourage, de faire une Eglise Gallicane, ne dépen- 
dant ni ne relevant d'aucune autre Eglise, môme de celle de Rome, 
libre de toute sujétion religieuse. La conduite tenue par lui et ses 
conseillers envers Boniface VIII, et la translation en France, à Avi- 
gnon, du Saint-Siège, où Clément V, fut entièrement sous la dépen- 
dance du roi, le donneraient à supposer. 



— 142 — 

encore mariés, et, de gré ou de forcc^ les unissaient séance 
tenante. 

Puis vint le Christianisme. Les ministres de cette nou- 
velle religion, issue du Judaïsme dont les prêtres et les 
lévites se mariaient, méconnaissant le précepte énoncé au 
28* verset du chapitre I*' de la Genèse, autorisent le célibat 
par leur discipline et leur exemple, imitant en cela les 
prêtres du paganisme chez qui la chasteté était rigoureuse- 
ment recommandée. 

Dans les premiers temps de l'Eglise, le mariage des 
évêques, des prêtres et des diacres était toléré, mais seule- 
ment contracté avec une seule femme. Cette coutume qui 
s'est conservée parmi les prêtres des Eglises grecque et 
russe fut, en Occident, constamment combattue par les 
papes et par les conciles. Les foudres de l'Eglise furent 
souvent lancées inutilement, pour forcer les ecclésiastiques 
à observer le célibat. Grégoire de Tours fait mention de 
plusieurs évêques qui étaient mariés. Au célèbre concile de 
Trente (1533- 1563) ouvert par Clément VII, qui était 
bâtard, puis continué par Paul III qui avait pour fils 
bâtard Pierre Famèse, duc de Parme, où on rappela et 
confirma les décisions et règlements rendus sur cette ques- 
tion de discipline, les ambassadeurs de France « deman- 
dèrent que si on n'accordait pas le mariage des prêtres, on 
ne conférât plus les ordres qu'à des hommes d'un âge mûr 
et de mœurs éprouvées. » Cette demande ne fut pas accueil- 
lie, comme bien l'on pense, « le mariage des prêtres effrayait 
la Cour de Rome plus que tout au monde : A la tête d'un 
clergé qui aurait femme, enfants et patrie, le pape serait 
réduit à être évêque de Rome. » Pie IV, par ces paroles 
montrait, dit H. Martin, nettement le fond des choses (1). 

(i*; Pareille demande fut faite au Concile de Vienne, en 131 1, où 
assistèrent plus de 300 prélats venus de tous les royaumes. On y traita 
de la réformation de TEglise et surtout des Templiers. — Plusieurs 
évéques apportèrent des mémoires pour cette réforme. On a celui de 
Tévéque de Mende, où il propose le mariage des prêtres, à l'exemple 
dû l'église grecque, comme un remède au scandale de l'incontinence 



— 143 - 

On confirma donc tous les règlements et décisions rendus 
à ce sujet, et on fit une défense générale de les enfreindre 
sous peine de déposition et de châtiments canoniques. 

— ^ Il fut également décidé en ce concile, c si quelqu'un 
dit que Tétat de mariage doit être préféré à celui de la vir- 
ginité et du célibat, et que ce n*est par quelque chose de 
meilleur et de plus heureux de demeurer dans la virginité 
et le célibat que de se marier, qu'il soit anathème! » (H. 
Martin, g-gS), excommunié, rejeté hors de Péglise. On se 
rangeait, par ces décisions, au sentiment de Tapôtre Saint 
Paul qui proclame que le célibat est un état bien au-dessus 
de celui du mariage; et ne permet ce dernier sacrement que 
■ comme un pis aller, disant quMl vaut mieux se marier que 
de brûler (H. Martin, 3-400). 

C'était aller contre ce que prescrit le Mosaïsme. C'était 
mettre la nouvelle loi en contradiction avec l'ancienne. 

c La conformation naturelle de notre corps nous com- 
mande le mariage, et le Créateur nous a dit : c Croissez et 
multipliez. » D'ailleurs, déclare Saint Clément d'Alexan- 
drie, n'est-ce pas la plus grande perfection dont l'homme 
soit capable que celle d'engendrer des êtres qui lui succéde- 
ront éternellement dans la série des âges î Le mariage est le 
germe de la famille, la pierre angulaire de l'édifice social, 
et nous devons /ows, comme chrétiens, en donner l'exemple 
en contractant des unions sacrées. » (Célibat. i8i.) 

D'après la marche des idées modernes, on peut, écrivent 
certains auteurs, prévoir sans trop s'aventurer, que le temps 
n'est pas éloigné, où le clergé catholique imitant l'exemple 
donné, il y a trois cents ans, par les Protestants, finira par 
forcer la Papauté à réformer la discipline sur ce point comme 
sur tant d^autres aussi importants, pour la mettre en har- 
monie avec la civilisation actuelle. 

Déjà, au XVII* siècle, Bossuet, qui ne fut pas étranger à la 

presque universelle du clergé (H. M. 4-495.) Cette «iemande fut re- 
^ poussée par Clément V, sans nul doute, pour les mêmes raisons que 

celles invoquées par Pie IV. 

: 



— 144 — 

révocation de TEditde Nantes, s'était occupé sérieusement 
de la réunion de l'Eglise protestante à l'Église romaine, 
c II n'était pas éloigné de consentir au mariage des prêtres^ 
ce qui eût amené, dit Chateaubriand, un changement obligé 
dans la confession auriculaire et la communion fréquente. » 
— Et bien plus, ajouterons-nous, dans la situation politique 
de la France; quelle serait actuellement cette situation si 
Henri IV, à la tête de son armée protestante, s'était em- 
paré de vive force de Paris, au lieu d'y entrer en adjurant, 
en faisant le saut périlleux y comme il l'écrivit à Gabrielle 
d'Estrées : Paris valant bien une messe? 

Ou si Napoléon I«», en arrivant au pouvoir, avait fait 
cette France protestante, d'après le courant des esprits qui 
était dirigé alors vers cette religion, au lieu, comme il le 
déclare dans le Mémorialj d'avoir préféré le catholicisme 
pour concilier les partis. — Qui sait, ce que serait aujour- 
d'hui la France, l'importance de son rôle politique dans le 
Concert européen, et même dans celui du monde ? » 



•^f^ 



s 



CHAPITRE VI 

§ IV. — La lioenoe de Clopinel dans les mots et dans les 
descriptions. 

S^en eut excuse. •— «laiitiacatioii du poète ft ce si^ct* — Sculptures, 
peintares» postures indécentes dans les églises, etc. — Le livre 
de la Tour Landrjry celai de TalUevant, etc« — Nos anciens con- 
teurs* — Fin des commentaires sur le Roman de la Rose, 



Nous en aurons fini avec le Roman de la Rose, après ces 
quelques pages sur le continuateur qu'on a, nous semble-t-il, 
accusé bien à la légère, d'immoralité et d'indécence dans 
ses mots et ses descriptions. 

: Prévenant la critique, Clopinel a, on s'en souvient, pris 

la parole surce point. Aay5ons'est excusée auprèsde Y Amant, 
de certaines expressions employées par elle ; puis le poète 
se mettant lui-même en scène, s'est disculpé de pareilles 
fautes et de ses attaques multiples contre les femmes et 
contre les moines. 

Nous avons lu avec quelque attention le Roman de la 
Rose; nous y avons trouvé, il est vrai, certains mots, cer- 
tains passages qui, aujourd'hui, offenseraient les oreilles 
prudes; mais semblables mots et passages se lisent fré- 
quemment dans les compositions historiques et littéraires 

.| du moyen-âge. Nos vieux fabliaux, le Roman du Renard, 
ceux de Lancelot, de Tristan, d'Aïol; la chanson d'Ari- 
tioche, Joinville et autres, dont la lecture charmait nos 
aïeux pendant les longues soirées d'hiver, peuvent être cités 
comme exemples, ainsi qu'un grand nombre de monuments 
religieux sur lesquels sont sculptés des moines, des nonnes, 
des démons dans des postures indécentes. « L'église s'effa- 

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4 

Touchait si peu de ces drames populaires quVUe en repro- 
duisait sur ses murailles les plus hardis. A Rouen, au por- 
tail septentrion de la cathédrale, un cochon )oue du violon; 
à Chartres, devant le contrefort du vieux clocher de la ca- 
thédrale^ c'est un ane; a Essonnes, un évéque tient une 
marotte. Ailleurs, ce sont les images des vices et des péchés 
sculptées dans la licence d^un pieux qrnisme. L'artiste n*a 
pas reculé 'devant Finceste de Lodi, ni les infamies de So- 
dome. Dans l'église de l'Épine, petit village près Châlons, 
il se trouve des scupltures très remarquables, mais aussi 
très obscènes... Saint-Bernard blâmait fortement toutes ces 
sculptures. » (Michelet, 1-394.) 

— Cest ainsi que littérateur, poète, graveur, peintre, 
sculpteur, chacun en sa partie, et tous à Tunisson, repro- 
. duisaient fidèlement les mc&urs de leurs temps (1). 

Les chroniques du xv siècle, nous apprennent que dans 
. les fêtes données par Philippe le Bon, duc de Bourgogne^ 
figurait aux festins, une statue de femme dont les mamelles 
fournissaient de Thypocras. Une autre d'enfant lequel j9t$5at/ 
de teccu de rose. — Le Roman de Tirant le blanc, repré- 
sente, dit Fauteur de la Vie privée des Français j dans une 
circonstance semblable, un pareil spectacle. Outre une statue 
de femme des mamelles de laquelle jaillissait une liqueur, 
il y en avait encore une de jeune fille faite d'or émaillé. Celle-ci 
était nue et tenait ses mains baissées et serrées contre son 
corps, comme pour s'en couvrir. De dessous ses mains 
sortait une fontaine de vin délicieux, qui était reçu dans un 
vase transparent. 

Cette licence des mœurs se voyait même jusque dans les 
repas où « on servait, dit Chateaubriand, des pâtisseries de 
formes obicènes qu'on appelait de leurs propres noms. Les 
ecclésiastiques, les femmes et les jeunes filles rendaient ces 



(i) < Que les saletés des Dieux, la Vénus, le Ganyméde, et les autres 
nudités du Carache aient été faites pour des princes de l'Eglise, et 
qui se disent successeurs des apôtres, le palais Famése en est la 
preuve. » (La Bruyère, 2.228.} 



- U7 -* 

grossièretés innocentes par une pudique ingénuité (i). On 
sait ce qu'était la chaire à cette époque (2), ce qu'étaient les 
fabliaux. Or, les femmes entendaient les sermons à l'église, 
les fabliaux dans leurs châteaux, dans leurs maisons où Ton 
faisait venir les jongleurs. Dans ces siècles, les femmes 
n'ignoraient à aucune époque de leur vie, ni la chose ni les 
mots, rhonnéteté était dans la conduite et non dans rem- 
ploi de l'expression. La langue était alors toute nue, les 
traductions de la Bible de ces temps sont aussi crues et plus 
indécentes que le texte. Le Livre du Chevalier de la Tour 
Landry pour l'enseignement à ses filles, composé en 1372, 
donne la mesure de la liberté des enseignements et des 
mots. » 

En résumé, on ne cherchait pas alors à faire des phrases 
inutiles, à tourner autour d'un mot plus ou moins grave- 
leux ; allant au plus court, et pour être compris de gens 
qui aimaient la note grivoise, on appelait chaque chose par 
le nom qui lui était propre ; ainsi que le prouvent encore 
les anciens Mystères, où les sujets les plus saints sont traités 
d'une manière toute profane, avec une crudité de mot exces- 
sive ; et le Livre des Proverbes^ la lecture de tous. — C'est 
ce goût de nos aïeux pour la gauloiserie qui nous valut de 
la part des nations voisines, le qualificatif de peuple léger ^ 
'peuple moqueur^ et qui a fait la réputation du Roman de la 
Rose y des Cent Nouvelles Nouvelles ^ de ïlleplaméron^ des 
Dames Galantes^ des Coîitcs de La Fontaine qui, comme on 

(i) « Quelques-uns de ces noms sales se trouvent dans Taille vant 
qui en parle sans aucun étonnement ; comme un autre parlerait d'une 
chose toute ordinaire; comme lui-même enfin il parle des rissoles ou 
des gauffres. Champier se récrit contre cette invention luxurieuse du 
vice : < Quœdam pudenda muliebria, alias virilia (si diis placet) repré- 
sentant sunt quos c... saccharatos appellitent. Adeo dégénéra vere 
boni mores ut etiam christianis obscœna et pudenda in cibis placeant. » 
. (Legrand d'Aussy. 2.269. — Chateaubriand.) 

(2) Boccace s'en autorise pour excuser la liberté de ses contes : 
€ Considérant, dit-il, que les sermons faits par les prédicateurs sont 
le plus souvent pleins de gausseries. de railleries et de brocards, j'ai 
cru que les mêmes choses ne seraient pas majséantes dans mes contes, 
que j'ai écrits pour chasser la mélancolie des dames. » 



— i4S — 

sait, furent écrits par le Bonhomme ^ à la demande de la 
duchesse de Bouillon, Marie-Anne Mancini, nièce de Maza- 
rin, dont la société se composait de ce que Paris comptai 
alors de plus illustre. 

La licence de Clopinel est, dirons-nous avec Nisard, c la 
raison en goguette, la raison ribaude comme l'appelle 
VAmani^ mais c'est toujours la raison. Au reste, il ne faut 
pas confondre ces égrillardises de la raison emportée hors 
des bornes par le désir d'accroître notre entendement, avec 
ces impuretés artificielles de l'imagination, qui souillent tant 
de livres médiocres et dégoûtants. Le libertinage de Jean 
de Meung est celui de Montaigne, de La Fontaine, de Mo. 
lière. Je ne nomme pas Rabelais, parce que le libertinage 
factice de l'imagination y est trop souvent mêlé à celui de 
la raison. Charron lui-même, le sage Charron en a des 
pointes ». 



CHAPITRE VII 

Glopinel tradolt Boëee* — Présente sm>b manuserii an roi. — 
Compose son Testament puis son CodielUe.— 11 y fait preuve de 
sentiments rollirioux« — Parle de lui» de sa Jonnosse* — Nouvelles 
critiques contre les moines* les femmes et le clersé« — Termine 
en Invoquant la Dame de Paradis. — Fût-il célibataire ou marié ? 
— Blanche de Blachault. — Pas trace de descendance* — llonrat 
en iSOSf ft Paris. — Enterré en rÉn^lise des Jacobins» rue 
Saint-Jacques. — Son épitaphe d'après Du Breull* — Histoire 
du coffre considérée comme fausse. — Aventure des dames de 
la Ckiur admise eomme vraie* 



Nous sommes en Tannée i3o3-4. Notre poète à qui le 
DtVwcTilmot/rs avait souhaité « qu'il puiz vivre longuement », 
est bien près de la fin de sa carrière. Après plusieurs années 
de travail, son œuvre capitale, celle qui lui vaudra une si 
grande renommée, prise et reprise souvent, est terminée. 
Entre temps et pour se délasser de cette longue composi- 
tion, et aussi, peut-être, pour se consoler des attaques de 
nombreux ennemis, il s'est complu à lire, puis à traduire, 
le livre De Consolatione philosophiœ de Boèce, ainsi qu'il 
l'avait déjà fait pressentir dans le Roman de la Rose : 

Qui Boêce de G>nfort, lisent 
Et les sentences qui là gisent 
Dont grant bien aux gens lays feront 
Qui bien le leur translateront. 

Cette traduction de l'œuvre du philosophe latin faite sur 
l'ordre de Philippe IV (i), est quasi son dernier ouvrage. 

(i) Clopinel continua le Roman de la Rose et traduisit Boêce, à la 
demande de Philippe IV, mais non Végèce et les lettres d'Abélard et 



- 150 — 

Pour manifester sa gratitude au souverain qui n*a cessé de 
lui témoigner une constante amitié et de le couvrir de sa 
royale protection il lui en fait hommage, comme le montre 
une miniature de l'époque : — Le roi vêtu d'une robe cou- 
leur d'azur avec collet et bordure en bas, d'hermines, est 
assis sur son trône surmonté d'un dais semé de fleur de lis. 
Il porte une couronne ornée de trèfles et tient de la main 
senestre un sceptre terminé par une fleur de lis ; d'un côté 
sont trois seigneurs ou officiers de sa couronne ; de l'autre 
deux massiers et un valet, vêtus de robes rouges, vertes, 
brunes ou d'azur ; tous ont des chaussures noires extrême- 
ment longues et pointues. Notre poète, chaussé de même, 
avec une robe d'azur entourée d'une ceinture rouge, et sur 
la tête une toque ou bonnet également rouge, est devant le 
roi un genou à terre, tenant en ses mains son manuscrità 
la couverture rouge, doré sur tranche, qu'il lui présente (i) 
en disant : 

c A ta royale majesté, très noble prince, par la grâce 
de Dieu roy de France, Philippe le quart, je Jehans de 
Meun, qui jadis ou Romant de la Roze, puis que Jalousie 
ot mis en prison Belacueil, enseignay la manière du chastel 
prendre et de la rose cueillir, et translatay de latin en fran- 
çoys le livre de Vegèce de Chevalerie, et le livre des Mer- 
veilles de Hirlande, et la vie et les Epistres de maistre 
Pierre Abelars et Heloys, sa femme, et le livre Aelred de 
Espirituel amistié, envoyé ore Boece de Consolacion, que 
je t'ay translaté de latin en françoys, jasoit ce que tu 
entendes bien latin ; mais toutesvoies est moult plus legier 

d'Héloïse, comme l'écrivent à tort Michelet, H. Martin et l'Histoire 
littéraire de la France (24-456.) 

(i) Cette miniature se voit au commencement d'un manuscrit de sa 
traduction de Boëce, avec la dédicace que nous rapportons. Elle est 
reproduite dans les Monuments de la Monarchie françoise^ de Mont- 
faucon (2-2I5, pi. XI), et dans l'Histoire de France, de Michelet 
(1-472). Clopinel paraît être âgé de 40 à 50 ans. C'est également cet 
Age qu'on peut. lui donner d'après une autre gravure d'un manuscrit 
du XV* siècle sur Boëce, qui figure dans le volume des Sciences, lettres 
et arts au moyen-âge, de P. Lacroix, (p. 49.) 



- 151 - 

à entendre le françoys que le latin. Et pour ce que tu me 
delSy lequel dit je tieng à commandement, que je preTsse 
plainement la sentence de Tauctcur sans trop ensuivre les 
paroUes du latin, je Tay fait à mon petit pouoir, si comme 
ta debonnaireté le commanda. Or pri-je à tous ceulx qui 
ce livre verront, se il leur en semble en aucuns lieus que je 
me soye trop eslongiez des parolles de Taucteur, ou que 
j*ay mis aucune fois plus de parolles que Taucteur n*y met, 
ou aucune fois moins, que il le me pardonnent, car se je 
eusse espont mot à mot le latin par le françoys, le livre 
en feust trop obscur aux gens lais, et les clercs nels lettrez 
ne peussent pas legierement entendre le latin par le fran- 
çoys. » 

Cette épître liminaire précède sa traduction de Boèce : 
il prend le surnom de Meung, du lieu de sa naissance et 
sous lequel il est généralement connu. — L'énumération 
qu'il y donne de ses différents ouvrages et où il place le 
Roman de la Rose^ en premier^ a fait dire aux biographes 
et commentateurs (MM. P. Paris, G. Paris, Croissandeau, 
Langlois...), qu'il était un des dus mentionnés par le poète 
dans son Codicille y et comme le début de sa vie littéraire. 

— Un dil se composait de quelques centaines de vers, 
et, très rarement, allait jusqu'à mille; — on ne peut donc 
admettre c/^mme tel le Roman de la Rose^ qui comprend 
plus de 22,000 vers! — De ce que dans cette dédicace ou 
épître, ce poème est désigné le premier des cinq ouvrages 
composés jadis par Clopinel, il ne faut pas, ipso facto^ en 
conclure que c'est par lui qu'il débuta. L'adverbe jadis 
(Jam^ déjà; diu^ longtemps), — assez élastique dans son 
sens propre, puisqu'il exprime un temps passé non déter- 
miné : autrefois, longtemps, dernièrement, — employé par 
le poète, s'applique aux ouvrages publiés par lui, ancienne- 
ment et récemment : Végèce, Merveilles, Abélard, Aelred 
et le Roman de la Rose, où il a mis toute sa science, toute 
son intelligence. — Et si ce dernier ouvrage, production de 
l'âge mûr, et non de jeunesse, terminé il n'y a pas long- 
temps, est désigné par lui le premier, c'est qu'il le considère 



— 152 — 

comme étant le plus important de ceux qu'il a compo- 
sés ; puis suit Végèce, autre œuvre sérieuse, etc., et ore, 
maintenant, sa traduction de Boèce, qu'il vient de finir. 

Du reste, nos commentaires prouvent que la continua- 
tion du Roman de la Rose^ doit, contrairement à la dédi- 
cace, être placée dernière^ avant Boèce, étant une sorte 
de chronique rimée des principaux faits du règne de 
Philippe IV; elle n'est plus alors diffuse, ni décousue, 
ennuyeuse ou insipide, conime l'ont écrit Renan, Daunou, 
Michelet, P. Paris, Langlois, mais a la valeur d'une œuvre 
historique. 

On a voulu encore arguer de cette même dédicace, pour 
dire que le poète s'y dénommant Jean de Mcung^ c'était 
bien ainsi qu'il s'appelait, et par conséquent, se rattachait 
aux Seigneurs de Meung-Chéré. 

Le poète a, en cela, imité les savants de cette époque : 
Chrétien de Beauvais, Nicolas de Bar-sur-Aube, Guillaume 
de Saint-Amour, Odon de Douai, Jean de Paris, joignant 
au prénom, le nom du lieu de naissance: — Et puis faut-il 
le dire, le nom de Clopînel, en ce temps-là comme aujour- 
d'hui, n'a rien de bien harmonieux, c'est même le contraire 
qui a lieu, puisqu'il rappelle une infirmité, non du poète, 
qui était sans deffault de membre^ mais de son père ou de 
quelqu'un des'siens. S'il a été employé par Jean, ce n'est que 
dans le Roman ; t Puis viendra Jean Clopinel, qui naistra 
sur Laire, à Meun. » — Unique mention de ce nom de 
Clopinel qu'on ne rencontre plus dans ses ouvrages. C'est 
donc ici, une véritable prise de possession ; cela ne peut 
faire l'ombre d'un doute. Si le Roman^ son œuvre capitale, 
donne une seule fois, maistre Jehan de Meung^d est dans les 
six vers qui annoncent Tendroit où il continua l'œuvre de 
G. de Lorris. Ces six vers, sorte de titre de chapitre, 
n'existent pas dans les manuscrits des xiii''-xiv« siècle ; — 
ils ont été composés et ajoutés par les copistes. Néanmoins, 
le poète adopta cette appellation : maistre Jehan de Meun, 
qui se lit dans sa traduction de Végèce, son Testament, son 
Codicille, ainsi que dans des rôles de taille de 1296, i3i3 



— 1S3 — 

et dans la donation de i3o5; elle fut reproduite par les 
copistes qui se conformèrent à l'usage alors reçu de joindre 
au prénom, le nom du pays d'origine. 

Cela dit, revenons à la dédicace. En voyant le poète 
y énumérer avec tant de soin tout ce qu'il a composé, ne 
dirait-on pas qu'il pressentait sa fin prochaine, et qu'il 
ne lui restait que peu de temps à passer sur cette terre. 
La traduction de l'œuvre du philosophe latin qu'il venait 
de terminer le disposait, au reste, pour ce moment suprême ; 
elle explique d'abord son Testament^ composition dévote 
de 1708 vers en quatrains monorimes, où l'auteur débute 
par une invocation à la Sainte-Trinité; parle, d'après les 
Ecritures, des Apôtres S. S. Jean, Mathieu et Paul, de J. C, 
de la Vierge-Marie, du péché originel que nous léguèrent 
Adam et Eve, et dontnousdélivra Jésus en mourantpour nous 
sur la croix; de la Passion et de la Résurrection de N.-S. ;'de 
Magdeleine la pécheresse à qui Jésus pardonna, du Saint- 
Esprit descendant sur les Apôtres qui, après, vont prêchant 
par le monde la loi de Jésus; puis de la mort qui prend les 
jeunes et les vieux, les riches et les pauvres et dont nul ne 
sait l'heure ; du Jugement dernier où Dieu dans toute sa 
splendeur jugera les hommes selon leurs œuvres; des trois 
vertus, amour, espérance et foi (i). Enfin à VÉpUaphe des 
Trespassez^ le poète recommande à ceux qui possèdent de 
donner largement aux pauvres, pour obtenir le pardon 
de Dieu qui sera sans miséricorde pour les mauvais riches. 

Et une autre composition sous le titre de Codicille (2), 
également empreinte d'un grand sentiment religieux. 

— C'est bien là le dernier acte d'un homme qui, déjà âgé, 

(i) V. les chap. CVII et suiv., foi, charité et espérance du Trésor 
de Latini. 

(2) « C'est J. de Meung qui, le premier, croyons-nous, dit Aubertin, 
fit usage de cette forme de poésie, que plus tard Villon a rendu célè- 
bre : Le Legs ou le Testament satirique. » — Rutebœuf avait déjà 
employé ce genre de poésie, en composant le Testament de TAne. 
Deschamps, le seigneur de Guerchy, firent des pièces du même genre. 
Le Testament de pathelin^ composé vers 1480-90, est une imitation 4c 
celui de . Villon. 



— i54 — 

sent venir la mort. Aussi fait-il . amende honorable de 
maints diiSj qu'il composa par vanité en sa jeunesse, pour 
le déiict des gens amoureux et folâtres. Il prie Dieu de lui 
laisser le temps nécessaire pour faire encore un dit^ mais 
celui-ci par vraye charité et pour excuser ceux composés 
jadis par vanité et qui peu, cependant, lui profitèrent. 

Le Codicille de maistre Jehan de Meun, de 2120 vers en 
couplets monorimes, débute ainsi : 

Ly père et ly dix et ly Saînctz Esperis, 
Ung Dieu en troys^ personnes aouré et cheriz, 
Tienne les bons en sa grAce et secours les perilz, 
Et doint que cil traictié soit moult à maint meris I 

J'ay £ait en ma jeunesse maint dit par vanité, 
Où maintes gens se sont mainteffoys délité (i) ; 
Or m'en doint Dieu faire ung par vraye charité 
Pour amender les autres, qui pou m'ont prouffité. 

Bien doit estre excusé jeune cueur en sa jeunesse, 
Quant luy donne grâce d'estre meur en vieillesse, 
Mais moult est grant vertu et très haulte noblesse. 
Quant cueur à jeune ÂÂge 4 meureté s'adresse (a). 

Mais ly myen et ly autre sont de si grant durté, 
Qu'en nul estât ne veulent venir à meureté ; 
Ains se sont 4 jeunesse si joinctz et ahurté, 
Com se de tousiours vivre ilz eussent seureté [3). 

Mais il est autrement ; car nous sommes asseur 

De mourir; mais du terme, moy ne d'aultre n'est seur; 



(i) Dits et chansons d'Amour, v. p. 12-13, ^^ "O'^ ^^ Roman de la 
Rose. 

(3) Vers reproduits par Villon qui, par erreur, dit les tirer du Roman 
de la Rose, — J. Bodel dans Lijus Saînt-Nieolas, fait ainsi parler un 
jeune noble : « Seigneur, se je sui jones, n^ m'aiez en despit; on a 
veu souvent grant cuer en cors petit. > Sauf l'expression, c'est bien la 
pensée que le grand tragique français a rendu si populaire : c Je suis 
jeune, il est vrai, mais aux âmes bien nées. — La valeur n'attend pas 
le nombre des années. > 

(3) E. Deschamps, s'est inspiré de ces verj pour son rondeau : Par- 
tage de la vie humaine. 



"■«^^ 



— i55 — 

Plut tost meurent \y jeune souvent que ly vieur; 
Je ne tcay bien ou mal ou encontre bon eur. 

Mort est 4 tous commune, mort est 4 tous bannière, 
Mais nulz n*en peut sçavoir l'heure ne la manière (i); 
Si prie Dieu et celle que mon cueur a tant chiere, 
Qu'il vueille recevoir en gré ceste matière. 

Dans ce dii dévot que nous abrégerons, tout en citant les 
passages qui renseignent sur le poète, celui-ci recommande 
d*aimer son prochain, de fuir les péchés qui déplaisent, à 
Dieu ; de penser à Tàme qui est immortelle et si belle chose, 
et non au corps qui devient charogne et pourriture ; de 
mépriser les richesses et surtout de ne pas en posséder injus- 
tement afin de mériter le paradis et d'éviter l'enfer. — 
Hélas ! dit le poète : 

Hélas ! quant je regard mon estât primericn, 
Com Dieu me fist homme quant je n'estoye rien. 
Et de tant vil matire et de tant vil mesrien, 
Bien devroye amer Dieu au moins au derrien. 

Encor le doy*je plus amer quant il me membre 
Qu'il me fîst chrestien, et qu'il me daigna reimbre, 
Qu'il me fîst quant au corps sans deffault de membre (a), 
Ne le doy oublier n'en aoust n'en septembre. 



(i) Cette pensée de l'heure incertaine de la mort se lit fréquemment 
dans nos anciens auteurs. — Rutebeuf : Complainte d'outre-mer : 

La riens qui plus certainne soit, 
Si est que mors nus corra seure : 
La moins certaine si est l'eure. 

Rabelais a dit : c Oncq'home n*eut les Dieux tant bien à maîn, 
qu'asseure peust de vivre au lendemain. > — Montaigne : c La chose 
la plus certaine c'est de mourir, la plus incertaine c'est l'heure. » — 
La Bruyère : c Qui a vécu un seul jour a vécu un siècle : môme soleil, 
même terre, môme monde, mômes sensations. Rien ne ressemble 
mieux à aujourd'hui que demain : il y aurait quelque curiosité à mou- 
rir, c'est-à-dire à n'être plus un corps, mais à être... esprit. L'homme 
cependant impatient de la nouveauté, n'est point curieux sur ce seul 
article, né inquiet et qui s'ennuie de tout, il ne s'ennuie point de vivre : 
il consentirait peut-être à vivre toujours. » 

(2) V. p. 7, où ce vers est cité. 



— 156 — 

Dieu m'a fait mainte grâce en bien coqioffeInKnIy 
Encor m*a-il plus fait spirituellenieni; 
Si m'a tousîoan esté large temporebBeat, 
Parquoy je le devroye amer trop lie n a cmcnr . 

Dieu m'a par mains perilz condnjt sans nescbeance. 
Dieu a donné aux miens honneor et cbevisBnce, 
Dieu m'a donné servir les plus grans gens de France, 
Dieu m'a traict sans reprooche de jeimege et d'enlance (i). 



En énumérant tous ces biens, qui lui viennent de Dieu, 
notre poète moribond est cependant effrayé, car qui plus 
tient de Dieu^ plus a à rendre compte. Il est vrai, dit-il, que 
Dieu est miséricordieux, mais néanmoins, il convient de 
faire bonne et sincère pénitence. 

Clopinel revenant à son caractère frondeur, reprend, ici, 
les critiques du Jaloux contre les femmes, qui sont si di- 
verses que bien fol est qui s'y fie (2) ; et, en passant, lâche 
quelques lardons contre le sexe barbu. — Puis, il revient 
aux critiques de F aulx-semblant contre les moines et le 
clergé ; attaque les clercs ignorants et sans lettres qui, par 
Symxmnye entrent enprelacion (3), et les prélats qui usent 
de grant seigneurie et ne regardent point les pauvres 
gens (4). 

— Maintenant, s'écrie-t-il, peu y a nulz moynes^ prieurs^ 



(x) V. p. 12. Le 2* vers doit se lire : < Dieu m'a donné au mieux 
lionneur et grant chevance >, leçon plus exacte. 

(2) V. p. 75, note 2. 

(3) Une enquête de 1296, reproche aux prélats de donner la tonsure 
^ des hommes illettrés ou wuiriis, à des enfants intelleetu carentes, etc. 
(Bôutaric, 76.] 

(4) Nous pourrions £acilement produire des faits de l'époque, bor- 
xions-nous, pour justifier le poète, de l'exemple suivant pris dans le 
J£fmorial : < Napoléon raconte que l'abbé Sieyés, aumônier des princes 
«i'Orléans leur disant un jour la roes»e, quelque chose d'imprévu les 
fit sortir successivement durant l'office. L'abbé se retournant et n'aper- 
cevant plus que les valets, ferma le livre et sorUt aussi, disant qii'il 
s'était pas payé pour dire la messe A la canaille » (p. 322). 



- i67 — 

abbez ou evesgues qu'ils ne soient vicieux (i). Les religieux, 
au lieu de se tenir dans leur couvent^ aiment mieux mener 
une vie mondaine, ils ne recherchent que l'argent, les hon- 
neurs et les jouissances de ce monde ; ils confessent les rois, 
les princes et les puissants, car le pape leur a accordé un 
grand pouvoir spirituel, et ce, au grand mécontentement 
des prélats qui les jalousent. Ces moines qui n'ont cure des 
povres^ intriguent de tous les côtés ; à leurs pénitents sou- 
vent enrichis par Tusure ou par le vol, ils font faire des tes- 
taments en leur faveur, leur promettant qu'ils diront pour 
eux un grand nombre de messes et qu'ils auront leur sépul- 
ture dans leurs cloisires ou églises^ où nevontpaslespavres: 

Sépultures pavent leur cloistre et leur église 
De mainte belle tombe polie, blanche et bise, 
Fort et dure et espèce, qui ne se casse ne brise ; 
Mais je voy pou de povres, tant soit bon, qui y gise. 
Les riches sont dedans, et les povres 4 la pluje (2). 

Ces moines prennent toujours la plus belle part dans ces 
testaments rédigés et souvent fabriqués par eux, et envoyent 
l'âme du trépassé tout droit en paradis, c car nul n'est 
plus expert qu'eux en semblable affaire (3). » 

(i) Rutebeuf parle comme suit du clergé, dans V Estai du mondé : 

Chascun pèche du cors, et de Tâme n'a cure... 
De Rome vient li max qui les vertus asome... 
Symonie, avarice et tox maux abonde... 
Quel gent a Diex laissés por garder sa maison. 
Mêmes critiques dans Adam le Bossu, Etienne de Meaux, le roi de 
Cambrai, etc. 

(2) € Les nobles possédaient seuls le droit d'avoir dans les églises ou 
chapelles, des bancs ou places d'honneur, et d'y ériger des monuments 
funéraires » (P. Lacroix, Mœurs et usages). — Les povres, comme 
nous l'apprend notre poète, étaient dehors, â la pluye, 

(3) Dans les Plaies du Monde, Rutebeuf critique ceux qui donnent, 
en mourant, leurs biens aux ordres religieux. Or, par eux, dit-il, « Or, 
est cil, sauvés et assous >. •— « On sait à quel point le clergé poussa 
les abus et la captation à l'égard des testaments : il fallait en mourant 
laisser quelque chose à l'Eglise, même un dixième de sa fortune, sous 
peine de damnation et de non inhumation : une pauvre femme offrit 
un petit chat pour racheter son âme. » (Chateaubriand, 109. — V. 
Grégoire de Tours. Sauvai, Bodin, etc.). 



- i58 — 

Ici critique de la femme devenue veuve. Le poète a fait là 
un petit tableau de mœurs de l'époque qui mérite d'être 
reproduit. 

— Aux obsèques de son époux, la veuve mande ses 
parents et ses voisins, et, selon la coutume, et pour faire 
taire la médisance, porte elle-même, pour être offerts à 
Tautel, l'argent, la chandelle, et par une vieille truande^ 
mendiante (sorte de pleureuse) (i), le pain et le vin. A l'of- 
frande, la veuve : 

Lors offre pain et vin couvert d*ung pou de toille, 
Et ung denier fîchié dedans une chandoille ; 
Puis estend son mantel tout ainsy comme un voille, 
Tu qui n'as ce veu, va à Paris; or voy-le (2). 

Son chagrin, — si chagrin il y a — ne l'empêche pas tou- 
tefois de prendre un soin tout particulier de sa toilette; 
elle a un fort pelisson qu'elle porte gentiment; une élégante 
chaiissure; les gorgeons transparents laissant voir son cou; 
puis un chapel ou touelle orné de deux longues cornes et où 
entre une grande quantité d'épingles pour consolider ce 
grand harribourras (3). 

(i) Dès l'antiquité la plus reculée, on employait des femmes, comme 
pleureuses, pour les enterrements; et plus elles étaient payées, plus 
elles versaient des larmes et poussaient des gémissements. Cette cou- 
tume qui existe encore en Orient parmi les Arabes, les Fellahs, les 
Egyptiens, les Grecs, s'est conservé en France jusqu'à la fin du siècle 
dernier. Alors les pleureuses furent remplacées dans ces cérémonies, 
par des employés des pompes funèbres qui, coiffés d'un chapeau à 
claque, habit à queUe avec un petit manteau noir auquel sont atta- 
chées, aux épaules, deux bandes en tulle noir, conduisent le deuil, 
placés en tète de la famille. 

(2) On lit dans Joinville que pour les obsèques du comte de Brienne, 
à Acre, < la dame de Soiete fîst faire le servise en tel manière, que 
chascuns chevaliers offrit un cierge et un denier d'argent, et li rois offri 
un cierge et un besant d'or, tout des deniers ma dame de Soiete. > 
Le pain et le vin en souvenir du divin sacrifice, la chandelle ou cierge, 
le passage à une meilleure vie ; et le denier ou besant rappelle la pièce 
de monnaie qui était donnée à Caron, pour le passage des âmes, dans 
sa barque, sur le Styx ou l'Achéron. — Cts offrandes de pain et de 
vin, d'argent et de cierge se pratiquent encore de nos jours dans la 
religion chrétienne, lors des obsèques d'un homme ou d'une femme. 

(3) Nous n'avons trouvé ce mot que dansClopinel et E. Deschamps; 
il signifie fatras, amas confus de choses. 



— D'autres, se coulonrent pour avoir visaiges luysans^ 
font les savoureuses par leur parler et leurs regards. Bref, 
on ne sait si des morts, elles ont deuil ou joie.* — Je ne dis 
pas cela, observe Jean Clopinel, par colère, mais parce que 
la chose se voit communément. 

Comme on ne sait pas, continue-t-il à dire, si l'âme du 
trépassé est en purgatoire ou en enfer, il est bon, cependant, 
pour le repos du défunt, de faire une prière douce et humble 
qui va à Dieu plus tôt que vent ne vole» 

— Il décrit ensuite les sept péchés capitaux qui sont mor- 
tels vices : orgueil, colère, avarice, envie, paresse, gour- 
mandise, et luxure, qui est contre Dieu, contre mariage et 
contre chasteté et qui trop espraint les femmes^ lesquels 
vices peuvent nous perdre si Dieu ne vient à notre aide. — 
Que celui qui est vertueux se maintienne dans cet état, et 
qui ne Test pas cherche à le devenir par la prière et les 
bonnes œuvres (i), qui sont les deux portes du Paradis où 
est Dieu dans toute sa gloire. Puis vient une description de 
l'enfer où : 

Tourmens y a pour papes, pour roys, pour chevaliers, 
Pour faulx clercs, pour faulx lays et pour faulx rég'uliers, 
Pour les religieux et pour faulx séculiers; 
Tourmens y a communs, propres et singuliers (2). 

Clopinel termine par une invocation à la Vierge Marie, 
dame de Paradis^ trésorière de grâce, et la prie de lui venir 
en aide au moment solennel : 

(i) Ceci nous remet en mémoire, la réponse que Jeanne d'Arc fit à 
ses juges, lui demandant si elle savait être en la grâce de Dieu? — 
« Si je n'y suis pas, Dieu m'y mette; et si j'y suis. Dieu m'y tienne! » 

(2) Dans l'histoire de Saint Pierre et du Jongleur^ on voit les diables 
aller sur la terre et arriver en enfer : « Ly uns aporte champions, 
l'autre prestres, l'autre larrons, moines, evesques et abez, et chevaliers 
et genz assez ». — Clopinel a été imité par Rabelais qui, au liv. II, 
ch. xxx.de Pantagruel, décrit l'enfer où sont empereurs, rois et papes, 
avec leurs occupations. — Et par Voltaire, montrant le sombre em- 
pire de Satan, peuplé de papes, de cardinaux, prédicateurs et confes- 
seurs de rois, nonnes, saints et saintes qui parent la légende dorée et 
fêtés sur la terre, sont dévolus à tout jamais, aux brasiers éternels, 
(La Pucelle, V.) 



— 460 — 

Cy fîniraj mon dit au nom de Jesu Christ; 
Et chascun qui l'orra mercie en Jesu Christ, 
Et luy prie humblement que nous soyons escript 
Au saint livre de vie que cil mesme a escript. 

Malgré toutes ces démonstrations de piété, Clopinel n'était 
pas, au fond, si religieux qu'il semblerait vouloir le faire 
croire, ainsi que, du reste, le donnent à penser maints pas- 
sages du Roman de la Rose^ notamment celui ou il décrit le 
Paradis réservé à ceux qui mettent en pratique les lois de 
Nature^ qui sent fort son orientalisme. 

Bien fait de corps^ à la figure agréable et avec Tesprit 
dont il fait preuve, notre poète, quoiqu'il ait écrit que 
l'homme n'est pas fait pour le célibat, vécut peut-être en 
épicurien, se livrant aux amours volages; et au mariage 
qu'il considérait comme mauvais lien^ préféra, à l'exemple 
d'Héloïse, l'amour libre, où la femme et l'homme se don- 
nent volontairement l'un à l'autre; — c'est ce qu'ensei- 
gnaient les cours d'amour; et c'est ce qu'il préconise lui- 
même, dans ces vers : 



Chascune pour chascun commune*, 
Chascun commun pour chascune. 



Mais alors, il aurait été en complète contradiction avec 
les préceptes de Naiureetde Genius qui demandent, exigent 
même, — d'après lui, sous peine d'anathème, — l'union 
légitime de l'homme et de la femme pour la procréation de 
leur espèce. — A moins qu'on ne veuille regarder ses cri- 
tiques multiples contre les femmes qu'il malmène, du reste-, 
d'une si rude façon, au point de les traiter toutes d'un nom 
infâme, comme étant la conséquence d't/ne union malheu- 
relise j ainsi que furent celles de Rutebeuf, du Bossu d'Ârras, 
ses contemporains, et de tant d'autres ; ce qui expliquerait 
alors pourquoi il traite le mariage de mauvais lien. 

Nous sommes tout disposé à admettre cette dernière 
hypothèse, d'après un document de la fin du xin« siècle. 



- m — 

dans lequel on lit : c En 1290, Marie de Machault, femme 
c de Nicolas de Chanoise, sa sœur Blanche^ femme de Jean 
€ de Meun, escuyer^ une autre Marie de Machault, femme 
€, de Nicolas de Villcbourdin, vendent à l'abbaye de Saint- 
t Magloire quelques rentes que leur devaient leurs frères 
Jean et Robert sur le domaine de Machault. » (Poésies de 
G. de Machault, par Tarbé.) 

Cette Blanche de Machault^ femme de Jean de Meun^ 
escuyer^ était parente, probablement tante de Guillaume de 
Machault, le poète, imitateur de Jean Clopinel, dit de 
Meung, c li bons maistres, dit-il, qui parfist la fin du Roman 
de la Rose. » 

Rien ne s'oppose à ce que Clopinel ait eu la qualité 
ài'écuyer^ lorsqu'on sait qu'il fut le poète favori de Phi- 
lippe IV; et que ce roi donna', dit Boutaric, la noblesse à 
tout son entourage roturier. 

Ce qui viendrait encore fortifier cette hypothèse, c'est que 
la généalogie des barons de Meung-Chéré dressée par Hubert 
qui, à tort, y rattache notre poète, ne fait nulle mention 
d'alliance de cette famille seigneuriale, une des premières 
de l'Orléanais, avec celle de Machault. Tout porte donc à 
croire que c'est le continuateur du Roman de la RosCy Jean 
Clopinel, de chetifs venu^ dit de Meung^ du lieu de sa nais- 
sance, qui est mentionné dans Tacte de 1290. 

On ignore s'il eut ou non une postérité : on ne trouve rien à 
ce sujet dans ses œuvres; et il est inexact de dire avec quel- 
ques auteurs, que Simon de Phares, célèbre astrologue sous 
Charles VIII, descendait du continuateur du Roman de la 
Rose. Simon appelle son consanguin, un Maistre Jehan de 
Meun, dont les conseils aidèrent, selon lui, Charles V, à 
amasser « dix-huit millions d'or, qui estoît belle chose, par 
la puissance et vertu de la pierre des philosophes. » (Hist. 
litt. de la Fr., 24.486.) C'est à ce Jehan de Meun, astro- 
logue, — (différent du poète, dit Victor Leclerc), — qu'il faut, 
sans doute, attribuer le Myroir d'Alchymie, les RemonS" 
trances de Nature à talchymxste errant ^ le Plaisant jeu de 

XX 



— 162 — 

Dodcchedron de Fortune, longtemps mis sur le compte de 
notre poète (i). 

Jean Clopinel mourut peu de temps après, en i3o5, dans 
la maison dite : « Ostel de la Tomelle », à Paris, hors 
ville, où il « souloit demourer ». Cette même annëe^ maître 
Adam d*Andely, en fit donation aux Dominicains de la rue 
Saint- Jacques, en déclarant qu'il la leur avait donnée « de 
grant piéça », depuis fort longtemps (2). — Il fut inhumé 



(i) D*après le proverbe : € On ne prête qu'aux riches »; on a, avec 
aussi peu de fondement, attribué à Clopinel, d'autres ouvrages : La 
Destruction de Troie la Grande, les Sept articles de la Foi et Pro- 
verbes dorés, Status mundi sive doctrinx gentium, et une traduction 
du Regimine principum, de Saint Thomas. (Fauchet, du Verdier, La 
Croix du Maine.) 

(2) Cette donation classée S. 4239, Section domaniale, aux Ar* 
chives Nat., a été publiée par M. J. Quicherat, dans le tome XLl de 
la bibliothèque de TEcole des Chartes. En voici le texte : € A touz 
ceus qui ces présentes lettres verront, Pierres de Dicy, garde de la 

prevosté de Paris, salut. Nous faisons assavoir que sage homme et 

discret maistre Adam d*Andeli, clerc, demourant à présent en la rue 
dehors la porte Saint-Jaques des Bons-hommes, si comme l'en va à 
Nostre Dame des Champs, de sa bonne voienté... donna... et quicta 
expressément... et confessa avoir donné... par donacion fête entre vis, 
en non de pur et perpétuel don, et de grant pieça avoit donné devant, 
si comme il afferma... à religieus hommes et honestes, au prieur et au 
convent de l'ordre des frères Preescheeurs de Paris, à leurs succes- 
seurs et à ceus qui cause auront de eus, pour Dieu et en non de pure 
et perpétuele aumosne et ou remède de l'âme de lui et pour estre 
aqueilliz es prières ou service et es biens desdiz religieus dès ores en 
avant, tout le droit, la seignourie, propriété... que il avoit... en la 
maison où feu maistre Jehan de Meun souloit demourer, si comme 
elle se comporte de toutes pars en toutes ses appartenances et appen- 
dances... tenanz d'une part au manoir dudit maistre Adam, et d'autre 
part au cloz le roy, qui est à présent maistre Guillaume de Evreus, en 
la seignourie nostre seigneur le roy, sauf et retenu oudit maistre Adam 
Tuffruict d'icelle meson et de ses appartenances, le cours de sa vie 
tant seulement... En tesmoing de ce, nous... avons mis en ces pré- 
sentes lettres le seel de la prevosté de Paris, l'an de grâce mil trois cenz 
et cinc, le samedi prochain devant la feste Saint- Martin d'iver. Sous- 
crit : Estienne de Mantes ». 

Dans un acte de 1499, les Jacobins louant l'ancien hôtel de Clopinel 
disent : € lequel ostel et ses appartenances le dit feu maistre Jehan de 
Meung, avoit, de grant long temps, donné par son testament ou ordon- 
nance de dernière voulenté au convent des dictz frères Prescheurs ». 



— 163 — 

en réglise du couvent des Jacobins, rue Saint-Jacques, à 
Paris. Du Breuil dans ses Antiquitez de Pam (1612), dit 
page 5o6, avoir veu dans ceste église plusieurs sépultures^ 
celle de Humbert, Dauphin de Vienne, Louis de France, 
comte d'Évreux, frère de Philippe IV, la reine Clémence 
de Hongrie, Robert de Clermont, fils de Saint-Louis, etc. 
<c et de Jean de Meun, docte personnage du temps du roy 
Louys Hutin, auteur du livre intitulé le Bornant de la Rojxej 
Tune des premières poésies françoises. » — « Presque tous 
les susdits, ajoute cet historien, ont des tombeaux élevez 
au-dessus desquels sont leurs statues : mais on ne les a point 
encore fait portraire et graver » (p. Sog). 

Du Breuil qui donne « les noms et qualitez des per- 
sonnes de marque inhumez en ceste église et les jours de 
leurs décès extraits de leurs épitaphes », a omis de nous 
faire connaître l'inscription qui devait figurer sur la pierre 

D'après la donation, la maison où Ciopinel avait demeuré, apparte- 
nait bien à Adam d'Andely, et il en fait don, sous réserve d'usufruit 
pendant son vivant, aux frères prêcheurs, à charge par eux et leurs 
successeurs de dire des prières pour le repos de son âme, mais nulle 
mention de l'âme de Ciopinel ; — Et d'après l'acte de 1499» cette même 
maison est désignée comme ayant été la propriété de ce dernier. Pour 
Quicherat et P. Paris, la contradiction qui résulte de ces documents, 
n'est qu'apparente ; ils veulent voir dans la donation d'Adam, l'exécu* 
tion d'un fîdéi-commis qu'il avait accepté de l'auteur du Roman de la 
Rose, Cette explication peut être donnée, mais nous avouons qu'elle ne 
nous satisfait pas entièrement. 

Comme complément à la note de la page 20, nous dirons que la mai- 
son de Ciopinel fut détruite pendant les guerres de la Ligue, vers 1590. 
Une masure s'éleva à la place et les eaux et immondices d'un des égouts 
du faubourg Saint-Jacques, furent dirigées à travers le terrain sur le- 
quel, dit Quicherat, on rebâtit, sous Louis XIII, en façade de onze 
toises sur la rue Saint-Jacques, deux maisons dont la plus considérable 
fut désignée maison dts Tournelles, Son emplacement est aujourd'hui 
occupé par la maison n<> 218 de la rue Saint-Jacques. 

Dans sa séance du 28 avril 1882, le Comité des Inscriptions Pari- 
siennes, adopta l'inscription suivante incrustée sur une plaque de mar* 
bre blanc (0,86 X 0,50) apposée à l'immeuble n^ 218 : € Ici était la 
maison où Jehan de Meung composa le Roman de la Rose, 1270 («te)- 
1305. > — Cette maison n'existera bientôt plus, lit-on dans le journal 
du 6 novembre 1900, car elle est comprise parmi celles devant être 
démolies pour l'élargissement de la rue Saint-Jacques. 



— 164 — 

tombale du poète Orléanais. Il commet une erreur, du 
reste, peu importante, en disant que Clopinel vivait sous 
Louis X, fils de Philippe IV. Mais son témoignage est pré- 
cieux en ce qu'il constate d'une façon positive, avoir vu 
dans Téglise des Jacobins, vers 1600, ladite pierre tom- 
bale. La phrase '.presque tous les susdits... parmi lesquels 
il cité le poète, ne peut laisser l'ombre d'un doute sur ce 
point. Il a bien vu dans la dite église la sépulture du conti- 
nuateur du Roman de la Rose. 

Il fut en cela plus heureux que Fauchet déclarant : « Il 
y a XXV ans passez (en i556) que voulant escrire la vie de 
ce poète, j'allay au monastère des Jacobins, où je ne peu 
trouver aucune marque de sa sépulture, pour ce qu'on 
rebâtissait le cloistre. » — Il ne pouvait guère en être autre- 
ment pour Fauchet, qui cherchait inutilement dans le cloître 
une sépulture que l'historien de Paris dit être placée dans 
l'église même de ce couvent. — Le dire si peu affirmatif de 
Fauchet fut néanmoins reproduit par Corrozet et Sauvai, 
mentionnant dans leurs Antiquitez de Paris (i56i-i586- 
1724), que Jehan de Meun : « gist au cloistre du couvent 
des frères prescheurs. » — Et encore par Millin, dans ses 
Monuments français : « On ne sait pas précisément si Jean 
de-Meung fut inhumé dans le cloître ou dans l'église ; mais 
d'après ce qu'écrit Fauchet, il paraît que sa tombe se perdit 
lors de la reconstruction du cloître ; on croit qu'il y était 
inhumé... mais aucun monument, aucune inscription ne 
retrace le lieu précis de sa sépukure ». 

A défaut de monument ou d'inscription, on a le texte de 
Du Breuil, qui renseigne sur ce point. 



Ici vient se placer l'historiette du coffre légué par Clopi- 
nel aux mêmes Jacobins. Voici comment la raconte notre 
vieux Fauchet. 

« Il se trouve en la chronique d'Aquitaine, un trait de risée 
bue le bon maistre Jehan de Meung, fit aux frères prescheurs 



— 165 — 

ou Jacobins de Paris, mesmes en son testament, par lequel 
ayant ordonné estre enterré en leur église, il leur laissa un 
coffre avec tout ce qui estoit dedans ; commandant ne 
l'ouvrir qu'il ne fust mis en terre. Maistre Jehan trespassé 
et son service mortuaire fait, suivant ce qu'il avait ordonné, 
les frères viennent en grande haste pour enlever ce coffre, 
lequel se trouvant plein de pièces d'ardoises sur lesquelles 
possible il tiroit des figures d'arithmétique ou de géomé- 
trie, les moines indignez et pensans qu'il se fust moqué 
d'eux vif et mort déterrèrent son corps. Mais la cour de 
Parlement advertie de telle inhumanité le fît remettre en 
sépulture honorable dans le cloistre du couvent. Cela me fait 
croire, s'il eust esté docteur en théologie (comme a voulu dire 
l'autheur de la chronique d'Aquitaine, ou ccluy duquel il 
l'a pris) qu'il n'eust usé de telle risée en mourant. » 

Cette anecdote qui ne repose que sur un ouï-dire re- 
cueilli par Jean Bouchet et inséré par lui, sans y ajouter foi, 
dans ses i4nna/e5 (T Aquitaine^ et dont on pourrait, peut- 
être, retrouver l'origine dans ces vers du Grand Testament^ 
de Villon, où ce poète fait des legs aux moines, etc. : 

Maistre Jehan de Mehun se moqua 
De leur façon, si feist Mathieu 
Mais on doit honorer ce qu'a 
Honnorer l'Église de Dieu. 

a été admise comme vraie par des biographes, et considérée 
comme apocryphe par le plus grand nombre (i). 



(i) N'aurait-on pas, dirons-nous avec M. Victor Leclerc, voulu imi- 
ter et renouveler sous une autre forme « La vescie du curé ou le dît de 
la vescie à prestre » : « Un curé près de mourir d'hydropisie c^de aux 
importunités des moines Jacobins et leur promet enfin un joyau pré- 
cieux dont il ne peut se défaire avant sa mort ; — Grande joie au cou- 
vent, dès qu'on y apprend cette nouvelle; on se fait servir flans, pâtés, 
les meilleurs vins; on sonne toutes les cloches, comme pour recevoir un 
corps saint. Au point du jour cinq frères pleins d'espoir et d'impatience 
entourent le lit du testateur qu'ils trouvent encore vivant, et qui les 
d^f^ge à convoquer comme témoins de l'accomplissement de sa, pro- 
mssse, le maire et les échevins. Après d'assez longs discours, où il fait 



— 166 — 

Nous nous rangerons au sentiment de ces derniers, en 
motivant le nôtre comme suit : 

Mëon pour s'assurer de Texactjitude de ce fait dit avoir 
parcouru les Olim du Parlement jusqu'en Tannée i327, 
sans trouver l'arrêt qui ordonnait aux Jacobins de remettre 
le corps de Clopinel dans sa première sépulture. Rappelant 
ici le témoignage de Du Breuil qui atteste avoir vu le tom- 
beau du poète dans Téglise des Jacobins (et non dans le 
cloître comme l'écrit Fauchet), nous dirons avec Méon : 
€ il paraît peu vraisemblable que Jean de Meung, qui dans 
son Testament annonce se repentir d'avoir fait dans sa jeu- 
nesse quelques dits par vanité, et déclame contre les sept 
péchés capitaux, se soit égayé à l'article de la mort pour 
ainsi dire, aux dépens de ces religieux, quoique dans la 
même pièce il ait lancé des traits de satire assez piquants" 
contre les prélats et les religieux qui ne remplissaient pas 
les devoirs de leur état. On peut donc regarder ce fait 
comme apocryphe >. Et nous ajouterons, que la donation 
faite par Jean de Meung aux Jacobins, de son « ostel de la 
Tournclle», vient détruire radicalement cette historiette. 

Mais nous admettons comme véridique, l'aventure où le 
poète faillit être fustigé par les dames pour avoir mal parlé 
d'elles. 

— En présence de la débauche générale qui se voyait alors 
parmi les dames de la cour, le clergé, les moines et la no- 



pressentir la punition de ceux qui l'ont menacé des tourments éternels 
s*il ne leur donnait quelque chose, il annonce qu'il va déclarer quel 
est ce joyau qu'il leur réserve après lui : 

Dient al prestre li cinc frère : 

€ Dites quel chose c'est, biaz père » 

— € Volentiers voir ; c'est ma vescie. 

Se vos l'aviés bien netoiie, 

Miex que de corduan varra, 

Et plus longuement vos durra ; 

Si poreis ens mètre vo poivre. » 

Les moines, baissant la tétc, s'en vont sans rien dire, et tout le pays 
se moque d'eux > (Hist. litt. de la France, 23-157). 



— 167 — 

blesse, Clopinel se crut autorisé à faire dire par le Mari 
Jalo^iXy cette longue tirade contre les femmes et où figure 
ces deux vers : 

Toutes estes, serez ou fustes 
De fait ou de voulentez putes. 

Les vers de notre poète, étant au fur et à mesure de leur 
composition, répandus dans le public, c'est dire qu'à la lec- 
ture de ceux que nous venons de transcrire, une nouvelle 
tempête de mécontentement féminin se déchaîna de toute 
part contre Tauteur. 

Fauchet, raconte : « Les dames de la Court faschées 
de ces vers trop piquans, délibérèrent un jour de l'en chas- 
tier. Duquel danger il se sauva gentiment en ceste manière. 
Maistre Jehan de Meung estant venu à la Court pour quel- 
que occasion fut par les dames arresté en une des chambres 
du logis du roy, estant environné de plusieurs seigneurs 
lesquels pour avoir leur bonne grâce, avoient promis le 
représenter et n'empescher la punition qu'elles en voul- 
droient faire. Mais Jehan de Meung les voyant tenir des 
verges, et presser les gentilshommes de le faire despouiller ; 
il les requit luy vouloir octroyer un don, jurant qu'il ne 
demanderoit pas remission de la punition qu'elles atten- 
doient prendre de luy (qui ne l'avoir méritée), ains au 
contraire Tavancement. Ce qui luy fut accordé à grand 
peine, et à l'instante prière des gentilshommes. Alors 
maistre Jehan commença à dire : « Mesdames, puisqu'il 
faut que je reçoive chastiment, ce doit estre de celles que 
j'ai offensées. Or n'ay-je parlé que des meschantes, et non pas 
de vous qui estes icy toutes belles, ^ages et vertueuses ; par- 
tant celle d'entre vous qui se sentira la plus offensée, com- 
mence à me frapper, comme la plus" forte putain de toutes 
celles que j'ay blasmées. » Il ne se trouva pas une d'elles 
qui voulut avoir cet honneur de commencer, craignant d'em- 
porter ce titre infâme. Et maistre Jehan eschappa, laissant 
aux dames une vergongne ; et donnant aux seigneurs là 



— 168 ~ 

présens assez grande occasion de rire, car il s'en trouva 
aucuns d^eux, à qui il sembloit que telle ou telle devoit com-' 
mencer, mais les mieux appris rompirent ce jugement pour 
éviter au débat qui en fust suivi. » 

Plusieurs biographes et commentateurs nient que cette 
aventure soit arrivée à Clopincl ; ils prétendent qu'elle a 
été tirée d'un livre italien ayant pour titre Cenio novelle 
antichcy où elle est attribuée à Guillaume de Bergdam ou 
Bergedan, gentilhomme et poète catalan, qui vivait dans 
la première moitié du xin* siècle, et dont Nostradamus a 
raconté la vie (i). 

— Il est possible que Bergdam ait été le héros d'une 
semblable aventure, quoique l'abbé Millot, en parlant de ce 
troubadour et de ses poésies, n'en fasse aucune mention. 
On en raconte, du reste, de pareilles pour Quesnes de 
Béthune, célèbre trouvère artésien, un des héros de la 
4* croisade; et pour Jean Le Febvre, aussi trouvère de 
l'Artois, pour avoir publié, le premier une chanson sati- 
rique contre les femmes ; et le second, le livre àtMathéolm^ 
où le beau sexe est si vivement attaqué. Tous les deux 
soulevèrent un véritable scandale parmi les dames et leurs 
amis; ils étaient sur le point de subir chacun, un châtiment 
exemplaire, lorsqu'ils jugèrent à propos de faire amende 
honorable. Mais malgré ces précédents, il n'en est pas 
moins certain que le fait est arrivé à Clopinel, comme 



(i) Pour Croissandeau cette histoire € est évidemment controuvée », 
— par contre celle du coffre à ardoises, < est si bien en rapport avec 
Tesprit malin de notre Orléanais qu'il est, dit-il, tout disposé à l'accep- 
ter comme vraie ». 

La Tour Landry dans son livre : Enseignements à ses filles^ composé 
«î» 1372, raconte la même histoire, chapitre XXIIII* : « De trois Dames 
qui accusèrent un chevalier. » — C'est littéralement l'aventure arrivée 
à Clopinel, sauf que c'est un chevalier au lieu du poète^ et un couiel à 
la place de verges, 

M. P. Paris écrit que Thevet € est le premier qui a mis en crédit 
cette histoire ». Elle avait été déjà racontée par Brantôme et Fauchet. 
Thevet ne l'a reproduite que d'après le récit de l'un d'eux. 



— 169 — 

le prouve le témoignage de Brantôme, qui vivait au 
XVI* siècle. 

Cet auteur dans ses Dames Galantes, discours i*% dit : 
« Je ne veux pourtant taxer beaucoup d'honnestes et sages 
femmes mariées, qui se sont comportées vertueusement et 
constamment en la foy saintement promises à leurs marys; 
et en espère faire un chapitre à part à leur louange et faire 
mentir maistre Jehan de Meun, qui en son Roman de la 
Rosey dit ces mots : « Toutes vous autres femmes estes ou 
fustes, de fait ou de volenté putes, » dont il encourut une 
telle inimitié des dames pour lors qu^elIes par une arrestée 
conjuration et avis de la Reine y entreprirent un jour de le 
fouetter, et le dépouillèrent tout nuds, et estant prestes 
à donner le coup, il les pria qu^au moins celle qui estoit la 
plus grande putain de toutes commençast la première : 
chacune, de honte, n'osa commencer, et par ainsi il évita 
. le fouet. J'en ay vku l'histoire représentée dans une 

VIEILLE tapisserie DES VIEUX MEUBLES DU LoUVRE. » 

Nous n'ignorons pas que Ménage a mis en doute la véra- 
cité de l'assertion de Brantôme prétendant d'abord que 
c'était un con^e auquel avaient donné lieu les quatre vers 
qui se trouvent au feuillet 172 de l'édition du Roman de la 
Rose de i529y chez Galiot Dupré; ensuite que pareille 
aventure est attribuée à G. de Bergdam ; et enfin que le 
mot que Ton donne à l'un et à l'autre est une imitation de 
celui du Christ pour sauver la femme adultère (Ménagiana, 
4-68, Paris, 1729.) 

On a récusé bien à tort le témoignage de l'auteur des 
Dames Galantes, L'anecdote qui concerne Clopinel est 
racontée par Fauchet, dans son ouvrage des 127 poètes qui 
parut en 1 58 1^ et parThevet, dans sesHommes Illustres, 1584. 
— Or^ d'après Tavis au lecteur mis en tcte des Dames 
Galantes^ Brantôme nous apprend que ce livre dédié à 
François, duc d'AIençon, et composé de son vivant, ne 
parut que plusieurs années après la mort de ce prince arri- 
vée en 1584. Le récit de Brantôme est donc, pour la rédac- 
tion, bien antérieur à ceux de Fauchet et de Thevet qui 



— 170 — 

ne font que le confirmer. Brantôme, n'a, du reste, rien 
inventé.. C'est d'après la tradition racontant que les deux 
vers : 

Toutes estes, serez ou fustes 
De fait ou de voulentez putes. 

(les seuls composés par Clopinel et cités par Brantôme) 
. furent le sujet de l'histoire en question. Et, surtout, d'après 
cette vieille tapisserie des vieusp meubles du Louvre sur 
laquelle il affirme avoir veu r histoire représentée ^ c'est-à-dire 
le poète à genoux aux pieds de la reine et des dames armées 
de verges, et requérant d'elles, un don, avant d'être fus- 
tigé. 

— Notre auteur constatant de visu^ que cette tapisserie 
était déjà vieille à l'époque où il écrivait ses Dames Galantes 
(i575-i58o), la fait par cela même, quasi contemporaine 
de l'histoire dont elle retrace le souvenir, et, par suite, en 
prouve l'authenticité. 



«MMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMAMM 



CHAPITRE VIII 



Prosateors et poètes qui dépote le XIII* siècle Jusqu'à nos Jours, 
ont ftUt aientten du Roman de la Bose et de ses deux auteurs. 



xiii* SIECLE. — Si Guillaume de Lorris n'innova pas 
Tallégorie et les songes, moyens usités par les poètes dès la 
<^plus haute antiquité; il consacra, au moins, par son talent 
gracieux et facile, ce genre de composition qui « devenu 
classique et obligatoire » devait durer pendant plusieurs 
siècles. Au temps même où vivait le trouvère Orléanais, le 
Roman de la Rose jouissait déjà d'une grande réputation. 
^ Lu par tous, chevaliers et nobles dames, ce poème, véri- 
table code de Tamour, remplaça pour eux, les chansons de 
geste et romans de chevalerie ou d'aventures. 

Baudouin de Condé, trouvère du Hainault, dans Li Contes 
de la Rose, La Voye de Paradis^ C'est li prisons d'Amour^ 
imita G. de Lorris, son contemporain, sans atteindre son 
élégance. Il raconte sa propre histoire : Lui aussi, aime 
une dame de haut parage, mariée, qui refuse son amour; 
il ne fait connaître le nom de sa dame que par une devi- 
naille en vers. 

Rutebeuf emprunta à notre poète sa mise en scène et son 
genre allégorique pour ses Voyes de Paradis, 

Plusieurs chansons d'Amour de Thibaut de Navarre font 
croirequ'ilconnaissaitl'œuvredeG.de Lorris.(V.p.4i, 42.) 

Puis vint Clopinel qui, pour servir les vues politiques de 
Philippe IV, continua le Roman de la Rose. L'influence de 
ce poème fut alors considérable, non seulement parmi ses 
contemporains, mais encore pendant plus de trois siècles. 



V 



— 172 — 

— Mis à récart vers la fin du xvii* siècle, temps où Boileau, 
réglementant le parnasse français, ne faisait remonter notre 
littérature qu'à Villon, Clopinel a, par suite des travaux de 
rérudition moderne, reconquis la première place parmi 
nos anciens poètes et romanciers. Et le continuateur, nous 
pourrions tout aussi bien dire, l'auteur du Roman de la 
BosCf vu l'importance qu^'i lui donna, est aujourd'hui aussi 
populaire qu'au xiii* siècle. 

Les textes que nous allons. produire vont justifier ample- 
ment cette grande renommée. 

xiv« SIÈCLE. — Quelques années après la mort de Clopinel, 
en i3io, un poète nommé La Porte, reprit ce Roman, en 
y ajoutant, retranchant, et en en renversant toute la 
marche. (V. Etude sur G. deLorris, p. 77.) 

Celte même année i3io, parut la 2* branche de Fai/vel, 
composée par F. des Rues, sur le conseil de Philippe IV. 
— Ce roman, qui a pour personnages six dames : Flaterie^ 
Avarice^ Vilenie ^ Variété j iSnvie, XrfcAe/^, dont les initiales 
donnent le nom de Fauvel^ est une longue satire contre le 
pape, le clergé, les moines mendiants et les templiers. 
L'auteur après avoir fait le tableau de VOrgueil^ renvoie 
pour celui de Faulx-Semblant au Roman de la Rose. 

La Panthère d* Amour y poème attribué à R. de Fournival 
et à N. de Margival, est une imitation de notre roman; et 
l'auteur, quelqu'il soit, n'a pas essayé de le dissimuler, 
puisque, vers le milieu du récit, il y renvoie : « Qui veult 
d'amors à chief venir, dedans le Roman de la Rose^ trou- 
vera la sentence enclose ». Le poème finit à peu près comme 
le Roman de la Rose^ l'amant après bien des traverses par- 
vient à toucher le cœur de sa dame. (Hist. litt., 23-729.) 

Vers i32o, Michel et Henri Van Aken, de Bruxelles, 
donnèrent une version flamande réduite de notre roman, 
en en conservant le plan, le mètre et quelques détails choisis 
(Renan). — Cette version fut traduite en allemand et se 
répandit dans ces contrées (Michel). 
-^ Dans Renart le Contrefait^ terminé en i322, par un irou- 



— 473 — 

vère champenois, on relit les critiques de Clopinel contre le 
clergé, les moines, la cour de Rome; et la réapparition de 
Faux-Semblant, 

Gui de Mori, trouvère, cite en i33o, le Roman de la Rose 
comme un des ouvrages les plus populaires de son temps 
(G. Paris). A la bibliothèque publique de Tournai, on 
conserve un manuscrit de ce roman revisé et moditié par 
ce trouvère, à cette date. 

De i33o à i335, un moine de Citeaux, G. de Guilleville. 
composa trois pèlerinages de la vie humaine, de Tàme et . 
de J.-C. ; chacun représentant sous forme symbolique la 
pratique de toutes les vertus terrestres, est imité de Tœuvre 
de Clopinel qu'il appelle le Roman de Luxure, et accuse 
l'auteur de plagiat (G. Paris). 

Le Dante fut^ d'après Lemaire de Belges, pendant son 
séjour à Paris, Tami et le compagnon d'études de Clopinel. 
Son second fils, Jacopo Alighieri, dans son poème en vers 
italiens, intitulé : DoUrinale, fait croire, d'après plusieurs 
descriptions et réminiscences, qu'il avait lu l'œuvre du 
poète Orléanais (Renan), ou la reproduction en sonnets ita- 
liens qui en avait déjà été faite. 

^ Pétrarque, étant à Paris « envoie en 1349, à Guy de 
Gonzague, à Mantoue, le Roman de la Rose et l'accompagne 
d'une épître en vers latins où il l'apprécie avec goût et saga- 
cité. Quoiqu'il dût en aimer le sujet, il se montre, dit Renan, 
sévère mais avec justice, pour ces vagues et froides allégo- 
ries où l'auteur lui semble rêver en racontant son rêve : 
Somniat iste tamen, dum somnia visa renarrat, — C'était 
le défaut du temps, auquel n'ont échappé ni Dante, ni 
Boccace, ni Pétrarque enfin, qui a beaucoup trop de per- 
sonnifications équivoques et obscures dans ses églogues 
latines, et même dans plusieurs de ses pièces italiennes; 
et il trouve quelque plaisir à critiquer G. de Lorris; nous 
croyons qu'il en eut encore plus à l'imiter et à personnifier 
comme lui Beauté/ Courtoisie, Bel-Acueil. Il ne parle que 
d'un petit livre brevis iste libellus ; on peut donc supposer 
qu'il n'avait alors que la, première partie^ et que son juge- 



— 174 — 

ment eut été plus rigoureux s*il y eût compris les supplé- 
ments diffus et pédantesques de J. de Meung, que Tcsprit et 
la verve du continuateur ne font point toujours pardonner. 
L'œuvre primitive, cet essai d'un jeune poète de vingt ans, 
^ qu'il était inutile d'allonger de 18.000 vers, méritait du 
moins par quelques tendres sentiments, par quelques 
peintures ingénieuses, la vogue qui lui faisait franchir les 
Alpes. » 

Boccace ne partageait pas les répugnances de Pétrarque 
au sujet de notre roman, auquel il fit de fréquents emprunts. 
Dans sa Théséide, composée en i34i,^ il copia Oyseuse du 
poète Orléanais pour faire le portrait d'Emilie. « Singu- 
lière destinée que celle de cette page de G. de Lorris I — 
Paraphrasée en italien, en grec vulgaire, en anglais, elle 
passe de nouveau dans notre langue au xv* siècle, sous la 
plume d'Anne de Graville, qui y imprime le caractère 
sensuel de l'époque. » (Sandras). 

G. de Machault, auteur de plus de 80.000 vers presque 
tous inédits, était le poète des dames et un imitateur de 
Clopinel, « li bons maistres, dit-il, qui parfist la fin du 
Roman de la Rose. » 

En i365, J. de Saffres, chanoine-doyen de Langres, fît 
don au chapitre de cette cathédrale de 45 volumes parmi 
lesquels, dans l'inventaire, figure le Roman de la Rose^ 
estimé 4 florins. 

G. Chaucer traduisit vers i353 l'œuvre entière de G. de 
Lorris, et près de 3. 000 vers de Clopinel, dans The Romaunt 
of the Rosey qui comprend 7.800 vers. Imitateur des deux 
poètes Orléanais, leur influence se fit sentir dans toutes ses 
productions littéraires : Le Palais de la Renommée^ la Cour 
d'Amour, la Duchesse^ etc. — Dans la Duchesse^ Chaucer 
fait la description d'un magnifique château sur les vitraux 
duquel est peinte la Geste de Troyes^ et sur les murs le 
Roman de la Rose tout entier. (Sandras). 

Jean Gower, ami de Chaucer, et Langland, reproduisirent 
ou imitèrent, le premier, vers i36o, dans Confessio Amantis^ 
le second, vers i362, dans sa Vision de Piter Plowman qui 



— 176 - 

lui est attribuée, rallégorîe du Roman de la Rose et Tesprii 
satirique de Clopinel contre le clergé et les nobles. 

Le chroniqueur Froissart s'inspira du même roman pour 
son Paradis d'Amour. 

H. Bonet, prieur de Salon, en Provence, étant à Paris, 
visita a le jardin de la Tournelle, hors de Paris, qui fu à 
maistre Jehan de Méun » ; et composa dans les dernières 
années du xiv* siècle, a TApparicion de Maistre Jehan de' 
Méun », ou «Le Songe du prieur de Salon », poème entre- 
mêlé de vers et de prose, dédié par lui à Louis, duc d'Or- 
léans et à Valentine de Milan, et dans lequel il prend le 
fouet de Clopinel, a le grand philosophe », pour flageller le 
monde rempli de vices et de désordres. — Il suppose un 
songe dans le jardin où lui apparaît a un grant clerc bie|) 
fourré de menu vair », qui lui dit : ' 

f Je suis maistre Jehan de Méun 

Qui par maint vers sans nulle prose, 
Fis cy le Romant de la Rose, 
Et cest hostel que cy voyex 
Pris pour acomplir mes souhes. 
S'en achevay une partie, 
Après, mort me tolu la vie. 

XV* SIÈCLE. — Eustache Deschamps^ imita G. de Lorris et 
Clopinel dans ses poésies, où on lit fréquemment : Male- 

bouche, Faux-Semblant, Jalousie, Dangier, Honte, etc. 

Sa complainte dune Vieille sur le faict de sa Jeunesse^ est 
la reproduction de la Vieille du Roman de la Rose : 

Vielle à présent, iaiàis juvenculat 

Qui en ce temps fu chérie et amée ; 

A venere venerunt jacula 

Desquels je fu en pluseurs leux bersée ; 

Jusqu'à XX ans de maint homme honourée 

Pour ma beauté chascun me convoitoit, 

Sou cuer, son corps, s'amour me promettoit 

Cum effectu et suis sumptibus; 

De maints joyaulx mes corps parez estoit : 

Vetula sum sine muneribus 



— 176 — 

yuvencule, tn eiate prima 

Stt vobis, pax, laus, houor, gloria; 

PlumeZf prenez cuneits hominthut 

Car assez tost viellesse vous vendra 

Qui en tel point corn, je sum vous rendra : 

Vetula sum sine muneribus. 

Dans plusieurs de ses pièces, Deschamps va beaucoup 
plus loin que Qopinel, dans la licence des mots et des 
descriptions, 

Ph. de Maizières, auteur du Songe du vieux pèlerin^ 
imitation de notre roman, engage Charles VI, alors jeune, 
à lire ou entendre pour son enseignement les anciennes 
histoires au lieu des romans de chevalerie^ remplis de 
bourdes; et parmi les auteurs à lire, il cite Oresme, Ber- 
cheure, Jean de Meun et le Roman de la Rose^ où il y a de 
bons préceptes. 

A cette époque, les manuscrits de ce poème se multi- 
plièrent à l'infini et se répandirent en France, en Alle- 
magne, en Italie, en Angleterre, en Belgique. Il figurait 
dans toutes les librairies ou bibliothèques des seigneurs ; 
à la cour il était entre toutes les mains « comme livre plai- 
sant et rempli de beaux traits de doctrine malgré les 
prescheurs et les théologiens. » (Fauchet). — M. P. Paris 
en a reconnu 67 exemplaires dans la seule Bibliothèque 
Nationale de Paris : 3 remontent au xiii* siècle; — 3o du 
commencement du xiv* siècle ; -^ 22 de la fin du même 
siècle, et 12 du xv«. 

Cette grande popularité de Clbpinel et de son œuvre 
souleva de violentes protestations de la part de ses détrac- 
teurs, moins nombreux, mais aussi passionnés, dans leurs 
attaques, que les admirateurs de cet ouvrage mirent à le 
défendre. 

En 1399, Christine de Pisan^. réclama dans son Epître 
au Dieu d'Amour^ contre les coups portés à Thonneur du 
sexe féminin par les théories et par les diatribes du poète. 
— J. de Montrcuil, Alain Chartier et plusieurs autres ripos- 
tèrent avec force arguments en français et en latin, et pri- 



— 177 — 

rent la défense de Clopinel « très excellent et irrépréhensible 
docteur en sainte divine escripture, haut philosophe et en 
tous les VII arts libéraux clerc très parfont » et du Roman 
de la Rose a ouvrage profond et digne de toujours vivre 
(opus profundum et mémorial per celebris) ». La dispute 
s*envenimant et passionnant les esprits, Gerson, chance- 
lier de rUniversité et auteur présumé de l'Imitation de 
J.-C, vint se ranger aux côtés de Christine pour combattre 
et détruire l'inâuence du célèbre roman. « Sous la forme 
allégorique, il composa en 1402, un Traité contre \e Roman 
de la Rose, où il prit à partie J. de Meung, sa morale relâ- 
chée, ses opinions téméraires, ses expressions cyniques 
et disant du roman a qu'il a jeté partout feu plus ardent 
et plus grant que le feu grégeois et souffre : par paroles 
luxurieuses, ardes et dépendues; qu'il a meslé miel avec 
venin, sucre avec poison, serpent venimeux cachié sous 
herbe verte de dévotion. » 

Christine encouragée par le renfort d'un tel allié, 
revint bravement à la charge : sous forme de Rondel et 
dt Ballade, elle adressa, en 1407, les pièces du procès à la 
reine Isabeau de Bavière, comme « à celle qui sedelictoità 
oïr lire dictiez de choses vertueuses et bien dictées. » 

Quelques vingt ans après, Martin Franc, chanoine de 
Lausanne et protonotaire apostolique de Félix V, continua 
cette grande dispute littéraire en publiant le Champion des 
Darnes^ poème conçu sur le plan du Roman de la Rose. 
Malebouche, ennemi mortel des Dames, combat contre 
Franc- Vouloir, leur champion ; la Vérité donne la victoire 
à ce dernier. L'auteur s'élève contre les critiques de Clopinel 
et de Matheolus contre le mariage et le beau sexe, à qui il 
accorde toutes les perfections, tout en faisant dire à Male- 
bouche : (( Telle la mère fut et telles les filles furent et 
seront, de l'homme ennemies mortelles, et jamais ne s'a- 
menderont. » 

L'auteur anonyme du Journal d'un bourgeois de Paris 

sous Charles VI et Charles VII, emploie l'allégorie de notre 

roman pour dépeindre une émeute populaire arrivée à 

Paris, le 12 juin 1418. 

12 



— 178 — 

Nicolas Flamel eut en sa possession un manuscrit de ce 
roman portant cette note : « Ce livre est au duc de Berry : 
Jehan ». D'après un inventaire dressé en 1409, le Roman 
de la Rose faisait partie de la bibliothèque du château de 
Sully, appartenant au connétable d'Âlbret. 

Charles duc d'Orléans affectionnait la lecture de ce poème. 
« Toute sa poésie n'en est que l'écho harmonieux ». 

En 1457, René d* Anjou, roi de Sicile, achevait un roman 
allégorique en prose et en vers, avec ce titre : « Livre du 
Cuer d'Amours espris », ou « Roman de doulce mercy » : 
où il raconte qu'il vit en songe un cœur épris d'amour et 
désespéré, se mettre en voyage pour aller conquérir la douce 
merci de sa dame : chemin faisant, il arrive à l'hôpital 
d'amour, sur les murs duquel étaient peintes les armoiries 
de tous les amants malheureux. Près de là, se trouve un 
cimetière couvert de tombes; une enceinte particulière en 
renferme six d'argent : celles de Boccace, Jehan Clopinel, 
Pétrarque, Alain Chartier, Ovide et G. de Machault. 

L'auteur de la Chronique de J. de Saintré^ A. de la Salle, 
connaissait le Roman de la Rose^ ainsi que le prouvent ses 
ouvrages. 

Il en est de même pour Villon; il pensait à la Vieille^ de 
Clopinel, « docteur très sage », lorsqu'il composa sa bal- 
lade de « La belle Heaulmière aux filles de joye » ; et celle 
des. Regrets de cette belle Heaulmière «jà parvenue à vieil- 
lesse ». 

Ol. de la Marche, dans son Chevalier délibéré ;St'Gt\d\s^ 
évêque d'Angoulème, dans Chasse du Dieu d Amour ^ ont 
imité Clopinel, ainsi que Tauteur du Jardin de Plaisance 
qui, de plus, fait le procès à Clopinel et à Matheolus le 
bigame, pour leurs satires contre le mariage. 

XVI* SIECLE. — J. Molinet, chanoine de Valenciennes, à 
la demande du duc de Clèves, translata en i5o3, de rime 
en prose, l'œuvre de Lorris et de Clopinel. Pour lui, le Dieu 
d'Amour, est le Saint-Esprit; Déduit^ J.-C; la Rose^ but 
où tend l'Amant est ici interprétée par N. S. qui naquît 
d*une vierge, etc. — Bref, cette composition d'une singu- 



- 179 - 

lière interprétation et du plus mauvais goût, témoigne, néan- 
moins, de la grande popularité dont jouissait, à cette époque, 
le Roman de la Rose. 

€ J. de Meung avec ses hardiesses philosophiques, trouva 
depuis en Italie des admirateurs et des émules, comme 
François de Ludovici, qui visita la France dans les pre- 
mières années du xv« siècle, et qui doit au long épisode de 
Nature (du Roman de la Rose), celui de son poème des 
Triomphes de Charlemagne^ où Renaud va interroger la 
Nature dans son laboratoire et devient le confident de ses 
mystères. » (P. Paris, Renan.) 

Dans son Temple d'honneur^ J. Lemaire de Belges^ ap- 
précie avec le plus grand éloge le roman et ses deux auteurs. 
— « Et puis (comme autrefois j'ai ouy dire) le bon maistre 
Jehan de Meung estoit contemporain, c'est-à-dire du mesme 
temps et faculté que Dante qui précéda Pétrarque et Boc- 
cace. . Et l'un estoit émulateur et nonobstant ami des 
estudes de l'autre. > 

On sait que de i525 à i526. Clément Marot, enfermé 
dans les prisons de Paris, puis de Chartres, n'ayant d'autre 
consolation que la lecture du Roman de la Rose^ se mit à en 
rajeunir le texte et à le publier en 1527. Cette édition in-f® 
en caractères gothiques, avec des changements considé- 
rables blâmés par Pasquier, devint depuis le modèle de 
toutes celles qui parurent pendant le xvi® siècle. — Dès 
1 5 1 5, Marot avait dit dans son Temple de Cupido, en parlant 
du brandon brûlant devant l'image de Cupidon, que Jehan 
de Mehun « plein de grand'sagesse, l'appelle en termes 
savoureux, brandon de Vénus vigoureux, qui son ardeur 
jamais n'attrempe». — Il fait le plus grand éloge du «Rom- 
mant de la Rose maistre en amour », et de ses auteurs : 
a Nostre Ennius, Guillaume de Lorris qui du romant acquit 
si grand renom ». — « De Jehan de Mehun s'enfle le cours 
de Loire. » 

En 1 5 16, parut à Metz, un poème le Chevalier aux Dames 
pour défendre le beau sexe si maltraité par Clopinel. — 
Charles Bourdigné, dans la Légende de Pierre Faifeu^ passé 
maître dans tous les genres de friponnerie, nous fait con- 



' - 180 — 

naître les ouvrages, alors populaires, qu'il avait la préten- 
tion de remplacer, parmi lesquels le Roman de la Rose. 

Rabelais qui, comme libre-penseur et franc-parleur, con- 
tinue Clopinel, n*a pas négligé de lire ce célèbre poème où 
il a trouvé ses meilleures armes pour combattre la Papauté. 
Le style brutal de son auteur a certainement inspiré les 
pages les plus C3miques de Gargantua (Géruzez). 

La Reine de Navarre, dans VHepiaméron, et Brantôme, 
dans les Dames Galantes^ citent fréquemment Clopinel et 
le Roman, apprécié à tel point par Sibilet dans son Art 
poétique françois (1546), qu'il veut que ce soit notre Iliade, 
notre Odyssée. 

Ronsard, pensait aux conseils de la Vieille à Bel^Acueil^ 
lorsqu'il composa son sonnet pour Hélène : « Vivez, si 
m*en croyez, n'attendez à demain ; cueillez dès aujourd'hui 
les roses de la vie > ; et son Ode à Cassandre^ d'une mélodie 
si suave et d'un goût si exquis, où il compare la beauté de 
la femme à la rose « qui ne dure que du matin jusqu'au 
soir » : 

Donc, si vous me croyez, mignonne, 
Tandis que vostre âge fleuronne 
En sa plus verte nouveauté, 
Cueillez, cueillez vostre jeunesse : 
Comme à ceste fleur, la vieillesse 
Fera ternir votre beauté... 

J. du Bellay, Maurice Scève, G. d'Aurigny furent des 
lecteurs assidus de notre Roman. D'après Michelet, le pre- 
mier, de toute notre ancienne littérature, ne prisait que ce 
poème. On connaît le sonnet que Baïf adressa à Charles IX, 
où il résume l'œuvre des deux poètes. — Desportes les imita 
dans son Procez contre Amour au Siège de la Raison; — 
Montaigne, dans les Essais^ la Boêtie, dans le Contr'un^ se 
trouvent souvent en communauté d'idées avec Clopinel, 
dont l'œuvre leur a fourni bien des arguments, quoiqu'ils 
n'en fassent aucune mention. 

Noël du Fail, dans ses Contes et discours d'Eutrapel 
(i586}, nous montre le Roman de la Rose étant parmi les 



-- 181 — 

livres qui composaient une bibliothèque ou librairie de 
gentilhomme, en province, au xv*-xvi* siècle. 

Papyre Masson dans ses Éloges des Hommes Illustres^ 
fait valoir le mérite de Clopinel. Pasquîer dans ses Recher- 
ches de la France^ prise tellement les deux auteurs du Roman 
de la RosCy qu'il les oppose au Dante et à tous les poètes 
de ritalie. Il cite et s'autorise fréquemment de J. de Meung, 
pour des questions d'histoire : c Je suis, dit-il, contraint 
l'appeler souvent à garant comme l'un de nos plus anciens 
approuvez autheurs. — « Ainsi firent plus tard Borel, Du- 
cange, Sainte-Palaye, Roquefort, et autres savants, pour 
leurs travaux historiques et littéraires. 

L'auteur des Annales d^ Aquitaine^ du Bouchet, le prési- 
dent Fauchet, Thevet, Du Verdier Vaupryvas, La Croix du 
Maine, consacrèrent de longs articles à nos deux auteurs, a les 
plus renommez de tous nos anciens poètes » ; et qualifient 
Clopinel « d'orateur philosophe et mathématicien le plus 
renommé de son temps, de premier inventeur de rhéto- 
rique françoise ». 

Régnier qui possédait à fond notre Roman, sMnspira 
de la Vieille et de FatÀX'Sembldnt pour composer sa 
Macette. Dans son « Discours au Roy », il considère J. de 
Meung, comme un grand poète et un romancier de grand 
renom. 

« Sur plus d'un point on pourrait mettre l'auteur des 
Tragiques en parallèle avec J. de Meung. On pourrait 
presque dire que d'Aubigné a ramassé le fouet de Clopinel 
pour flageller les rois, les juges et les grands. C'est la même 
énergie, la même fougue, la même audace, la même hor- 
reur de l'injustice. » (Croissandeau.) 

xvn' SIÈCLE. — Le Marini, napolitain, composa à Paris, 
son poème de VAdone (Adonis) qu'il dédia à Louis XIII, en 
1623, où il use de l'allégorie de notre Roman. 

« Molière a lu Clopinel et Pascal aussi. Sans doute, Ra- 
belais ne l'avait pas négligé. Cçs terribles adversaires de la 
fraude et de l'hypocrisie trouvaient dans cet inépuisable 
arsenal les meilleures armes pour combattre le monstre, 



— 182 — 

.Rabelais et Molière au nom du siècle, Pascal au nom de 
l'Église. » (Géruzez). — On ne peut méconnaître les liens 
de parenté qui existent surtout entre Tartufferie chef-d'œuvre 
de la scène française, et Faux-Semblant, 

L'auteur des Antiquités des villes et Chdteauxdela France^ 
parle dé G. de Lorris et de J. de Meung et du beau Roman 
de la Rose^ ainsi que Tallement des Réaux, dans ses Histo- 
riettes. Le P. Bouhours dans ses Entretiens d'Ariste et d'Eu-- 
^èntf, n'hésite pas à donner à Clopinel le nom de « père et 
d'inventeur de l'éloquence française ». Et de fait, c'est le 
premier livre français qui ait jamais joui d'une aussi grande 
réputation. (Croiss.). 

« L'œuvre de J. de Meung est, dit Villemain, remplie 
de mille traits malicieux. Il en est quelques-uns qui expli- 
quent comment La Fontaine, le lisait patiemment, curieu- 
sement. Ce vieux style le faisait travailler. Il arrivait à 
quelques traits piquants contre les moines, contre le clergé, 
cela soutenait son attention. Un peu à la gêne dans la gra- 
vité de son siècle, il était reconnaissant de trouver dans 
un vieil auteur, ce qu'il aurait bien voulu dire; ce qu'il 
laisse quelquefois deviner dans ses fables. Cela lui inspirait 
trop de faveur pour cette poésie dont il aimait les malices 
bien plus que les négligences. » 

Nos anciens romans et chansons de geste^ après avoir, 
pendant des siècles, joui d'une grande célébrité et fait les 
délices de plusieurs générations^ tombèrent en discrédit au 
XVI* siècle par suite des travaux de Ronsard et des poètes 
de son école, dont la muse en français parlait grec et latin. 
— Et au XVII* siècle, ce discrédit se maintenant, Boileau à 
qui « tout le moyen-âge échappe, dit M. Lanson, comme 
à presque tous ses contemporains » , fixa à VillcJn les commen- 
cements de notre littérature. — Connaissant à peine^ de 
nom même^ les œuvres de nos vieux romanciers qu'il traite 
de confuses, et de siècles grossiers, le temps où elles pa- 
rurent, Boileau ne formulait un jugement si sévère que 
d'après le Roman de la Rose^ sur le compte duquel il 
s'exprime ainsi dans une note mise par lui au vers 1 18 de 
son Art Poétique ^ chant !•' : « Les ouvrages de nos vieux 



— 183 — 

poètes françois sont confus, et sans ordre. On peut en juger 
par le Roman de la Rose^ le plus estimé de tous. Voie;^ le 
traité du président Fauchet, de TOrigine de la langue et 
poésie françoise, rime et romans. » 

Les travaux de l'érudition moderne ont démontré com- 
bien le jugement de Boileau était faux sur ce point. 

XVIII* SIÈCLE. — La Monnoie, Tabbé Gouget, Tressan, 
Paulmy ont consacré de longs articles à nos deux poètes 
et à leur œuvre commune. — Voltaire, J.-J. Rousseau, 
Diderot, d*Alembert et autres philosophes et écrivains de 
ce siècle, ont émis sur les hommes et les choses des idées 
dont on retrouve les premières notions dans l'œuvre de 
Clopinel. 

En 1735, une édition du Roman de la Rose^ 3 vol., fut 
publiée par Langlet-Dufresnoy. — Autre édition en 5 vol. 
Paris, Fournier, an VII (1798). 

XIX* SIÈCLE. — Nouvelle édition de ce roman par Méon, , 
4 vol. Paris, 1814; réputée la meilleure. 

Le Roman de la Rose est le sujet d'études des littérateurs 
et des érudits : M.-J. Chénier y consacre une partie d'un 
de ses cours de littérature : — Raynouard en fait une 
longue analyse dans le Journal des Savants d'octob. i836. 

Dans la Préface de Cromwel (1827), V. Hugo s'autorise 
de Clopinel et du Roman de la Rose pour peindre l'origine 
de la société humaine : d'abord la famille, puis la tribu et 
la nation; et pour l'élection du premier roi. 

Daunou reconnaît le grand et durable succès de cet ou- 
vrage qu'il attribue aux censures et critiques dont il fut 
l'objet. <( Les chaires, dit-il, retentirent longtemps d'ana- 
thèmes contre le Roman de la Rose; on s'en obstina davan- 
tage à le lire, quelque ennuyeux qu'il put être. 1 

Villemain y consacre plusieurs leçons de son cours de 
de littérature au moyen-âge (1828-29-38). — Analysé du 
roman par Leroux de Lincy dars la Revue de Paris^ mars 
1837 ; — Autre analyse dans le Magasin Pittoresque^ même 
année. ^ . 



\^ 



— 184 — 

La Revue des Deux-Mondes, août 1841, contient sur ce 
roman un travail de plus de 40 pages de J. J. Ampère, 
dont M. Croissandeau a fait la critique. 

Près de six pages sont consacrées aux deux poètes et au 
poème dans les Hommes Illustres de F Orléanais (i85i); on 
y a reproduit les textes du chanoine Hubert et de D. Gérou, 
dont nous parlons App. II et III. 

De longs articles biographiques sur de Lorris et Clopinel 
se lisent dans Moreri, Delandine, Michaud et Didot; — 
Nisard, Demogeot, Géruzez, Gidel, Aubertin, Lanson, etc., 
parlentplus ou moins longuement, dans leurs histoires de la 
littérature française, du Roman de la Rose et de ses auteurs; 
— Dans son Histoire de la Satire au moyen-dge^ Lenient 
fait une curieuse et intéressante étude sur ce poème et sur 
le continuateur, qu'il appelle V Homère de la satire en France. 

Sainte-Beuve dans la préface des Poètes Français, dit : 
m Ne prenons point hors de chez nous nos images; c'est dans le 
jardin français de nos pères, dans le célèbre et riant enclos 
du Roman de la Rose^ avec ses détours sinueux, ses doubles 
haies et ses labyrinthes. » — L. Moland écrit dans le 
même ouvrage : «Ce roman eut pendant 3oo ans une 
immense célébrité et fut la lecture favorite de Taristocratie. 
J. de Meung, de son vivant, ne recueillit que des louanges, 
des honneurs, une admiration enthousiaste qui devint par 
la suite presque delà superstition. On prétendit qu'il avait 
mis dans son livre le secret du grand œuvre, tant il était 
impossible qu'un tel homme ne possédât pas, en effet, la 
pierre philosophale. » 

« Y a-t-il au monde, dit Taine, dans son Histoire de la 
Littérature Anglaise^ quelque chose de plus délicatement 
gracieux que les vers de G. de Lorris? L'allégorie enveloppe 
les idées pour leur ôter leur trop grand jour : des figures 
idéales à demi transparentes flottent autour de Tamant, 
lumineuses quoique dans un nuage, et le mènent parmi 
toutes les douceurs des sentiments nuancés jusqu'à la rose 
dont la suavité replenist toute la plaine ». 

Michelet n'a pas le même enthousiasme pour ce poème 
qu'il qualifie d'insipide et triste Roman de la Rose^ visant 



— 185 — 

surtout le continuateur que Taine dit être le plus ennuyeux 
des docteurs. — H. Martin apprécie G. de Lorris « au talent 
gracieux et facile », et J. de Meung « le poète favori de 
Philippe IV »^ que pour les idées il place au-dessus de Rabe- 
lais (4-367) ; — En appendice^ il parle, en quelques pages, 
du roman^ en renvoyant pour les détails à Tanalyse faite 
par Ampère. — Renan reconnait que la première partie n'est 
pas sans mérite; mais il traite de diffus et de pidantesques 
les suppléments ajoutés par Clopinel. 

Etude sur le Roman de la Rose, par P. Huot. Orléans, 
i853 (Soc. arch. de TOrléanais). 

Nouvelle édition, 2 vol. Paris 1864, par Francisque 
Michel, a Peu de livres, dit-il, ont eu une destinée plus 
brillante que ce roman. Depuis le xiii* siècle, époque à 
laquelle ce vaste poème vit le jour jusqu'à la nôtre, il n'a 
pas cessé d'être l'objet de la curiosité publique ». 

Autre édition, avec traduction en vers, 5 vol. Orléans, y 
1878, par P. Marteau (pseudonyme de M. Croissandeau). 
— Mélanges d'histoire orléanaise. Orléans, 1878, par E. Co- 
las. Un chapitre est consacré à Clopinel. 

Dans l'Histoire littéraire de la France (voi. XXIII), 
M. P. Paris vt paraître, en i856, une analyse de notre 
roman en 60 pages. Et en 1881, même recueil (vol. 
XXVIII), il donna une notice biographique sur J. de 
Meung. C'est le travail le plus complet (48 pages) et le plus 
consciencieux, — avec celui de Fauchet, — qui ait été 
consacré à notre poète. M. Paris analyse les ouvrages de 
Clopinel; fixe la date approximative de sa naissance; parle 
de son origine plébéienne; démontre qu'il n'était pas boi- 
teux. Mais selon nous, M. Paris a commis un grave erreur 
en écrivant que le Roman de la Rose fut le début littéraire 
du poète. Nous avons largement puisé dans ce travail pour 
la présente Étude. 

Guillaume de Lorris et le Testament d'Alphonse de 
Poitiers, par L. Jarry. Orléans 1881. — Etude historique 
et biographique sur Guillaumedc Lorris auteur du Roman 
de la Rose, d'après documents inédits et revision critique 
des textes des auteurs, par Félix Guillon. Orléans, Paris, 



iSSi. — Note supplém. à G. de Lorris et au Testament 
d'A. de Poitiers, par L. Jarry, 1881. — Guy Fabi et Guil- 
laume de Rebrechien par J. Doinel. Orléans 1887. — Note 
additionnel à Guy Fabi. Guillaume le Doyen, auteur du 
Roman de la Rose, par le même. 

F. HeinrichyonUeberden Stil. Guillaume de Lorris und 
Jean de Meung. Marburg, 1 885 (Ausg.und AbhandI .(XXIX). 

Manuel d'ancien français. — La littérature française au 
moyen-âge (xi-xiv« siècle) par G. Paris, 1888. — Origines 
et sources du Roman de la Rose^ par E. Langlois. Paris, 
1891. Dans les dernières pages Tauteur annonce une pro- 
chaine édition de ce Roman qui € est, dit-il, sans nul doute, 
un des monuments littéraires les plus importants du 
moyen-âge ». 

— Histoire de la Langue et de la Littérature Française,' 
des origines à 1900, publiée sous la direction de L. Petit de 
Julleviile avec la collaboration de professeurs, etc. Le cha- 
pitre III du tome II est consacré au Roman de la Rose et 
à ses deux auteurs par E. Langlois. 

On nous pardonnera cette longue nomenclature — trop 
longue, peut-être, pour le lecteur, — d'ouvrages et d'au- 
teurs depuis le xiii* siècle jusqu'à nos jours, mais ce travail 
était nécessaire pour établir, une fois pour toutes, et cela 
d'une manière indiscutable, l'immense renom qu'ont eu 
pendant plus de six cents ans le Roman de la Rose et ses 
auteurs. Nous n'ajouterons rien aux éloges donnés dans 
ces extraits à G. de Lorris et surtout à Clopinel et à leur 
œuvre commune; nous nous contenterons simplement 
de dire ici que la littérature du moyen-âge n'offre point 
d'exemple d'un ouvrage qui, pendant tant de siècles, ait joui 
d'une aussi grande renommée. 

Maintenant Guillaume de Lorris et Jean de Meung, sont 
plus que jamais à l'ordre du jour à Meung, à Orléans, 
comme à Paris. Les noms des deux auteurs du célèbre 
Roman, ont été donnés à Orléans, à deux tronçons de l'an- 
cienne rue Torse (faubourg St-Jean); et celui du continua- 
teur à une des rues de la ville où il naquît. L'Edilité pari- 



— 187 - 

sienne a, au n* 218 de la rue St-Jacques, fait poser cette 
inscription sur marbre blanc : « Ici était la maison où Jehati 
de Meung composa le Roman de la Rose. — i270-i3o5. » 

Comme renseignements complémentaires, nous dirons 
qu'à la suite de différents articles parus en 1896 dans la 
Presse Orléanaise, et de plusieurs conférences publiques, 
un comité fut constitué à Meung (Avril 1897), pour l'érec- 
tion, dans cette ville, d'un monument à Clopinel, — Le 
Comité d'honneur, placé sous la présidence de M. J. Lc- 
maître, de l'Académie Française, compte parmi ses 
membres MM. les sénateurs, députés, conseillers géné- 
raux du Loiret; les conseillers municipaux des villes d'Or- 
léans et de Meung; plusieurs négociants, officiers ministé- 
riels du département. — Le Comité local est sous la 
présidence de M. le D' Veillard, conseiller d'arrondis- 
sement et maire de Meung. 

On lit dans le Journal du Loiret du 27 février 1898 : — 
« Le Comité du monument de J. de Meung, à Meung, nous 
communique la note suivante : a Le Comité d'exécution 
s'est réuni le 22 février à la mairie de Meung pour examiner 
les différentes propositions qui lui étaient faites. Son choix 
s'est arrêté sur deux projets présentés par des Orléanais, 
MM. Desvergnes, statuaire, et Dutemple, architecte à Paris. 
Les souscripteurs pourront s'assurer de la valeur artis- 
tique de ces maquettes qui sont exposées chez M. Pensuct, 
horloger à Meung. L'une, surtout, est une œuvre vrai- 
ment remarquable qui fait le plus grand honneur à sei 
auteurs; le Comité serait heureux de pouvoir en assurer 
l'exécution et rappelle, à ce sujet, que la souscription est 
toujours ouverte. » — Nous apprenons de source autorisée, 
que le chiffre de cette souscription s'élève actuellement à 
la somme de 5. 000 fr. ; et que la cérémonie pour Térection 
du monument au continuateur du Roman de la Rose^ aura 
lieu en 1904. ' 



APPENDICE I-. 



Oà Ton ebcrrh# & fixer & quelle époque Clopinel se mil & eon- 
tlDuer le • Roman de la Rose »» 



On a longuement écrit et disserté pour connaître la date 
à laquelle Clopinel continua le Roman de la Rose. Fauchet, 
le premier biographe de notre poète, considérant la 2* par- 
tie du roman, comme une production de Tâge mûr et non 
d'un jeune homme, en a fixé la reprise au commencement 
du règne de Philippe IV, ou, au plus tard, à Tan i3oo. — 
Son sentiment a été suivi par La Croix du Maine, du 
Vcrdier et plusieurs biographes. 

Raynouard, Quicherat et d'autres savants et littérateurs, 
au contraire, citant plusieurs passages de ce roman qui 
parlent de Mainfroi, Conradin, Henri d'Espagne, et au 
temps présent^ de Charles d'Anjou, « ores de Sesile rois », 
s'en sont autorisés pour dire qu'ils avaient été écrits par 
Clopinel avant i285, date de la mort de Charles, et même 
avant 1282, année des Vêpres Siciliennes puisque le poète 
invoquant Dieu pour qu'il garde ^ défendent conseille Charles, 
ne fait pas mention de cet événement. — Déduisant alors 
de ce millésime les 40 ans annoncés par Clopinel, comme 
temps écoulé entre le moment où il reprit le roman et le 
trépas de G. de Lorris, ils en tirent cette conséquence que 
ce dernier serait mort à 26 ans, entre i235 et 1240(1); puis, 

(i) C'est ce que disent les biographes ou commentateurs, entre 
autres M. Croissandeau : € Il est certain que G. de Lorris mourut 



— 189 - 

que Clopinel, né vers iiSo, était âgé de .25 ans environ au 
moment de la continuation en 1270, ou 1275 ou 1280, 
qu'ils regardent comme étant une œuvre de sa jeunesse, 
d*après ce qu*il déclare dans son Codicille : « J^ay fait en 
ma jonesse maints dits par vanité, ou maintes gens se sont 
plusieurs fois délité... qui pou m*ont proufiSté. » (Pithou, 
Raynouard, Quicherat, P. et G. Paris, Langlois, etc.). 

Le dii ou ditié était une pièce de vers de peu d'étendue 
qui comptait cent ou quelques cents vers, et très rarement 
atteignait le nombre de mille. Or, le Roman de la Rose^ 
se composant de plus de 22.000 vers, ne peut, en toutou en 
partie, être considéré comme un dit; du reste, les deux 
auteurs déclarant plusieurs fois que leur œuvre' est un 
roman : <c Cy est le Rommant de la Rose. — Cist aura le 
Romanz si chier. — Li jolis Romans de la Rose. » Il n'y a 
pas d'autre titre à lui donner. — Par les mots maints 
dits qui pou luyprouf /itèrent^ Clopinel n'a voulu rappeler 
que les pièces de poésie légère qu'il composa étant jeune, 
et dont parle le Dieu d'Amours à ses barons. (V. ci-dessus 



jeune à 26 ans. » (I-XVIII, XXIII.) — Ainsi, d'après cet auteur, GuU- 
laume serait mort au moment où il commençait le Roman de la Rose; 
et les 4000 et quelques cents vers qui lui sont attribués, auraient alors été 
écrits par lui, dans l'espace de quelque mois, sans aucune difficulté, tant 
pour la mesure que pour la rime I C'est là une grosse erreur com- 
mise par M. Croissandeau, qui a lieu de surprendre de sa part, puis- 
qu'il a traduit l'œuvre de Guillaume où rien de semblable ne se lit. Le 
poète débute par dire qu'à vingt ans, il eut un songe qu'il raconte 
cinq ou six ans après : < Au vintiesme an de mon aage. Il a jà 
bien cinc ans au moins. » — Sa déclaration est formelle. — Les six vers 
en forme de titre de chapitre qui relient la i^ partie à la 2e, annonçant 
qu'en cet endroit Guillaume trespassa,,, sont l'œuvre des copistes; ils 
ne se trouvent point dans les plus anciens manuscrits du Roman. Le mot 
trespassa veut dire que le poète en cet endroit, cessa de s'occuper de 
son œuvre, puisque, plus loin, le continuateur le représente comme 
étant CTï péril de morir. — Quant aux 40 ans écoulés entre la reprise 
du Roman et le trépas de Guillaume, il n'y a pas îieu d'en tirer argu- 
ment. Le mot quarante a été mis pour la mesure du vers et pour la 
rime ; et, malgré son affirmation que je ne mente, Clopinel n'était pas 
plus renseigné sur l'époque de la mort de G. de Lorris que sur son 
lieu de naissance, [v. ci-dessus p. 16, note, — Et notre Etude sur G. de 
Lorris où ces questions ont été examinées longuement). 



— 190 — 

p. 12, i3.) — Toute discussion, sur ce point, nous semble 
donc close. 

Les vers qui font mention de Charles au temps présent, 
ont été composés non par Clopinel mais par G. de Lorris. 
Ce dernier écrit après que ce prince a été investi du 
royaume de Naples et de Sicile (1264-65), et au moment 
de la bataille de Tagliocazzo (1268), où il défit Conradin, 
Frédéric d'Autriche et Henri d'Espagne. Tout moyen de 
contrôle lui manque ; il ne fait que reproduire les bruits 
populaires qui circulaient alors sur ces événements. C'est 
d'après ces bruits qu'il dit que Charles fit mourir le prince 
Henri en prison : « Henri frère le roi d'Espaigne. — Plain 
d'orguel et de traïson. — Fist-il morir en sa prison (i). ». 
En réalité, Henri, 3* frère d'Alfonse le Sage, roi de Cas- 
tille, c ne fu pas decolez pour ce que le roy l'avoit promis 
à Tabbé de Mohtcassin *, et fu mis en une cage de fer une 
chaene à son col et fu menez par toutes les citez du païs et 
montrez au peuple », puis enfermé dans une place forte de 
la Fouille d'où il ne sortit qu'en 1286, après 17 ans de cap- 
tivité. 
Ainsi s'explique l'erreur commise par G. de Lorris. 
Mais il ne saurait en être de même, si Ton veut que ces 

. vers aient été écrits par Clopinel : l'erreur alors ne se com- 
prendrait guère ; car le poète pouvait obtenir des chevaliers 
de France qui passèrent en Italie, tous les renseignements 
désirables sur cette expédition qui eut le caractère d'une 
véritable croisade ; sur les personnes qui y prirent part et 

■ les faits qui suivirent. Et, de plus, il n'aurait pas manqué 
de parler ici ou dans le cours du roman, du massacre des 
Vêpres Siciliennes f en 1282, qui eut un si grand retentis- 
sement en Italie, en France, en Espagne ; et alors, il aurait 
invoqué Dieu en faveur de Charles et maudit ses adver- 



(i) Ainsi fit B. Latini qui composa son Trésor au même temps : 
« L'ost Corradin perdi del tout et à la desconfiture. Corras meismes 
ec li dus d'Osterice et maint autre gratU seigneur furent pris et eurent 
les testes eolpées. » 



— 191 - 

saires. Du reste, quoiqu'on n'attribue généralement h 
G. de Lorrisque les 4.149 premiers vers du roman, des 
commentateurs pensent, et avec juste raison, qu'il continua 
son poème jusqu'à l'endroit où le Dieu cT Amours annonce 
à son ost que Guillaume est en péril de mourir, et Jean qui 
est à naître (vers 10. 114 et suivants. V. ci-dessus p. 43, 
45, 46, notes.) 

II faut en conclure que les vers qui visent Charles d'An- 
jou, Conradin et Henri d*Espagne, ont été écrits par G. de 
Lorris et non par Clopinel pour qui ces faits, datant de 
plus de trente ans, n'offraient aucun intérêt pour le travail 
qu'il avait entrepris à la demande de Philippe IV. Et ce 
qui vient encore le démontrer, ce sont ces autres passages 
du roman qui, jusqu'ici, n'ont été l'objet d'aucune remarque 
critique. 

Clopinel fait raconter par Faulx^Semblant la « grande 
descorde » entre l'Université et les moines mendiants, qui 
eut lieu i c En l'an de l'Incarnacion mil et deus cens cinc 
et cinquante, (n'est homs vivans qui m'en démente.) » 

M. P. Paris veut que le discours prononcé par Faulx- 
Semblant ait été composé par le poète au temps même de 
cette descorde^ en 1254-55.. — C'est, comme nous le disons 
page 3, note i""', une singulière et grave erreur de sa part. 
Clopinel par le vers : « N'est homs vivans qui m'en dé- 
mente », fait appel à la mémoire des personnes âgées de 
5o ou 60 ans et plus, qui ont connu ou assisté à ces événe- 
ments, et cela fort à propos de sa part, puisqu'il écrit ce 
long passage du Roman au moment où commence la cé- 
lèbre querelle entre Philippe IV et Boniface VIII, en 1296, 
ainsi que nous pensons l'avoir démontré dans les commen- 
taires. 

Puis cet autre passage, qui confirme pleinement ce qui 
précède, où Clopinel fait dire à Nature : 

Chevaliers as armes .hardis, 
Preus en faiz et cortois en dis 
Si cum fu mi sires Gauvains 
Qui ne fu pas pareus ni vaine, 



— 492 — 

Ei It bons quens d'Artois Robsrs, 
Qui dis lors qu'U tssi du hors, 
Hanta tous les J ors de sa vie 
Largece^ honor, chevalerie, 
N'one ne liflot oiseus sejors 
Ains devint homs devant ses j ors. 

Dans Tanalyse que nous donnons du Roman de la Rose, 
nous disons (p. 78, note 2), à propos de ces vers : c Est-ce 
le frère de saint Louis, Robert I*', comte d'Artois, tué 
à Mansourah, en 1250, ou son iils Robert II, tué àCourtrai, 
exx i3o2, qui est visé par le poète? — La réponse a une 
importance capitale pour décider à quelle date ces vers ont 
été composés, et, par suite, fixer celle de la reprise du 
poème par Clopineh » 

Un grand nombre d'auteurs (Raynouard, Michaud, 
Croissandeau, etc.), écrivent que c'est de Robert I*', dont 
le poète veut parler. Ce prince^ né en 12 16, armé chevalier 
à 22 ans, n'est guère connu dans l'histoire que par son 
refus d'accepter la couronne impériale qui lui fut offerte 
par Grégoire IX; et surtout par le désastre de Mansourah 
où il fut tué. Cette défaite due à son incapacité, eut pour 
résultat de faire avorter la 7» croisade. La notice que 
Moreri lui consacre se réduit à ces quelques mots. Après 
cela, Ton se demande quels furent les exploits qui lui 
valurent le surnom de vaillant^ et comment les vers du 
poète pourraient lui être appliqués? 

Il en est autrement, si l'on admet que c'est de son fils, 
Robert II, dont veut parler le poète. L'histoire est alors 
d'accord avec le Roman, et chaque vers a son application, 
sans longs commentaires. 

Robert II, comte d'Artois, né en 1248-49, fut fait cheva- 
lier par Saint- Louis en 1267, à 17 ou 18 ans, au lieu de 
21 ans, âge requis pour recevoir l'ordre de chevalerie. 
Ainsi se trouve expliqué le vers, c Ains devint homs 
devant ses jors ». 

Ici, chaque mot a son importance. Dans la langue du 
moy en-âge, on n e devenait réellement homs, que lorsqu'on 



— 193 — 

avait ceint le baudrier et'le droit de porter lance, haubert 
et éperons d*or ; alors, mais alors seulement, on pouvait 
prendre part aux tournois et aux fêtes chevaleresques, d*où 
étaient exclus ceux qui n'avaient pas reçu Tordre de che- 
valerie. 

Dans notre Elude sur G. de Lorris où nous dissertons 
longuement sur cette question, nous disons (page 33 et s.), 
diaprés Laurière et Sainte-Palaye, que nos anciennes lois 
fixèrent à 21 ans, la majorité des nobles pour l'admission 
à la chevalerie, comme pour l'obligation d'accepter le 
duel. En 1 238, Saint-Louis fit chevalier Robert, alors âgé de 
iS anSj et l'investit du conité d'Artois; puis en 1241, 
Alfonse dffé de Si ans^ à qui il donna les comtés d'Au* 
vergne et de Poitou. — Charles d'Anjou fut armé cheva- 
lier à 26 ans; et Philippe III, dit le Hardi, à 23 ans. 

Si Saint-Louis se conforma à ces prescriptions pour ses 
frères et son fils, il y fit, cependant, exception en faveur du 
jeune Bohémond, prince d'Antioche qui, d'après Joinville, 
n'avoit point encore plus haut de seize ans ; et en faveur de Ro- 
bert II d'Artois, âgé de 17 ou 18 ans, qu'il jugea dignes par 
leurs mérites de recevoir l'ordre de chevalerie ; d'être intro- 
duits au Temple de la Gloire avant Tàge fixé, les trouvant 
« vieux et mûrs en cela » phrase usitée parnos chroniqueurs 
en pareille circonstance (Velly, IV-7, citant Brantôme), et 
qui se rapproche singulièrement du vers : Ains devint homs 
devant ses jors. » 

Quelque jeune d'âge que Ton fût, dès qu'on avait été 
reçu chevalier, on était émancipé, un vrai homme pouvant 
« user des armes et de ses droits, (Militaribus eum in virum 
perfectum dedicavit sacramentis), un membre de l'État, 
au lieu que jusqu'alors, on ne l'avait été que de sa famille » 
(Sainte-Foix, Essais, 3-89.) 

Aussi pour Clopinel, qui connaissait parfaitement les 
hommes et les choses, pour lui ,et pour tous nos anciens 
auteurs, un noble non encore chevalier^ n'était pas homme 
dans le sens qu'on attachait à c.e mot à ces époques ; c'est- 

13 



— 494 — 

à-dire qu'il n'était pas encore parvenu à Tàge fixé pour 
recevoir Tordre de chevalerie et posséder fiefs. C'est l'in- 
terprétation qui lui est donnée par nos historiens. « On 
ne naissait pas chevalier, dit Wallon, on le devenait jquand 
on avait atteint l'âge d'homme^ 2i ans^ à la suite de céré- 
monies moitié religieuses, moitié militaires (Saint-Louis 
2-116.) 
Ces citations nous autorisent donc à dire que le vers : 

€ Ains devint homs devant ses jours » , 

concerne Robert II d'Artois, armé chevalier à 1 7 ans, et non 
son père Robert I*', promu à cette dignité à 22 ans. 

C'est faire erreur que de traduire le même vers par « fut 
homme avant la puberté », comme a fait M.Croissandcau, 
et de prétendre qu'il vise Robert K. —M. P, Paris tout en 
adoptant comme nous Robert II, interprète aussi inexacte- 
ment les vers du poète. « Robert d'Artois, second du nom, 
fut tué le 10 juillet i3o2, à la bataille de Courtrai, et, dit-il, 
une mauvaise interprétation de ce passage avait fait croire 
que J. de Meung avait achevé le Roman de la Rose^ après 
cette date. Mais au soin qu'il prend de parler de la première 
enfance du prince, à ce qu'il ajoute « qu'il devint homme 
devant ses jours », c'est-à-dire avant fdge ordinaire de la 
virilité j il fallait plutôt conjecturer que J. de Meung s'expri- 
mait ainsi quand Robert était encore assez jeune y c'est-à-dire 
de i265 à i270; et cette indication fortifie ce qu'on a déjà 
dit du temps où r ouvrage put être composé. » (Hist. litt. 
23.43.) , 

A l'argumentation qui précède^ ajoutons pour répondre 
à M. P. Paris, que Clopinel parle du comte d'Artois, comme 
d'une personne qui n'existe plus; et qu'il propose en exemple, 
avec Gauvain, un des héros de la Table-Ronde : « Si cum 
fu mi sires Gauvains, — Et li bons quens d'Artois Robers. » 
On ne donne donc pas, comme le prétend ce savant, « une 
mauvaise interprétation de ce passage d, mais, au contraire, 
on est exact en disant que Clopinel n'a continué le Roman 
qu'en 1296, et que les vers qui visent Robert II, n'ont été 



— 495 - 

composés qu*après i3o2, année de la bataille de Courtrai, 
où ce prince fut tué. 

Complétons sa biographie. — Robert II se croisa en 1270; 
assista au sacre de Philippe III, où il tint Tépée Joyeuse, 
de Charlemagne, c laquelle doist estre baillée au plus loyal 
et plus prud'homme du royaume » ; et prit une part très 
active aux affaires de son temps. En 1276, il dirigea l'ex- 
pédition de Navarre, et après alla gouverner le royaume 
de Naples pendant la captivité de Charles II. — Philippe IV 
le mit à la tête de l'expédition d'Aquitaine pour en chasser 
les Anglais, puis lui conféra la pairie. Robert suivit le roi 
à la guerre de Flandre ; y commanda un corps d'armée et 
gagna la bataille de Furnes (1297). — Il assista aux Etats 
Généraux et prit parti pour le roi contre Boniface VIII 
(i3o2). La môme année, Robert conduisit l'armée desti- 
née à soumettre la Flandre, et livra la bataille de Courtrai. 
« Le troisième jour après la bataille on recueillit, dit la 
Chronique de Saint-Denis, le corps du très noble comte 
d'Artois, dénué de vôtures. » (Daniel, Velly, H. Martin). 

A ces quelques lignes résumant la vie active et occupée 
de Robert II, et justifiant pleinement le vers de Clopinel : 
« N'onc ne li plot oiseus séjors », nous ajouterons que ce 
prince, protecteur des poètes, est cité maintes fois par eux, 
avec les plus grands éloges. Rutebeuf fait figurer dans 
Li diz de la voye de Tunes ^ li bocns cuens d'Artois; — le Roi 
Adenez termine son poème de Cléomadès par des vers 
d'envoi : » A noble conte, preu et sage, — D'Artois, qui 
a mis son usage. — En Dieuhonnorer et servir. » Et enfin, 
Clopinel, qui lui a consacré les vers sur lesquels nous dis- 
sertons, et où il fait mention de la largesse, de l'honneur, • 
de la chevalerie, de l'activité du prince, qualités qui lui 
valurent de la part de Saint- Louis, d'être armé chevalier à 
17 ou 18 ans, c'est-à-dire d'être émancipé, fait homme 
avant ses jours, avant 21 ans. 

Nous pensons avoir suffisamment établi que le poète a 
voulu parler de Robert II, tué à Courtrai, en i3o2; et 
conséquemment que ce passage qui se trouve presqu'à I4 



fin du Roman de la Rose (vers 1Q488 et suivants), a été 
écrit après cette date de i3o2, puisque le comte d*Ârtois est 
représenté comme une personne qui n'existe plus. — Est- 
il bien nécessaire après cette démonstration, de reproduire 
ici ce que le Dieu (T Amours dit à son os/, que Clopinel finira 
le Roman « se tens et leus l'en peut venir — et si qu'il puist 
vivre longuement ». Cest le poète lui-même qui parle. 
Or, cela ne se dit ni ne s'écrit à 20 ou 25 ans, ni même 
à 3o ans, mais bien lorsqu'on a déjà un certain âge qui fait 
craindre de ne pouvoir achever l'œuvre commencée, et 
explique alors le souhait que l'on forme. 
[{ Ayant repris le poème de G. de Lorris en 1296, Clopinel 
iraurait terminé avant novembre i3o5, date où il cessa de 
'vivre, soit 7 ou 8 ans consacrés à cette composition entre- 
prise par lui pour soutenir les vues politiques de Phi- 
lippe IV (i); mais non sans intervalles et se mettre, entre 
temps, à la traduction de la Consolation de Boëce, à son 
Testament et à son Codicille. — Il nous paraît difficile de 
donner une meilleure interprétation des vers du poète. C'est 
dirons-nous encore une fois, de Robert II dont il a voulu 
parler et non de Robert i*'. La date de la continuation faite 
par lui du Roman de la Rose, est maintenant fixée, d'après 
la déclaration même de Clopinel. 

(x) < J. de Meung ne se trouva mêlé en rien auxgrands événements 
du règne de Philippe IV, » dit M. Croissandeau (I.XXIV). — Le 
poète ne fît acte politique que par le Roman de la Rose, Or comme . 
M. Croissandeau place la reprise du Roman vers 1270, 1275, et son - 
achèvement avant 1280, que vient faire ici Philippe IV, qui ne régna 
qu'en 1285, puisque d'après les dates données par lui, on est en plein 
règne de Philippe III, roi plus dévot que son père lui-même P Et alors 
comment expliquer les vers visant royauté, noblesse, moines, clergé, 
papauté, dont le même auteur signale à la fois la vigueur et la har- 
diesse? — La réponse est fournie par nos commentaires. 



- 197 - 



APPENDICE II 



CSnUlannie de Lonris* 



L'histoire littéraire du xiW siècle, est absolument muette 
sur le Roman de la JRose, et sur son premier auteur; — et 
exception faite du continuateur, — pas un des nombreux 
poètes, trouvères pu troubadours, qui vécurent à cette 
époque, ne fait mention ni de lui, ni de son œuvre. — Si, 
aujourd'hui, nous savons que Guillaume de Lorris en est 
l'auteur, c'est grâce à Jean Clopinel, dit de Meung. C'est le 
premier et le seul, qui lui attribue la paternité de ce poème, 
une des productions les plus remarquables de notre an- 
cienne littérature. 

Comment le continuateur du Roman de la Rose le sut-il? 
— Dans la première partie du Roman, on ne trouve ni les 
nom ou prénom de l'auteur, ni la mention de son lieu de 
naissance. On y lit, il est vrai, des vers, d'abord ceux où le 
Dieu d'Amours enseigne ses commandements à l'Amant- 
poète^ de faire appertises d'armes, courir des lances, caroler, 
danser, dépenser largement comme doit faire bachelier, etc., 
qui nous apprennent qu'il était de condition noble (i); 
puis d'autres où il parle des nez d'Orlénois qui peuvent être 
un indice pour le lieu de naissance : mais rien de plus, du 
moins, en apparence. 

G. de Lorris a-t-il voulu pour des raisons personnelles, 
se faire connaître seulement de la femme qu'il chantait, et 
à l'exemple des poètes, ses contemporains ou devanciers 



(i) M. Croissandeau a traduit ces passages, ainsi que ceux de Déduit, 
du comte d'Artois, etc, mais machinalement, sans qu'ils attirent son 
attention, et sans souci des mœurs, usages et coutumes d'une époque 
dont il aurait dû faire une étude spéciale avant d'aborder la traduc- 
tion du Roman de la Rose. 



— 198 — 

usant d'acrostiches, jeux de mots ou devînailles dans leurs 
ouvrages, garder une sorte d'anonymat? Il s'est, en tout 
cas, assuré la possession de son œuvre par une ingéniosité 
toute nouvelle, pouvant passer inaperçue, dans les vers 
oii il décrit le costume de Déduit : 

Jones damoisiaus 

D'un samit portret à oysiaus 

Qui ère tout à or batus 

Fu ses corps richement vestus. 

Déduit^ ce jeune damoiseau, dont il se complaît à faire le 
portrait, cité seulement à cet endroit du Roman, à propos 
du vergier où se trouve une nombreuse et brillante com- 
pagnie de personnes des deux sexes se livrant aux plaisirs- 
de la danse, de la musique, du fiirtage, n'est autre, x:omme 
nous le disons ailleurs (p. 76 de notre Etude sur G. de 
Lorris), que le poète lui-même en quête de semblables 
déduits, plaisirs; et qui, dans le cours du roman, reparaît 
sur la scène sous le nom àC Amant. 

Ces vers mis ici négligemment par le poète, décrivent 
un blason : D'Or^ à trois aiglettes de... {gueules). Or, ce 
blason estle sien, celui de sa famille* Il s'en sert pour mar- 
quer son œuvre. On n'ignore pas qu'alors les figures ou 
signes héraldiques représentés sur les écussons, les vête- 
ments, les caparaçons des coursiers, sur les monuments, 
étaient compris de tous et expliqués couramment, même 
par le vulgaire. 

Le Roman de la Rose entre toutes les mains et donnant 
lieu à de multiples dissertations jouissait d'une grande 
popularité; il entrait trop par sa nature dans les mœurs 
galantes et chevaleresques du temps pour qu'il n'en fût pas 
ainsi. Du reste, la continuation que fit Clopinel de ce 
poème prouve surabondamment sa popularité. — Ce der- 
nier, sans doute, renseigné par les vers cités, put dire avec 
certitude que G. de Lorris était l'auteur du Roman de la 
Rose. Renseignement important, essentiel, il est vrai; mais 
le continuateur en omettait un autre non moins impor- 



— 499 — 

i 

tant, celui d'indiquer le lieu de naissance du poète; — et 
cela est d'autant plus surprenant de sa part, que pour lui 
personnellement, il n'oublie pas de dire qu'il naquît à 
Meung-sur-Loîre. 

Cette omission a-t-elle été volontaire ou non ? 

A cette époque, on trouve plusieurs personnes dénom- 
mées Guillaume de Lorris, Loris, Loriz ou Lauris : 
I* Guillaume de Loriz dans le Roman de la Rose; — 
2® Guillaume de Lorriz, comptes de rhôtel d'Âlfonse de 
Poitiers; — 3* Le même, sans nul doute, cité dans le 
Testament d'Alfonse ; — 4« Guillaume de Lory, Lorrys ou 
Loury dans la généalogie dressée par Hubert, des sei- 
gneurs de ce nom; — 5* Guillaume de Lauris, gentilhomme 
provençal qui complimenta Charles d'Anjou sur son 
mariage avec Béatrix. 

Ecartant de suite ce dernier, il reste ceux du roman^ 
des comptes d'hôtel, du testament et de la généalogie, qui 
ne sont qu'une seule et môme personne, comme nous 
allons le démontrer par la recherche du lieu de naissance, 
restée pendante jusqu'en i584. 

J. Molinet (i5o3) et Cl. Marot (1527) dans leurs éditions 
du Romande la Rose parlent peu ou point des deux auteurs; 
— Fauchet (i58i), du Verdier Vaupryvas (i584), Thevet 
(1384), dans les articles biographiques consacrés par eux 
à notre poète, ne font aucune mention de son lieu de nais- 
sance. C'est, pensons-nous, La Croix du Maine qui, le pre- 
mier a, dans sa Bibliothèque Françoise (1684), cherché à 
fixer l'opinion sur ce point : « Guillaume de Lauris ou de 
Lorris en Gastinois. » Le biographe ne se mit pas long- 
temps martel en tête, et sans plus longues recherches, il 
fit naître le poète à Lorris en Gàtinais, alors connu par sa 
célèbre coutume; et depuis et d'après lui, cette assertion' 
a ^té acceptée et reproduite par tous, sans plus ample infor- 
mation. 

Nous avons parlé des enseignements donnés par le Dieu 
d'Amours à V Amant-poète ; de \ hommage que ce dernier 
rend à ce Dieu lui donnant le baisera la bouche « à qui nul 



— 200 - 

vilain homme ne touche »; des appertises (T armes etc., qui 
ne convenaient et ne pouvaient convenir, on le reconnaîtra 
avec nous, qu'à un noble, et non à un roturier, à un chétifs 
venu. De par ces enseignements, la position sociale de 
l'auteur du Roman de la Rose est donc connue. 

G, de Lorris étant noble peut-on lui assigner Lorris en 
Gâtinais comme lieu de naissance ou pays d'origine ? — La 
particule de^ à cttte époque comme aujourd'hui, exprime 
un rapport d'origine ou de possession. On est du lieu 
comme bourgeois ou comme seigneur, possesseur. Or, 
Lorris en Gâtinais, ancienne châtellenie n'ayant jamais eu 
d'autres seigneurs que les rois de France, ne peut en au- 
cune façon, être pris comme lieu de naissance du poète, ni 
lui ayant donné le nom: de Lorris. Il faut donc chercher 
ailleurs le fief ou la seigneurie qui a valu à sa famille le nom 
de Lorris. 

Nous trouvons ce renseignement important, qui vient 
réparer l'oubli de Clopinel,-dans les manuscrits d'Hubert, 
chanoine de l'Eglise d'Orléans, qui vivait au xvii* siècle. 
— Tome I*», page 281, de son Histoire de l'Orléanais 
(manuscrits 436. B. P. d'Orléans), on lit que Loury-aux- 
Bois (Loriaco, Loriacum et Lauriacum, rendus par Lory, 
Lorrys et Loury), eut des seigneurs particuliers dès le 
xi« siècle; — le premier connu Gilles de Lory ou Lorry 
prit part à la I" Croisade (1096) ; — puis suit en dix pages 
in-4®, avec dates, alliances, fonctions, etc., une généalogie 
de ces seigneurs qui avaient pour armes : D^or^ à la fasce 
dazuTy accompagnée de trois aiglettes de gueules; parmi 
lesquels figurent Guillaume et Eudes, son frère, tous les 
deux fils d'Adam, puîné des sires de Loury et chef de cette 
branche cadette, sans autres détails. 

Au tome H du même ouvrage, liv. X, ch. 11 : « Des 
quelques illustres Orléanois ou des environs », Hubert fait 
mention de Guillaume de Loury qu'il nomme Lorrys, lui 
^xxv'xbMtXa Romande la Rose ; donne quelques renseigne- 
ments biographiques sur ce personnage, « issu^ dit-il^ de race 
noble et d'ancienne chevalerie », celle des sires de Loury. 



— 201 — 

Guillaume est notre poète ; — Eudes, son frère, fut cha- 
noine et chevecier de l'église d'Orléans, conseiller au Par- 
lement de Paris en 1268 et évêque de Bayeux. Et quoique 
le même historien dise à l'article Lorris en Gastinois, 
même ouvrage, que l'auteur du Roman de la Rose était 
originaire de cette petite ville, ce n'est là de sa part, qu'une' 
réminiscence de l'assertion de la Croix du Maine ; elle 
. tombe d'elle-même en présence de ce qui est écrit par lui 
1 à l'article Loury et à celui des Illustres Orléanais; et 
\ encore du texte si précis du P. Anselme. Dans son His- 
1 toire généalogique de la maison de France, cet auteur fait 
mention au tome II, d'Eudes de Lorris à qui Saint-Louis 
\ fit don, en i256, de la maison de Corpalay, etc. ; — de 
\Gillesde Lorris, évêque et comte de Noyon, pair de France 
et conseiller du roi, mort en i388. — Il dit qu'ils apparte- 
"laient à une famille de ce nom qui avait pour armes : D'or^ 
^ la /asce cTazur^ accompagnée de trois aiglettes de guetiles. 
\ Si nous rappelons ici que ces armes sont celles des sei- 
gneurs de Loury, et que Eudes, était le frère cadet de Tau- 
tèir du Roman de la Rose, la, démonstration quant à la 
condition sociale de Guillaume de Lorris et de son pays 
d'origine, sera complète. L' absence même de la, fasce d'azur 
dtxh la description du blason de Déduit : D'or à trois 
aighttes {de gueules)^ viendra encore à l'appui, puisque 
Guilaume, issu de puîné, ne faisait pas figurer dans son 
blasCi, cette pièce héraldique, comme brisure dont Tusage 
date ç ce temps môme; les armes pleines appartenant 
seules^ la branche aînée.. 

Poa compléter la biographie de notre poète nous ajou- 
teronsVue Guillaume, né vers I2i5, aurait d'après M. G. 
Paris, lit ses études « aux écoles d'Orléans dont il était 
voisin \ qui était alors le centre de l'étude des clas- 
siques làjns. » — Sans fortune comme sans possession 
de fiefs, :\mtra au service du comte de Poitiers et fit partie 
de son hôVi. H est cité dans un compte de dépenses de la 
maison dyfonse de l'an 1245, parmi les familiers qui 
reçurent d\ robes à la fête de l'Ascension. Il y est des 



mieux traités, car il est du nombre de ceux qui reçurent 
à cette occasion une somme de 5o sols à titre de pré- 
sents (i). 

C'est à vingt ans environ qu'il fit la rencontre de cette 
« dame de hault pris », que cinq ou six ans après, il nous 
fait connaître dans le roman sous le nom allégorique de 
Rose. Cette dame ou demoiselle appartenait-elle à la no- 
blesse de rOrléanais ; ou à Tune de ces familles qui pre- 
naient part aux chasses royales dans la grande forêt des 
Loges; était-elle enfin parmi celles faisant partie de l'hôtel 
de la comtesse de Poitiers ? 

La discrétion dont a fait preuve ici le trouvère Orléanais, 
laisse le champ libre à toutes les conjectures (2). Quoi- 
qu'il en soit, nous croyons que Guillaume obtint la main i 
de celle qu'il aimait si ardemment, et cela, à l'époque 
même où il composait pour elle le Roman de la RosCy ^. 
28 ou 3o ans. Il nous répugnerait d'admettre que mari4 
il eut osé chanter dans un aussi long poème et avec le 
détails amoureux et passionnés que Ton connaît, une aut/e 
femme que celle qui fut la sienne. Est-ce à dire qu'uie 
fois marié avec cette RosCj — ou toute autre personne,; — 
dont il eut Jean et Etienne, mentionnés ci-après, Guillaime -^ 
cessa tout à fait de s'occuper de son poème ? — Ce? le 
contraire qu'il faudrait croire, car quoique le but, ;our 
lequel il l'avait entrepris, fut atteint, l'amour lui ivait 

/ 

(x) Livrées ou présents de robes, manteaux ou vêtements ;iue les 
rois, princes, et grands seigneurs avaient coutume de faire à P^ues ou 
à Noël, aux chevaliers et personnes nobles qui étaient attacha à leur 
service. C'est ce qu'on appelait être aux draps du roi, du conç^i ou de 
rhôtel du roi. / 

(2) On avait, jusqu'à présent, pensé que le poète en do^s^nt à sa 
mie, le nom de Rose^ avait voulu, par discrétion, comme nov ie disons 
p. 30, note 3, ne pas faire connaître son véritable nom. Il^'en serait 
pas ainsi d'après M. Doinel qui a découvert que la femme^^ntée par 
-G. de Lorris, s'appelait réellement Rose de ChÂteauneii (sur Loire, 
Loiret) ; — Et les château et jardin de Déduit et de Beauj tit seraient 
autres que l'ancien Castel de Chalençois (Castrum Lii^n), à Chà- 
tèauneuf, — Nous n'y contredirons point et laisserons f^» Ooinel le 
mérite de cette découverte 1 




— 203 — 

donné le feu sacré : il était poète. Il dut lire et relire son 
œuvre, soigner son style» considéré comme un des plus 
. élégants de Tépoque ; se complaire enfin dans ses descrip- 
tions dont plusieurs « ont été citées depuis longtemps 
parmi les meilleurs spécimens de notre ancienne poésie. » 

Faisant partie de l'hôtel d*Âlfonse, Guillaume dût néces- 
sairement accompagner ce prince au voyage d'outre-mer -, 
arriver avec lui à Damiette en octobre 1249, ^près la prise 
de cette ville par Saint-Louis ; prendre part à la journée 
de Mansourah et aux nombreux combats qui suivirent 
celui livré le 1 1 février i25o, où le comte de Poitiers faillit 
être fait prisonnier par les Sarrasins. 

La môme année 1260, il revint en France avec le prince 
auquel il resta constamment attaché ; se remit au Roman 
de la Rose dans lequel il fit nniention de la bataille de 
Tagliocazzo (1268) qui rendit Charles d* Anjou, maître du 
royaume de Naples et de Sicile. Il mourut peu de temps 
après, laissant son poème inachevé (i). Aussi dans son tes- 
tament daté d'Aymargues, 1270, au moment d'aller à la 
vo7/e de Thunes^ le comte de Poitiers, la pensée encore 
pleine du souvenir de son fidèle chevalier, légua une rente 
annuelle de dix livres tournois ou poitevines aux hoirs de 
, feu Guillaume de Lorriz, jadis son serviteur {2), Ce prince 

(i) V. ci-dessus p. 43, 45, 56, notes. — * Le roman devait, sans doute, 
dans la pensée de l'auteur, durer encore assez longtemps : il nous dit 
qu'il voulait le terminer par une explication de tout ce qui aurait figuré 
dans le récit, et il nous assure que < la fin du songe » en était la plus 
belle partie » (G. Paris, Manuel, p. 163.) 

(2) Les hoirs, héritiers de Guillaume étaient Jean et Etienne, ses 
deux fîls, d'après Hubert. Etienne hérita en 1281, de son oncle Eudes 
de Lorris. 

Guillaume ctBudes étaient frères, dit le même historien. Ce texte 
a été reproduit par D. Gérou et par l'auteur de la notice sur G. de 
Lorris dans les Hoihmes Illustres de l' Orléanais, que M. Croissandeau 
a copié textuellemeit : « Il (Guillaume) était frère d'Eudes de Lorris, 
chanoine et chévecier de l'Eglise d'Orléans qui fut conscillerau Parle- 
ment en 1256 » (I — XVIII). Si Eudes est des sires de Loury et en porte 
les armes, d'après Hubert et le P. Anselme, ne doit-il pas en être de 
même pour Gui\lsiume,'{'auteur du Roman de la Rose^queiA, Croissan- 
deau fait originaire de Lorris en Gâtinais, malgré qu'il reconnaisse qu'il 
était frère d'Eudes? 



— 204 — 

étant mort en Italie au retour de cette croisade, la rente 
fut assise par Philippe III, dit le Hardi, neveu et héritier 
d*Alfonse, sur la châtellenie de Lorris, faisant partie des 
possessions qui lui avaient été données par Saint-Louis 
son père, en apanage, et qu'il pouvait grever. Cette rente 
est placée dans le pays même où sont situés les fiefs de la 
famille de Guillaume de Lorris. Ainsi fit Saint-Louis lors- 
qu'il donna, en 1286, à son cher et fidèle clerc Eudes de 
Lorris, frère du poète^ la maison de Corpalay ou Cour- 
palet etc. Ces don et legs de biens et de rente, situés et 
assise dans l'Orléanais, pays des seigneurs de Loury, 
expliquent suffisamment ce que nous avons dit, que le ser- 
viteur d'Alfonse était l'auteur du Roman de la Rose, ses 
liens de fraternité avec Eudes, et tous les deux fils d'Adam, 
puîné des seigneurs de Loury. 

Nous terminerons ces lignes en reproduisant les textes 
d'Hubert et du P. Anselme. 

« Guillaume de Lortys de la condition duquel le prés. 
Fauchet a esté fort en doute, estoit du païs Orléanoisy 
homme de considération, issu de race noble et d'ancienne 
chevalerie... 

« // estoit fils d^Adam de Lorris, puisné de la maison des sei- 
gneurs de Lorry s, nepveu de Guillaume de Lorris, chanoine 
de Saint-Aignan es années 1221 et i235, frère d'Eudes de 
Lorris, qui estoit chévecier en l'église d'Orléans ès-annécs 
i25o-i258et peut-estre auparavant, conseiller au Parle- 
ment. Il fut père de Jean de Lorry s ^ chevalier, et d^Estienne 
deLorrys, prévost de Sologne et chanoine ^n Téglise de 
Saint-Aignan en i3io... » (Hubert, Hist. de TOrléanois, 
2 vol. liv. X, chap. II : Des quelques illustres Orléanois ou 
des environs. — M' 436. B.-P. d'Orléans.' 

On lit dans Lottin, année 1287: «Philippe le Bel 
nomme Etienne de Lorris et Macé de £hilly, bourgeois 
d'Orléans, comme arbitres d'un procès mu entre le chapi- 
tre de Saint-Aignan et les habitants d'aï lieu appelé Lal- 
lun, près Janville. » — Année i3o2 f « Jean de Lorris^ 
chevalier, gouverneur de la Tour-NeiVe d'Orléans^ donne 



— 205 — 

à Téglise de Saint -Aignan, quantité de biens, situés à 
Fleury et à Saran, ainsi qu'une censive près de la porte 
Bourgogne. » (Rech. Historiques sur Orléans.) Dans la 
Roque^ Traité de la Noblesse^ p. 193 ; Jean de Lorris^ bailli 
de Châteaudun, en i3i6. 

* Dans la notice que le P. Anselme consacre à Gilles 
de Lorris, évêque-comte de Noyon, pair de France, con- 
seiller du roi, mort avant i388, et où il rapporte les diffé- 
rentes opinions qui font ce personnage originaire de Lorris 
ou du diocèse de Paris, on lit : «Il est constant que de 
son temps il y avoit des personnes du surnom de Lorris 
dans les conseils du roi. Leurs armes étaient : d*Or à la fasce 
d'azur accompagnée de trois aigletles deguetUes, deux en chef 
et une en pointe. Mais pour ne rien donner par conjec- 
ture, on n'a pas voulu attribuer ces armes à l'évcque de 
Noyon (i), et on se contentera de rapporter icy ce qui s'est 
trouvé par titres du nom de Lorris. Eudes de Lorris 
vivait sous le règne de Saint- Louis qui par ses lettres de 
Tan 1256, lui fit don delà maison de Corpalay sous l'hom- 
mage de la couronne avec la faculté de chasser à l'oiseau 
et aux petites bêtes dans la garenne de Lorris. Ce qui fut 
confirmé par le roi Charles le Bel Tan i354. » (Hisr. gén. 
de la maison de France, 2-412, et s.). 

Cette maison de Corpalay fut possédée, en 1281, parle fils 
de Tauteur du Roman de la Bose^ Etienne de Lorris, neveu 
et héritier d'Eudes. 



(i) Gilles de Lorris, évoque de Noyon, ûgurt dans la généalogie des 
seigneurs de Loury. 



— SWÔ — 
APPENDICE III 

' Jehao Clopinely dit de lleiuis* 

Nous pensons avoir démontré que Guillaume de Lorris 
était de condition noble^ issu des seigneurs de Loury-aux- 
Bois, et non bourgeois de la ville de Lorris en Gâtinais. 

C'est la thèse contraire que nous allons chercher à faire 
prévaloir pour Clopinel. — On veut le rattacher à la famille 
baronniale de Meung-Chéré, malgré ses déclarations qui 
le font d'origine plébéienne. 

Dans la présente Étude nous avons consacré de courtes 
discussions pour établir d'après le Roman de la Rose : 

\^ Que la date de naissance du poète doit être placée de 
1260 à 1255 (p. 5, 6). 

2» Que ses père . et mère étaient de condition libre et 
non noble (p. 6, 7). 

Z^ En déclarant qu'il vint au monde « sans mal et sans 
encombrement, bien fait de corps et sans défaut de mem- 
bre », le poète démontrait que le nom de Clopinel était bien 
le sien, et n'avait pas, en ce qui le concernait personnelle- 
ment, pour cause, une infirmité (p. 7). 

4* Qu'il étudia à Meung ou à Orléans, et se rendit jeune 
à Paris où il posséda une maison connue sous le nom d' « os- 
tel de la Tornelle » (p. 8, 9, 20). 

5* Les liens d'amitié et les relations qu'il eut avec les 
savants, les politiques et plusieurs grands feudataires de 
son temps (p. 11, 12, 26, 27). 

6* Des chansons et dits joyeux qu'il composa étant jeune ; 
Tordre chronologique de la composition de ses ouvrages 
(p. 12, i3). 

7* Que la continuation du Roman de la Rose o\x il fit 
acte politique fut entreprise sur l'ordre de Philippe IV 
(p. 29, note). 

8* Enfin s'il fut ou non marié, la date de sa mort et le 
lieu de sa sépulture (p. 160 à 164). • 



— 207 - 

Tous ces renseignements biographiques étant déjà donnés 
nous n'y reviendrons, pour quelques-uns, que très sommai- 
rement. Nous allons donc étudier ici, spécialement, la ques- 
tion de savoir si Clopinel était ou non de condition nobla, 
pour compléter sa biographie. 

Fauchet parle ainsi du continuateur du Roman de la Rose : 
<x II est bien plus aisé à descouvrir le temps de Maistre 
Jehan Clopinel (c'est-à-dire boiteux et dont vient esclopé, 
celui qui en allant traîne la jambe), dit de Meung, à cause 
qu'il nasquit en cette villctte assize sur la rivière de Loire, 
quatre lieues sous Orléans... Je ne puis dire au vray, son 
estât, combien qu'il me souvienne avoir leu en la chronique 
d'Aquitaine qu'il fut docteur en théologie; ce que je ne 
puis croyre. Tant y a qu'il fut homme d'honneur, fort es 
timé et ayant quelques moyens honnestes de vivre. — Il 
continua le Roman de la Rose^ xl ans après la mort de 
G. de Lorris et comme je penseroy bien, au commencement 
du règne de Philippe le Bel^ ou pour le plus tard l'an 
MCCC,.. C'est l'ouvrage de l'âge mûr et non d'un jeune 
homme... » 

C'est la première biographie qui ait été consacrée à notre 
poète; et c'est encore, même aujourd'hui, une des plus 
exactes. 

Puis viennent : Thevet qui, d'après J. Bouchet, dit que 
Clopinel était docteur en théologie; il vivait du temps de 
Philippe IV; le Roman de la Rose est une œuvre de l'âge 
mûr et rassis. 

La Croix du Maine : « Jehan de Meung natif dudictlieu 
sur la rivière de Loire, surnommé Clopinel qui est à dire 
boiteux; docteur en théologie, à Paris, de l'ordre des frères 
prescheurs ou Jacobins. Il florissoit sous Philippe le Bel, 
l'an i3oo ou environ ». 

Du Verdier Vaupryvas : « Jehan Clopinel dit de Meung, 
a composé le Roman de la Rose^ en Tan i3oo... » 

Nulle mention de dates de naissance et de décès dans 
ces auteurs qui ne font que reproduire le récit de Fauchet; 
et, comme lui, ne renseignent pas sur Yestat du poète. 



C'est un historien Orléanais, le chanoine Hubert qui, le 
premier, donne ces renseignements sur Clopinel : 

(( Fauchet n'a rien voulu, dit-il, déterminer de sa qua- 
lité et de sa condition. Mais c'est un de nos illustres orléa- 
nois de la famille des anciens seigneurs de Meung sur 
Loire. Il estait aisiié d^une branche de cette maison. Son père 
s'appela Ursion de Meung^ chevalier, baron du Chéré et 
seigneur de Pierrefitte. // eut pourfrère, Thihaiid de Meung 
seigneur d'Oursière. Si les deux nobles familles de Meung 
et de Lorris estoient liées de parenté ainsy que je le croy, 
je n'en ay peu descouvrir le nœud. Mais Jehati de Meung 
estoit à peu près contemporain de Guillaume de Lorris et 
pouvoit avoir contracté par le voisinage amitié et suivre 
mesme inclination pour la poésie. Les Annales d'Aquitaine 
remarquent que Jehan de Meung fut docteur en théologie, 
et quoy que du Bouchet rapporte cela sans preuve, il peut 
ne s'estre pas trompé (i); car il estoit asseurément chanoine 
et archidiacre de Beausse en l'église d'Orléans les années 
1072 et 1275 et suyvoitaussy ordinairement la cour comme 
font les gens de qualité. Cela est remarqué dans le livre 
intitulé le Songe du Prieur de Salon, où Jehan de Meung 
est représenté soubs la figure d'un homme de condition 
relevée qui avoit une robe doublée d'une fourrure de petit 
vair... Les ouvrages qu'il a composés et les traductions qu'il 
a faites, d'autres excellens livres sont sujets dignes de l'oc- 
cupation d'un gentilhomme. Le Roman de la Roze se res- 
sent fort de l'expérience de l'âge meur.,. Il a vescu jusqu'à 
une extrême vieillesse ; mais on ne scait point le temps de 
sa mort. » 

(x) Avant J. Bouchet, on trouve dans une seule leçon de la traduc- 
tion de Boêce que Clopinel est qualifié de Rév. docteur en sainte page 
de théologie, titre reproduit par G. Col, dit M. G. Paris qui, à ce sujet, 
est de Tavis de Fauchet. — Quant aux livres de Justinien, Clopinel a 
pu les étudier sans pour cela être docteur en droit. Ces deux doc- 
torats sont aussi problématiques l'un que l'autre. — D'après M. Lan- 
glois, notre poète n'avait pas plus étudié le droit que l'alchimie; il ne 
cite Justinien que d'après G. de Saint-Amour; et ne parle de l'alchi- 
mie que d'après les ouvrages de Geber et de Bacon (p. 139. 145, 173.] 



»,\ 



— 209 — 

En présence des nom et prénom du poète, rien, assu- 
rément, n'était plus facile que d*en faire avec Jean de 
Meung, chanoine et archidiacre de Beauce, un seul et 
môme personnage, et de dire qu'il était l'aîné d'une bran- 
che des anciens seigneurs de Meung; rien, assurément, 
n'était plus facile. Mais malheureusement pour Hubert, 
des passages du Roman de la Rose, démontrent combien 
son travail généalogique, était fantaisiste. 

Au récit d'Hubert, D. Gérou ajoute : c Dans le canu- 
laire des fiefs d'Orléans, on trouve un Jean de Meung, cha- 
noine et archidiacre de Beauce que l'on croit avoir été 
o/ic/^ de celui dont nous parlons (le poète); il lui résigna 
ses bénéfices puisqu'on trouve dans les titres de l'église ca- 
thédrale, un Jean de Meung, chanoine et archidiacre en 
1270, 1275, 1297. » — Puis viennent PoUuche, Beauvais 
de Préau, dom Verninac, etc. Ce dernier donne comme 
père à notre poète, un Jean de Meung, chevalier, men- 
tionné dans des rôles de ban de i236, 1242. 

Ainsi complétée et arrangée, cette biographie de Clopi- 
nel, fut, sans contrôle aucun, acceptée et reproduite d'abord 
par Méon, heureux de donner quelque chose de nouveau 
sur le continuateur du Roman de la Rose; par les auteurs 
des Hommes lllush^es de rOrléanais; et enfin par M. Crois- 
sandeau. Ce dernier, alla même plus loin, il attribua, sans 
hésitation aucune, à Clopinel, le testament d'un Jean de 
Meung, chanoine et archidiacre de Beauce, faisant du poète 
et du chanoine une seule et même personne. 

Cette découverte, comme application nouvelle, fut faite 
par M. Doinel : il exhuma des cartons des archives, ce 
testament» déjà connu, du chanoine, et l'accompagna de 
force commentaires bien peu concluants, puisqu'on y lit à 
chaque phrase : selon toutes pi'obabilités ; on serait porté à 
croire; il est possible; on n'affirme pas absolument^ que l'ar- 
chidiacre soit le poète, etc., etc. 

M. Croissandeau vient ensuite: ses conclusions, à ce su- 
jet, ne sont pas meilleuresque celles données par M. Doinel. 



14 



— 210 - 

Ce sont encore des réticences, des phrases dubitatives. 
Pour M. Croissandeau, Clopinel n'est qu'un surnom; le 
poète s'appelait réellement Jean de Meung puisqu'il s'est 
ainsi désigné dans la dédicace de Boôce. La question sur ce 
point, dit-il, est donc radicalement tranchée. (V-335.) 

Ce n'est pas tout à fait notre avis. Et si la question est 
radicalement tranchée, pour employer les expressions de 
MM. Croissandeau et Doinel, ce ne sera pas dans le sens 
qu'ils indiquent. Nous avons établi p. 1 52, que Clopinel était 
bien le nom que portait le poète, ce qui a déjà été remar- 
qué par M. P. Paris (Hist. litt. 27-432). Ce nom de Clo- 
pinel ne se lit qu'une seule fois dans tous ses ouvrages, et 
c'est dans le Roman de la Rose, son œuvre capitale dont il 
s'assure la propriété par ces mots : < Puis viendra Jehan 
Clopinel qui nestra sor Loire à Meun ». Si dans Végèce et 
dans Boëce^ il se désigne sous les noms de Jehan de Meung y 
c'est pour se conformer, par cette appellation, à l'usage qui 
avait alors cours parmi les poètes et les savants, de joindre 
au prénom, le nom du lieu de naissance; mais il n'était 
pas noble et n'appartenait pas à la famille de Meung-Chéré. 
Est-il nécessaire de recourir au Roman de la Rose; d'en 
rappeler maints passages qui, en justifiant pleinement ce 
que nous disons, vont démontrer que M. Croissandeau en 
modernisant le texte de Clopinel, l'a souvent mal interprété 
ou non compris ? : 

Le poète se sert à^Amys, de Faulx-Semblant et de Na- 
ture^ pour nous faire connaître, par l'élection du premier 
roi qui fut un vilain^ ce qu'est, à l'origine, le droit divin, 
invoqué en faveur de tous les rois; — ils ne sont pas dignes 
que les cours du ciel donnent signes de leur mort plus que 
de celle d'un charretier. Rois, princes, chevaliers et nobles^ 
tous sont égaux à l'état de nature. La vertu seule fait la no- 
blesse, il n'y en a pas d'autre, car celle de lignage ne vaut 
rien qui vaille. (V. ci-dessus p. 64, 77, 78, 79, 93). 

Ainsi pour Clopinel, gentillece de lignage , noblesse de 
race, rCest chose qui vaille; il prise bien plus ceux qui 
étudient les sciences et les lettres : 



Si r'ont c\tn plut grant avantage 
D'estre gentix, cortois et sage, 
(Et la raison vous en diroi), 
Que n'ont H princes ne 11 roi 
Qui ne se vent de létréure... (x) 

Nous faisons appel au bon sens du lecteur, et nous 
demandons si, après lecture de ces passages du Roman de 
laRose^on peut, un seul instant, admettre avec MM. Croîs- 
sandeau et DoineI,que Tauteur était de condition noble. — 
Nous ne le croyons pas. II est de toute évidence que si le 
continuateur avait été noble, il n*aurait certainement pas 
manqué de le faire connaître, et de pareils vers ne seraient 
pas sortis de sa plume. 

Seiigure-t-on, en effet, au xiu* siècle, alors que la noblesse, 
la caste privilégiée, s'imaginait être pétrie d'un autre limon 
que le vilain-, se figurc-t-on un membre de la famille 
baronniale de Meung-Chéré, une des principales de l'Or- 
léanais, écrivant que gentillece de lignage, n'est pas chose 
qui vaille I que ceux qui savent de létréure sont bien au- 
dessus, doivent être préférés! Mais c'aurait été, en ces 
temps de chevalerie, renier son origine, se mettre au ban 
de toute raristocratie, soulever contre lui de toutes parts, un 
iollc général. 

Nous répéterons donc que le continuateur n'était pas de 
noble race ; c'est ce qui apparaît clairement de la lecture de 
ses ouvrages; et soit qu'il ait envié la position sociale de 
ceux qu'il prend si fièrement à partie; soit qu'il ait écrit 
par esprit philosophique (v. p. 94, note i), il faisait vrai- 
ment bien peu de cas de la noblesse. Pour lui, poètes et 
savants sont bien supérieurs aux gens nobles. Pour affirmer 
d'une manière décisive son sentiment à ce sujet, il va 

(i) C'est d'après ce vers de Clopinel, qu'on a inféré que les anciens 
nobles ne savaient ni lire ni écrire. C'éta.t une honte pour eux que 
d'être lettrés (E. Deschamps, Pasquier, Boulainvilliers). La haute no- 
blesse était parvenue à un tel degré d'ignorance sous Philippe IV, 
que la plus grande partie de C2ttc noblesse était tout à fait illet- 
trée ; d'où la formule consacrée dans les actes passés entre eux : < Le- 
dit seigneur a déclaré ne pas savoir écrire, attendu sa qualité de gen- 
tilhomme » (V. p. 60, note. Etude sur G. de Lorris.) 



— 212 - 

clamant que c'est faire acte de grande folie que d'exalter, 
rehausser, vanter la chevalerie, et d'aimer gens nobles et 
richement vêtus. C'est à Faulx-Semblant qu'il le fait dire : 



Est-il greîgnor forsenerie, 
Qne d'essaucier chevalerie 
Et d'amer gens nobles et cointes. . 



La démonstration nous paraît complète, définitive. Si 
les mots ont un sens, on ne peut hésiter, un seul ins- 
tant, à reconnaître que l'auteur de ces vers n'était pas de 
noble lignage, mais bien de naissance plébéienne. Lecano- 
nicat, l'archidiaconat attribués si gratuitement par Hubert 
et ses copistes, au continuateur du Ronian de la Rose^ et 
sa prétendue gentilhommerie, le tout va à vau-l'eau ! 

Nous ne dirons pas de M. Croissandeau qu'il n'a pas lu 
le roman, puisqu'il l'a traduit ou plutôt en a modernisé le 
texte, mais à coup sûr le chanoine Hubert n'en fit qu'une 
lecture très superficielle, d'abord des passages qui viennent 
d*etre cités, de ceux où la Vieille donne de si singulières 
leçons à Bel-AcueUy de Faiilx-Scmblant, frondant moines, 
clergé, papauté, et enfin de Nature où celle-ci expose si crû- 
ment son système de la génération. Nous sommes con- 
vaincu, à l'avance, que le chanoine Hubert, après la lec- 
ture de ces différents passages du roman, y aurait certaine- 
mentregardéà deux fois avant d'attribuer la paternité d'un 
semblable ouvrage au chanoine, archidiacre de Beauce, Jean 
de Aleung, appartenant à la famille seigneuriale de ce nom. 

Du reste, on s'explique facilement l'erreur commise par 
l'historien généalogiste. Trompé par la similitude des 
noms et prénoms du poète et du chanoine-archidiacre, 
vivant au môme temps, sa première pensée fut d'en faire 
une seule et môme personne, heureux, sans doute, de 
pouvoir, sur ce point, compléter^ Fauchet qui ne renseigne 
pas sur Vestat du poète. Et ce texte, rédigé par lui avec 
une entière bonne foi, fut accepté et reproduit par tous, 
depuis D. Gérou, Méon, jusqu'à M. Croissandeau, sans 
être soumis par eux à aucun contrôle. 



— 213 — 
APPENDICE IV 

S l**. — Origino da droil divin. 

Nous croyons devoir entrer dans quelques détails sur le 
droit divin, dont nous avons parlé p. 87, q3 et 210. 

On appelle droit divin la doctrine qui fait dériver direc- 
tement de Dieu la puissance des rois. Louis XIV, le mo- 
narque le plus absolu et le plus infatué de sa personne qui 
fut jamais, dit dans ses Mémoires : « Celui qui a donné des 
rois aux hommes a voulu qu'on les respectât comme ses 
lieutenants, se réservant à lui seul le droit d^examiner leur 
conduite. La volonté de Dieu est que quiconque est né sujet, 
obéisse sans discernement. » 

C'est dans la Bible qu'on trouve l'origine de cette doc- 
trine adoptée parle pape St-Grégoire le Grand : « Les empe- 
reurs ont reçu du Ciel un pouvoir sur tous les hommes » ; 
doctrine consacrée par la Théologie Gallicane. 

On lit dans Samuel que les Israélites furent, après Moïse 
et Josué, gouvernés par des Juges. Lassés de ce gou- 
vernement, ils s'adressèrent à Samuel, le dernier de ces 
juges, pour avoir un roi. Le prophète ayant voulu, mais en 
vain, leur démontrer qu'un roi exigerait d'eux la dîme sur 
tous leurs biens, prendrait leurs fils, leurs filles et leurs ser- 
viteurs, et qu'ils seraient ses esclaves, leur présenta alors 
et oignit an nom de l'Éternel, pour régner sur Israël, Saûl 
« homme parfaitement bien fait, le plus beau, le plus fort, 
et le plus grand d'entre eux tous ». 

Clopinel avait, certainement, sous les yeux, le texte du pro- 
phète, lorsqu'il composa le passage du Roman delà Rose^ où il 
dépeint rélcction du premier roi (V. ci-dessus p. 53-93). — . 
Mais l'élection de son Grand Vilain^ n'est pour lui que 
l'œuvre des hommes, en dehors de toute intervention divine. 
Lisant entre les lignes du récit de Samuel à qui le pouvoir 
échappe et veut encore gouverner, il devine le plan combiné 
par lui et Saul. Notre poète voyait les choses avec les yeux 



— 21i — 

de la raison, en écartant toute intervention divine pour 
l'élection de Saiil, comme pour celles de Clovis, de Pépin 
le Bref et de Hugues Capet, sacrés comme les oints du Sei- 
gneur par St-Rémy, Etienne II et Adalbéron. Tous ces per- 
sonnages, Samuel et Saûl compris, faisaient jouer tous les 
ressorts de la politique, les uns pour s'affermir sur le trône, 
les autres pour acquérir un pouvoir temporel à la faveur 
d'une autorité purement spirituelle ; et tous, pour dominer 
sur les peuples. 

Saûl, David furent donc présentés comme choisis par 
rÉtemely pour régner sur Israël. Ces rois, toutefois, ne 
brillèrent pas par la justice et par la douceur; ce fut même 
le contraire dont ils firent preuve. David, ayant pris les 
villes des Ammonites fit scier en deux tous les habitants, 
passer des herses sur leurs membres pantelants et mettre le 
tout dans un four ardent. — Lorsque l'Eternel jetait V in- 
terdit sur une malheureuse ville ou bourgade, et cela était 
fréquent de sa part, pas un être vivant n'échappait à là 
mort; on tuait tout jusqu'aux animaux domestiques. C'était 
l'ordre inexorable du Dieu terrible; il ne fallait pas le trans- 
gresser, sous peine d'encourir sa colère divine, comme il 
advint à Saiil. — Nous ne parlerons pas des mœurs relâ- 
chées de ces rois. On sait que David eut un grand nombre 
d'épouses et encore plus de concubines, et ne reculait même 
pas devant l'homicide pour s'en procurer. Son fils adultérin 
Salomon, le suivit dignement dans cette voie, puisqu'on 
lui donne plus de 700 femmes légitimes et 3oo concubines. 
Leurs règnes n'offrent que débauches, massacres et tueries; 
mais c'étaient les élus de r Éternel qui, d'après Samuel, était 
avec eux. 

Il en fut de même de Constantin le Grand et de Théodose 
le Grand. Le premier fit mourir sa femme, son fils et tous 
ses plus proches parents; Théodose fit massacrer tous 
les habitants de Thessalonique. — C'étaient les oints du 
Seigneur ainsi que notre grand Clovis, plus cruel après son 
baptême qu'auparavant. Douze assassinats commis par 
lui sur ses parents sont à son actif; cela n'empêche point 



— 215 — 

Grégoire de Tours relatant ces crimes, de dire que Clovis 
allait selon les vues de Dieu. 

De tous les rois ou empereurs qui régnèrent en France 
et en Europe pendant une longue suite de siècles, bien peu 
parmi eux, furent réellement, môme par à peu près, à la 
hauteur de leur mission donnée comme divine. Et lorsqu'on 
se remémore les règnes de tous ces potentats, où Ton ne 
voit que débauches, meurtres, assassinats, incapacité, into- 
lérance religieuse, guerres plus personnelles que nationales, 
on est fondé à dire, que Dieu n*a pas eu souvent la main 
heureuse dans le choix de ses élus. — Aussi nous range- 
rons-nous au sentiment de Clopinel qui fait de Télection du 
premier roi, une affaire purement humaine; et prise si peu 
tous ces oints du Seigneur^ que pour lui, ils ne sont pas 
digneSy que les cours du Ciel donnent signes de leur mort^ 
plus que de celle cTun autre homme. — Et avec Tabbé de 
Mably, nous dirons : c Tous ces historiens, qui font témé- 
rairement intervenir Dieu dans nos affaires, nous paraissent 
aussi ignorants, aussi grossiers que nos pères quand ils 
croyaient à Tépreuve du fer chaud, de l'eau bénite et au duel 
judiciaire. ». 

§ II. — Origine do la noblesse. 

Nous n^allons parler de la noblesse qu'à grands traits, et 
simplement pour compléter ce que dit Clopinel. 

Il n'existait pas de noblesse parmi les Francs. Les terres 
allodiales, bénéfices, honneurs militaires qui leur furent don- 
nés après la conquête de la Gaule, d'abord personnels, de- 
vinrent héréditaires par le capitulaire de Kiersy-sur-Oise 
(877). Çest là Toriginedela féodalité qui se développa pen- 
dant les troubles survenus sous les derniers Carlovingiens, 
premiers Capétiens et les incursions des Normands. Alors, la 
France était parcourue, continuellement et dans tous les 
sens, par de nombreuses bandes d'hommesqui, d'une main la 
torche allumée et Tépée dé l'autre, répandaient partout la 
désolation, et s'imposaient par la force ou la ruse aux 



— 2IG — 

populations terrorisées. Ces hommes indisciplinés en s'em- 
parant ou construisant, de tous côtés, des châteaux forts 
pour dominer en maîtres, devinrent stationnaires et don- 
nèrent naissance à la noblesse féodale d*où sont sorties les 
grandes familles de France (i). 

A cette noblesse qui disparut en grande partie pendant 
les croisades (1096- 1270), en succéda une autre au xiii<^- 
XIV* siècle; formée d'anoblis, de roturiers possesseurs de 
fiefs, elle fut à son tour, fortement décimée durant \sl guerre 
de cent ans et celles de religion. Les nombreux vides qu'y 
firent ces guerres furent encore comblés par des anoblis, des 
membres du Parlement, cours de justice, etc. — En 1767, 
on comptait en France, 4.000 familles d'ancienne noblesse, 
et 90.000 familles nobles d'origine roturière, regardées par 
les premières avec un grand dédain, car il est de principe 
en ces questions, qu*on ne tient point pour véritablement 
nobles^ dit Laroque, ceux dont on peut prouver que la race 
a été roturière en quelque temps que ce soit. — t Je puis faire 
un chevalier, un baron, disait Henri III, roi d'Angleterre, 
mais il n'est pas en mon pouvoir de faire un gentilhomme. » 
Voulant dire qu'il ne fallait pas trouver trace d'origine 
roturière. D'où il suit que plus les origines d'une famille sont 
obscures, mieux vaut pour cette famille, parce qu'alors on 
peut tout supposer, mêler la fable à l'histoire. Le x« siècle, dit 
le siècle de fer, qui est la nuit dans cette partie de nos an- 



(i) Des familles ont des prétentions encore plus exagérées. L'in-fo 
rapportant la généalogie de la maison de Croy depuis Adam, contient 
une gravure représentant le déluge et l'arche prête à flotter. L'Éternel 
crie du haut du Ciel : <Noé de Croy, avez-vous sauvé vos archives?» 
— Noé, à genoux, les bras en croix, répond : < Seigneur, elles sont 
dans Tarche! » — Pareil tableau se voit pour les Lévis. C'est aussi le 
déluge et un ange criant du haut du ciel : < Sauvez les papiers de la 
famille de Lévis ! ». Cette famille prétend descendre de la tribu de 
Lévi et être alliée à la Sainte-Vierge. 

On doit, avec d'Aubigné, se moquer de prétentions aussi ridicules, 
ainsi que de celles qui font descendre les Mérovingiens d'un monstre 
marin, les Lusignan, d'une fée,' les Saulx d'un chevalier romain, les 
Sires de Pons, d'un petit*flls de Pompée, etc. 



— 217 — 

nales, se prête admirablement à toutes les suppositions gé- 
néalogiques. 

Puis vint la Révolution qui frappa ce qui restait de l'an- 
cienne noblesse. On peut dire que le nombre des familles 
qui, aujourd'hui, peuvent établir, d'après titres, qu'elles 
remontent à ces époques, est très restreint. Cette apprécia- 
tion est basée sur un travail fait par nous sur la Noblesse 
de l'Orléanais aux Croisades. Parmi plus de 5oo hauts 
barons, chevaliers, écuyers et nobles de cette province qui 
prirent part aux voyages d'outre-mer, cinq ou six, à peine, 
comptent encore des représentants. 

C'est le lieu de faire mention d'un manuscrit écrit vers 
1840-1850, trouvé jadis par nous chez un bouquiniste d'Or- 
léans, et que nous nous proposons de publier. L'auteur de 
ce travail jugeant la noblesse aux temps où elle était dans 
tout son éclat, imagine un tournoi, à Orléans, où paraissent 
marquis, comtes, vicomtes, barons, chevaliers, écuyers et 
gens ayant la particule au nombre de plus de 200, chacun, 
avec ses armoiries sur lesquelles sont figurés fasces, che- 
vrons, croix, basants, tourteaux, merlettes, lions, léopards, 
etc. , symboles des jeux chevaleresques et des guerres saintes. 
L'examen de tous ces brillants écussons fait connaître 
qu'ils appartiennent à des bourgeois dont les ancêtres, ou 
eux-mêmes, ont fait trafic de marchandises, ou occupé des 
charges ou fonctions judiciaires, fiscales et municipales, ou 
à des anoblis sous Louis XVIII, dont la roture est récente. 
Ainsi M. X..., prétendant remonter au ix* siècle, est reconnu 
de noblesse de cloche ; M. Y.,., disant descendre d'un preux 
du xii« siècle, est de noblesse de robe; M, Z..., voulant 
remonter aux croisades n'a pour tout titre que la pièce qui 
charge ses armes. Tous ces blasons aux éclatantes couleurs 
d'or, d'argent, d'azur, de gueules, de sinople, sont brisés, 
à l'exception de quatre dont les possesseurs sont reconnus 
être d'ancienne noblesse. 

— Nous répéterons que cette question est ici traitée selon 
les anciens usages; nous n'entendons pas contester la qua- 
lité de noble à celui qui a diplôme ou parchemin qui la lui 



— 218 — 

confère, mais simplement faire remarquer qu'il y a noble 
et noble, comme il y a fagot et fagot; tout en disant avec 
Clopinel c qu'il n'y a pas d'autre noblesse que celle que 
donne Nature qui moult est belle et a nom naturel fran- 
chise ». 

On comptait dans l'ancienne France plus de 70.000 fiefs 
ou arrières-fiefs, dont, dit Chàteaub riant, 3. 000 étaient titrés : 
principautés, duchés, comtés, baronnies, qui justifiaient 
l'ancien axiome : Pomt de Seigneur sans terre. Et malgré le 
décret du 19 juin 1790, qui supprima la noblesse hérédi- 
taire et tous les titres honorifiques, dont l'origine n'était 
pas toujours honorable (v. Brantôme, Tallement des Réaux, 
Chroniques de l'Œil-de-bœuf), on a vu et on voit encore ces 
mêmes titres être d'usage fréquent : prince de Joinville, 
ducs d'Orléans, d'Aumale, de Montmorency, de la Roche- 
foucault, comte de Paris, etc., quoique depuis 1790, il n'y 
ait plus en France ni principautés, ni duchés, ni comtés por- 
tant ces titres ou autres qui ne paraissent que sur le papier. 

Est-il rien de plus contraire au bon sens ? -^ La raison 
n'exige-t^elle pas que, conformément au décret cité, l'emploi 
de ces titres fictifs soit défendu à ceux qui s'en targuent, et 
qu'ils reprennent leurs noms, soit Capet, Bouchard ou Fou-' 
cauld; pour les mêmes motifs, que la particule, dont l'usage 
est poussé jusqu'à l'abus, soit supprimée : que Jacquot de 
la Plaine ou Yzembar de la Montagne reprennent leurs 
noms patronymiques de Javtquot et d' Yzembar, et cessent d'y 
joindre ceux de la Plaine ou de la Montagne qui, aujourd'hui, 
n'ont plus raison d'être ? 

Napoléon I**, réagissant contre le décret de 1790, rétablit 
les titres de prince, duc, comte, baron. Il accorda, avec 
droit de transmission héréditaire, le titre de baron (sans 
baronnie), aux présidents des collèges électoraux, aux 
• premiers présidents, procureurs généraux des Cours de cas- 
sation, des comptes et d'appel, aux évêques et aux maires 
des 37 bonnes villes de France après dix ans d'exercice. 
Pour les maréchaux ou généraux qui s'étaient signalés par 
des faits de guerre, il créa pour eux, avec hérédité, des prin- 



WPP«««MV«W 



— .219 — 

cipautés, des duchés fictifs; Ncy fut fait prince de Wagram, 
Masséna, prince d'Essling, etc. Napoléon III agit de même 
pour Pélissîer, créé duc de Malakolï, Mac-Mahon, duc de 
Magenta, Montauban, comte de Palikao. — N'aurait-il pas 
été plus digne de suivre l'exemple donné par les Romains 
pour Scipion l'Africain, Scipion l'Asiatique, d'adjoindre au 
nom propre celui rappelant l'action militaire devenu alors 
personnel : Ney-Wagram, Masséna-Essling, Mac-Mahon- 
Magenta, au lieu de leur attribuer des titres imaginaires 
transmis à des héritiers qui, souvent, ne possèdent ni le 
mérite, ni le talent ou la valeur de ceux de qui ils les 
tiennent. 

Est'il plus grant forceneriel dirons-nous avec C'opinel, 
auquel nous renvoyons pour les critiques qu'il fait à ce sujet. 
— Ces questions de noblesse et de titres fictifs ont maintes 
fois déjà été agitées au Parlement. Et le moment n'est peut- 
être pas éloigné où le décret de 1790, mis à exécution, fera 
disparaître semblable anomalie dans un état républicain, 
dans lequel, il ne doit subsister, parmi les citoyens, aucune 
distinction de caste. 



AUTEURS CITÉS 



Le plus grand nombre des auteurs consultés, sont désignés soit dans 
le cours de l'ouvrage, soit au chap. VIII; nous ne mentionnons ici que 
ceux dont les ouvrages peuvent varier dans la pagination, par suite 
d'éditions différentes. 

Ëgînhard, Œuvres, éd. Teuict. — Rutebeuf, Œuvres complètes, par 
Jubinal. Paris, Daffîs, 187.4. — Mémoires de Jean, sire de Jon ville, 
în-i6. Paris, 1646. — Joinville, in-x6» éd. de Wailly. Paris, 1890. — 
Mézeray, Abrégé de l'Hist. de Fronce, in*i2. Amsterdam, 1713. — 
Michelet, Hist. de France, in-4*. Hetzel, Paris. — H. Martin, id., 
4« éd. — Voltaire, Œuvres complètes. Desoer, Paris, 1817. — Cha- 
teaubriand, Œuvres. F. Didot, Paris, 1870. — Montaigne, Essais; Mon* 
tesquîeu. Esprit des Lois, éd. Garnier, Paris. -» Abbé Chavard, Célibat 
dts prêtres, Genève, 1874. — A. Méray, La vie au temps des Cours 
d*amour. Claudin, Paris, i8;6. — F. Fontenelle(pseud. F. Le Guyader), 
Ëre Bretonne. Paris, 1896; La Bible, Rennes, 1898. 



TABLE 



DÉDICACE. P. V 

Préface. P. VII 

Fragment du Roman de la Rose, P. x 

Chapitre I. — Jean Clopinel ou Chopinel. — Lieu et date de nais« 
sance. — Ses père et mère de condition libre et non noble. — Il 
n'était pas boiteux, mais < bien fait de corps et sans deffault de 
membre ». — Absence de renseignements sur ses premières années. 

— Écoles de Meung et d'Orléans. — Se rendit à Paris et s'y lia avec 
les poètes et savants de son temps. — Titres élogieux qui lui furent 
donnés. — Composa des chansons d'amour et dits joyeux. — Tra- 
duisit en prose le De re milttartf de Végèce. — Publia les Merveilles 
d'Irlande, les Lettres d'Abélard et d'HéloIse, le Livre d'AeIred, de 
« spirituelle amitié ». P. 5 

Chapitre II. — Jean Clopinel devenu bourgeois de Paris. — Son 
€ Ostel de la Tornelle ». — Philippe IV, dit le Bel; esquisse de son 
règne. — Fait la paix avec l'Aragon. — Déclare la guerre à l'An- 
gleterre. — Commencements de son différend avec Boniface VIII. — 
Principaux conseillers du roi. — « Ostel de la Tornelle ». — Esquisse 
littéraire. — Guillaume de Lorris ; le Roman de la Rose; Analyse. 

P. 20 

Chapitre III. — Sur l'ordre de Philippe IV, Clopinel continue le 
Roman de la Rose, — Aux personnages déjà mis en scène, adjoint 
ceux de Faulx*Semblant, la Vieille, Nature, Genius, pour les besoins 
de la cause royale qu'il défend. — Analyse de la deuxième partie 
du Roman. — L'œuvre de Clopinel considérée comme document 
historique, P. 43 

Chapitre IV, — Commentaires historiques sur le Roman delà Rose, — 
Roi et Nation. — Noblesse et vilainage. — La noblesse rabaissée. — - 
Suppression de privilèges, etc. — Bourgeois auprès du roi. — Le 
Tiers aux États Généraux. — Rayson, Amys atUquant la Royauté. 

— Le premier roi fut un vilain. — Faulx^Semhlani critiquant noblesse 



— 222 - 

et chevalerie. — Pour Nature, nobles et vilains sont égaux. — Le 
Peuple est tout ; le Roi, rien. — Affirmation de ce droit dans les 
Assemblées nationales et par les historiens. P. ^6 

Chapitre V. — Royauté et Papauté. — Gaule et Francs. — Origine 
des richesses du clergé gallican. — Son influence gouvernementale 
sous les Mérovingiens, Carlovingiens et premiers Capétiens. — Sa 
résistance envers la Cour de Rome. — Pépin le Bref, Charlemagne. 

— Puissance temporelle des papes. — Leurs prétentions sur les rois 
et les peuples. — - Moines mendiants, auxiliaires dévoués de la 
papauté. — Différend entre l'Université de Paris et ces moines. — 
Innocent IV favorise ces derniers. — L'Évangile Éternel. Introduc- 
tion à l'Évangile Eternel. — Les Périls des derniers temps — Guil- 
laume de Saint-Amour condamné par le pape. — F aulx-Semblant ^ 
moine mendiant, défend Saint- Amour. — Dévoile les vices des prêtres 
et des moines. — Philippe IV résiste à Boniface VIII. •— A. la bulle 
Clericts Latcos, il répond par des ordonnances royales. P. loi 

Chapitre VI. «— § I•^ — Mœurs du xill* siècle. — Domaine royal. — 
Habitants des villes et des campagnes. — Serfs. — Paris, ville du 
plaisir et de la débauche. — Clergé, mœurs relâchées. — Conciles 
et poètes. — Noblesse, mœurs relâchées. — Époque des servitudes, 
droit du seigneur, etc. — La Tour de Nesle, Marguerite, Jeanne et 
Blanche de Bourgogne. — Critique du Mart jaloux contre ies 
femmes. — Enseignements de la Vieille à Bel»Acueil, — Plaintes 
amères de Nature, P. 114- 

Chapitre VI. — § II. — Situation sociale de la femme. — Mariage. 

— Critiques de Clopinel contre le beau sexe. — Tous les hommes 
sont faux. — Prend le sort de la femme en pitié. — Elle est née 
franche. — Demande l'abolition du mariage et la communauté des 
femmes. — Les cours d'amour; leurs enseignements ; l'amour libre. — 
La femme dans l'antiquité, parmi les Juifs, les Persans, les Chinois, 
les Hellènes, les Musulmans. •— Le christianisme et la femme ; noces 
de Cana. — D'Orient en Occident. -^ La femme parmi les Ger- 
mains. — Tacite. • — Concile de Mâcon. -— Chansons de geste. — 
Le culte de la Vierge Marie en faveur. — Les Romans de la Table 
Ronde et la Chevalerie. — - Dieu et ma Dame. — La femme aux 
temps actuels. — En jouissance des droits civils et politiques. P. 125 

Chapitre: VI. — g III. — Le Célibat. — G^»fW fulmine Tanathème. -- 
L'homme n'est pas fait pour le célibat. — Nombreux couvents d'hommes 
et de femmes. — Résultats. — États catholiques et protestants. — 
Population. — Philippe IV, adversaire du célibat religieux, -r- Fausse 
bulle annulant les vœux de chasteté. — Le célibat parmi les Juifs, 
les Grecs, les Romains. — Judaïsme et christianisme. — Premiers 
temps de l'Église. — Évéques et prêtres mariés. — Églises grecque 



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— 223 — 

et russe. — Moycn-Àge. — Mœurs relâchées. — Concile de Trente. 
— Le clergé catholique iinitera-t*il l'exemple des Protestants P — 
Opinion de Bossuet. P. 137 

Chapitre VI. — g IV. — La licence de Clopinel dans les mots et dans 

. les descriptions. — S*en est excusé. — Justification du poète à ce 

sujet. — Sculptures, peintures, postures indécentes dans les églises, 

etc. — Le livre de la Tour Landry ; celui de Taillevant, etc. — Nos 

anciens conteurs. — Fin des commentaires sur le Roman de la Rose, 

P. 145 

Chapitre VII. — Clopinel traduit Boéce. — Présente son manuscrit 
au roi. — Compose son Testament puis son Codicille. — Il y fait 
preuve de sentiments religieux. — Parle de lui, de sa jeunesse. — 
Nouvelles critiques contre les moines, les femmes et le clergé. — 
Termine en invoquant la Dame de Paradis. — Fût-il célibataire ou 
marié P — Blanche de Machault. — Par trace de descendance. — 
Mourut en 1305, à Paris ; — Enterré en Téglise des Jacobins, rue 
Saint-Jacques. — Son épitaphe d'après Du Breùil. — Histoire du 
coffre considérée comme fausse. — Aventure des dames de la Cour 
admise comme vraie. P* I49 

Chapitre VIII. — Prosateurs et poètes qui, depuis le xiii« siècle jus- 
qu'À nos jours, ont fait mention du Roman de la Rose et de ses deux 
auteurs. P. 171 

Appendice ^^ — Où Ton cherche à fixer à quelle époque Clopinel se 
mit  continuer le Roman de la Rose, P. 1S8 

Appendice II. — Guillaume de Lorris. P. 197 

Appendice III. — Jean Clopinel, dit de Meung. P. 206 

Appendice IV. — § !•'. — Origine du droit divin. P. 213 

§ II. — Origine de la noblesse. P. 215 

Auteurs cités. P. 220 

Errata. 



ERRATA 



Page 14, ligne 33 : rendue, lisez : rendu. 

» 15, » 18 : comte de Deu, lisez : comte de Den. 

» 27, » 20 : Agagni, lisez : Anagni. 

» 4^1 » 35 : nion, lisez : nom. 

» 56, » 17 : di roumans, lisez : Il roumans. 

» 58, » 16 : martyr, lisez : martyre. 

» 63, » 10 : Il leur dit, lisez : Je leur dis. 

» 70, » 3o : Rodrique, lisez : Rodrigue. 

1» 102, » X I : douze, lisez : deux. 

» » » 40 : vœux, lisez : vœu. 

» 158, » 25 : conservé, lisez : conservée. 
Moréri, Mézerai, Baif, pages 20, 25, 70, doivent se lire : 
Morerî, Mézeray, Baîf. 



DU MÊME AUTEUR 



• Étude sur Pierre l'Ermite. Orléans, 1874. . 

Origine historique des Armoiries des États de l'Europe. Travail 
publié dans le < Giornale-Araldico », Pise, 1876-77 et dans la « Revue 
AnglOfFrançaise », de Brighton. 

Armoriai du siège d'Orléans en 1428-29. Pise, 1877. / 

Étude historique et biographique sur Guillaume de Lorris, auteur du 
Roman de la Rose, d'après documents inédits et revision critique des 
textes des auteurs. Orléans, Paris, X 881. 

Étude généalogique sur la famille Le Comte du Colombier, publiée 
dans le € Giornalc-Araldico ». Pise, 1884. (Tirage à part.) 

• En préparation ; .: 

Étude historique sur Jeanne d'Arc. 

Mélanges historiques, héraldiques et littéraires sur Orléans et l'Or-, 
léanais. 



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